Comment vivre la foi chrétienne et annoncer l’Evangile à une époque où les institutions religieuses sont en perte de vitesse ? En 1998, un groupe de recherche se constitue au sein de Témoins ** Lire **

. Le manque de pertinence des pratiques religieuses lui apparaît comme la conséquence d’un déphasage des institutions par rapport à l’intensité et la rapidité du changement culturel. Cette hypothèse va se vérifier à travers l’analyse de recherches françaises et étrangères .

 

 

    À l’échelle internationale, la crise religieuse des années 60 a marqué un tournant décisif ** Lire **. Dès 1999, dans son livre : « Le pèlerin et le converti », la sociologue Danielle Hervieu Léger nous apporte une grille de lecture des nouveaux comportements caractérisés notamment par « l’autonomie croyante » ** Lire **. La sociologue anglaise, Grace Davie, met l’accent sur une nouvelle attitude : « croire sans appartenir » (believing without belonging) ** Lire **. Les diagnostics se recoupent. Plus généralement, c’est la fin d’une société modelée par l’institution religieuse ** Lire **. Théologien et sociologue britannique, Stuart Murray décrit, sur le long terme, le recul et l’effacement de la chrétienté, et, à partir de ce bilan, présente des voies nouvelles pour « Faire église en post-chrétienté » ** Lire **. En effet, en regard du dépérissement à terme des formes traditionnelles, le renouveau passe par l’innovation. Ainsi, dans un contexte américain, des églises nouvelles sont apparues pour répondre aux aspirations nouvelles de la génération des « baby boomers » ** Lire **. Des communautés prennent en compte les aspirations des personnes en recherche (« seekers »).

Cependant, face à la profondeur de la mutation, on peut s’interroger sur le profil de l’innovation. Deux voies sont ouvertes : la simple rénovation des églises ou une transformation plus radicale. Dans une société de plus en plus différenciée, les besoins sont divers. Parmi les voies nouvelles, il nous paraît que le courant de l’Eglise émergente  correspond aux attentes de milieux en phase avec les transformations en cours des représentations et des comportements. Dans un livre particulièrement influent : « Changing world. Changing church » (2001), expert en prospective et théologien britannique, Michaël Moynagh montre combien l’ampleur du changement requiert une approche nouvelle et il égraine des exemples d’expériences innovantes
** Lire **. Ce livre pionnier a été traduit en français : « L’Eglise autrement. Les voies du changement » (Empreinte, 2003) ** Voir le site ** .
En 2004, dans un nouveau livre, Moynagh nous décrit le courant de l’Eglise émergente en terme de processus et d’état d’esprit
** Lire **. Il y a désormais, nous dit-il, un abîme entre les pratiques des églises classiques et les mentalités nouvelles, « un océan atlantique entre l’église traditionnelle et la culture environnante ». Face à cette situation, l’Eglise émergente est une dynamique inventive. Le développement de ce courant peut se décrire en terme de processus. Des groupes vont naître et se constituer progressivement en des communautés où un consensus de foi va grandir. Ces groupes vont trouver des formes d’expression qui leur conviennent et beaucoup d’entre eux pourront ainsi devenir des communautés ayant tous les attributs d’une église locale. Le développement des communautés requiert des accompagnateurs ayant une liberté d’esprit par rapport au corporatisme traditionnel. Il y a là un nouvel état d’esprit. C’est le refus d’une église restauratrice et récupératrice agissant en terme de captation : « Vous venez à nous ». Ici, on ne parachute pas un modèle d’église sur les gens ». L’Eglise émergente agit selon un principe opposé. « Nous irons à vous », car il y a une dynamique nouvelle : « exprimer l’église dans la culture du groupe concerné » et non selon les pratiques traditionnelles ». C’est une église qui vient d’en bas (« a church from below »).
Dans la même perspective, Pete Ward, également théologien et sociologue, publie un livre au titre suggestif : « Liquid church »
** Lire ** où, dans une société en mouvement, il nous propose « une manière souple et flexible d’être et de faire église » (« a flexible way of being church »).
Aujourd’hui, quelques années après ces annonces pionnières, en une décennie, l’Eglise émergente est devenue une réalité concrète en Grande-Bretagne. Aux yeux de l’Eglise anglicane, église classique et église émergente sont désormais reconnues comme complémentaires en terme d’ « économie mixte ». Dans un interview recueilli sur ce site en 2008
** Lire **, Michael Moynagh fait état d’au moins 600 communautés oeuvrant dans cet esprit sous le terme de « fresh expressions ». La même année, un autre intervenant, Ian Moosby, décrit la vie de ce courant jusque dans les difficultés substantielles  auxquelles il est confronté ** Lire **. Mais les expériences nouvelles bénéficient aujourd’hui d’un soutien logistique. Les pratiques nouvelles sont analysées et partagées : « Des communautés émergentes.  Pourquoi, Comment ? Questions et réponses sur les « fresh expressions » ** Lire **.

Si le développement de l’Eglise émergente en Grande-Bretagne est particulièrement visible, ce mouvement a une dimension internationale. Il existe également aux Etats-Unis, mais dans un contexte plus contrasté. Dans une affirmation différenciée des pratiques religieuses selon le contexte géographique, les formes nouvelles se heurtent à des oppositions conservatrices. Des débats idéologiques  s’installent. L’Eglise émergente est la cible de groupes conservateurs d’inspiration fondamentaliste, foncièrement  antioecuméniques. C’est ainsi qu’un des pionniers de l’Eglise émergente aux Etats-Unis, Brian McLaren a dû s’affirmer à l’encontre de ces milieux ** Lire **. Dans d’autres pays, particulièrement en France, le courant de l’Eglise émergente est confronté à d’autres obstacles : un immobilisme institutionnel et des conformismes de pensée ** Lire **. Une perspective comparative permet d’inventorier les obstacles, mais aussi de discerner le potentiel et de percevoir les cheminements : « La Grande Bretagne en mouvement. La France en attente » ** Lire **.

À partir d’une culture chrétienne interconfessionnelle, sensible aux aspirations des personnes en recherche, libre par rapport aux emprises institutionnelles, instruite par une recherche sociologique à l’échelle internationale, Témoins s’est engagé au cours des années 2000 dans une action d’information et de sensibilisation visant à la promotion d’une Eglise émergente en France. Dans ce mouvement, il s’est appuyé sur un réseau auquel participent différents acteurs chrétiens, pour certains engagés  dans une œuvre de transformation progressive des grandes églises, pour d’autres, évangéliques notamment, à l’instar de mouvements analogues dans d’autres pays, découvrant un horizon  de vie nouveau, une autre annonce de l’Evangile dans la conjugaison de la conviction, du respect et de l’ouverture.
Au cours de la décennie écoulée, Témoins a ainsi suscité plusieurs rencontres : « Eglise en devenir » avec Stuart Murray (17 novembre 2003) ** Lire ** ; « Le vécu, la pratique et la théologie de l’Eglise émergente avec Michaël Moynagh (5 juin 2004) ** Lire ** ; « Quelle vision pour notre temps ? Une voix pour l’Eglise émergente », avec Brian McLaren (26 février 2006) ** Lire ** ; « Innovation dans les Eglises. Le courant de l’Eglise émergente (20 octobre 2007)” ** Lire ** ; « Une Eglise en transformation » (4 octobre 2008) ** Lire **. Les trois premières rencontres ont été organisées en collaboration avec le groupe : « Evangile et Culture », membre de l’Alliance évangélique. Les deux dernières ont été mises en œuvre par Témoins dans une dynamique participative. Les comptes-rendus de ces journées sont une source de réflexion et d’information particulièrement précieuse tant sur le mouvement international que sur la situation en France.
L’attention portée par Témoins à l’Eglise émergente s’exerce dans le champ plus vaste d’une étude des innovations en cours dans les églises. C’est ainsi que Témoins a organisé le 30 janvier 2010 une journée intitulée : « Elargissons ensemble nos concepts de groupe de maison »
** Lire ** et ** Lire **. Le groupe de recherche de Témoins est également engagé dans une collecte de descriptifs d’innovation ** Lire **.
Témoins collabore également avec des acteurs chrétiens francophones engagés dans une perspective d’Eglise émergente, entre autres, Eric Zander, pasteur belge initiateur d’expériences originales et imaginatives de vie en église
** Lire ** , Matthias Radloff, théologien suisse ** Voir le site ** et Henri Bacher, responsable du site logoscom ** Voir le site **. Techniquement à la pointe, à travers un ensemble de vidéos, ce site témoigne d’une pensée originale, inventive et d’une grande créativité pédagogique. La fréquentation de ce site est « incontournable » pour tous ceux qui veulent participer à la transformation des pratiques d’église. On y trouvera également un livre : « Eglise in future » ** Lire ** où Henri Bacher développe une réflexion prospective. Membre actif de l’équipe d’animation des rencontres organisées par Témoins en 2007 et 2008 ** Lire ** ** Lire **, Gabriel Monet, théologien et pasteur, participe également au groupe de recherche de Témoins et prépare actuellement, à l’université de Strasbourg, une thèse de doctorat en théologie sur l’Eglise émergente. On notera également l’apport de la thèse de Cécile Lerebours Entremont : « De l’individualité à l’altérité. Evolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’Eglise » ** Lire **.


Le terme émergence, qui entre dans l’expression : Eglise émergente », désigne un mouvement qui apparaît aujourd’hui dans un univers culturel couvrant des champs différents du biologique au social. Il s’inscrit dans la mutation qui se manifeste aujourd’hui dans la culture et la société et qui se traduit dans un changement profond des représentations. Internet ne transforme pas seulement les pratiques de communication, permettant d’ « organiser sans organisation »
** Lire **. Il suscite également une nouvelle représentation de l’univers. Comme l’écrit une sociologue et théologienne britannique, Lavinia Byrne : « La réalité virtuelle nous fournit une puissante métaphore dans laquelle le monde digital est associé à la vie spirituelle… Le Web nous offre une métaphore nouvelle pour comprendre Dieu et le travail de Dieu en train de prendre soin de notre monde et de le tenir en existence dans un tissu de communication »** Lire **. Mais, en même temps, de nouvelles approches plus globales et systémiques apparaissent dans la pensée scientifique comme en témoigne le développement de l’écologie. Ainsi, lorsque Dwight Friesen publie un livre intitulé : « Thy Kingdom connected » ** Lire ** , il inscrit sa vision de l’Eglise en terme de réseau, dans un nouveau « paradigme » culturel, holistique, interactif, interrelationnel. De même, lorsque David Hay décrit les expériences spirituelles dans la société d’aujourd’hui ** Lire ** et Rebecca Nye, la perception nouvelle de la spiritualité chez les enfants ** Lire **, on voit émerger une réalité nouvelle. Ainsi la spiritualité est-elle définie comme une « conscience relationnelle » en relation avec Dieu, la nature, les êtres humains et soi-même. En phase avec les idées nouvelles qui apparaisent actuellement, on peut observer des transformations dans les mentalités. Ainsi des sociologues ont mis en évidence un nouveau courant, celui des “créatifs culturels” qui allient démarche écologique, engagement social et spiritualité ** Lire l’article **. L’Eglise émergente est bien orientée pour répondre aux aspirations de ce milieu.


Ces transformations dans les représentations appellent de nouvelles approches théologiques. Dans son livre : Generous orthodoxy »
** Lire **, Brian McLaren nous permet de sortir des cloisonnements et des enfermements confessionnels, et, adoptant une approche inductive, de découvrir et de retenir ce qui est bon dans des milieux chrétiens différents. En phase avec la mutation en cours depuis les années 60, le théologien Jürgen Moltmann nous permet de discerner l’œuvre de Dieu, communion trinitaire, dans la puissance de son amour relationnel qui nous appelle à participer dans l’espérance à une anticipation de la nouvelle création dans laquelle Il sera « tout en tous ». ** Lire **. Comme l’a bien exprimé Saraly Hoareau sur ce site, l’Eglise émergente s’enracine effectivement dans de nouvelles approches théologiques ** Lire **. « Jésus nous invite à rejoindre nos contemporains là où ils sont et à entrer en relation avec eux pour qu’ensemble on puisse aller vers une transformation mutuelle » (« une Eglise incarnationnelle »). « Ce mouvement « vers » ne doit pas se limiter à susciter des conversions, mais doit viser le bien du monde, doit chercher à être une bénédiction pour tous. C’est là que le royaume de Dieu émerge » (« une Eglise missionnelle »). « Défendre les faibles, réconcilier, combattre pour la liberté etc, sont des preuves de l’action de Dieu dans le monde, au sein des églises, par le biais des églises, mais également en dehors des églises. Le Royaume de Dieu est une réalité qui est bien plus vaste que ce que nous entendons généralement par le christianisme » (« une Eglise généreusement orthodoxe »). « La chrétienté n’a pas toujours mis Christ au centre… les croyants sont unis les uns aux autres parce qu’ils sont un avec Christ qui doit rester premier… Parce que l’Eglise est engendrée par Dieu, notre être de chrétien est intimement lié à l’être de Dieu, Dieu comme le Père, le Fils et le Saint Esprit en relation, en communion… C’est à travers les relations, les groupes, les relations entre les gens que se constitue l’Eglise. Cette réalité se traduit nécessairement dans des formes culturelles différentes (« une Eglise plurielle centrée sur le Christ »).

Manifestement, au cours de cette dernière décennie, le courant de l’Eglise émergente apparu en son tout début, a significativement progressé dans un certain nombre de pays.  Nous avons mis en valeur les aspirations auxquelles il répond dans une partie importante de la population. Il s’inscrit tout naturellement dans le changement des comportements sociaux comme le sociologue français, Henri Mendras l’a noté dans son dernier livre (« Français, comme vous avez changé » (2004), en évoquant l’Eglise de demain comme « un ensemble de petites communautés reliées par des réseaux, chaque réseau correspondant à une tonalité particulière de croyances et de sentiments où les prêtres (les pasteurs) seraient des experts conseillers des communautés ». Qu’en est-il actuellement en France ? Malgré le travail de sensibilisation réalisé, le courant de l’Eglise émergente est encore peu visible.  Cela tiendrait-il à une faiblesse de la demande ? Une enquête récente permet de répondre à cette question. Il n’en est rien.
À la suite de plusieurs autres recherches réalisées depuis 2001, la nouvelle enquête sur les valeurs des européens effectuée en 2008 et publiée sous le titre : « La France à travers ses valeurs » ** Lire ** , met en évidence l’installation d’un nouveau paysage religieux en France. En effet, par delà certaines continuités et comme suite à tout un processus, on assiste aujourd’hui à un changement majeur : le passage de la prédominance de l’institution catholique à un contexte nouveau  caractérisé par l’affirmation de l’ autonomie croyante  et du « croire sans appartenir ». Or c’est bien dans ce terreau que le courant de l’Eglise émergente progresse dans d’autres pays, car il répond à des aspirations spirituelles qui ne se reconnaissent pas dans les pratiques classiques des institutions religieuses. La réponse à une nouvelle question introduite dans l’enquête est particulièrement instructive : 47% des français disent « avoir leur propre manière d’être en contact avec le divin sans avoir besoin des église et des services religieux ». Ce pourcentage est considérable puisqu’il est supérieur à celui des français qui se disent catholiques (42%), quasiment à égalité à la proportion de ceux qui déclarent une appartenance religieuse (50%) et proche du pourcentage de croyants déclarés en Dieu (53%). Le comportement : « croire sans appartenir » est désormais une réalité centrale dans le paysage religieux français. Et, par ailleurs, en réponse à une seconde question introduite dans l’enquête, on constate un intérêt notable pour la spiritualité identifiée à « un degré d’intérêt pour le sacré et le surnaturel ». 41% des français se disent assez ou très sensibles à la spiritualité. Ainsi, comme d’autres résultats de l’enquête permettent de le penser, on ne peut incriminer une faiblesse de la demande, mais bien plutôt, on peut mettre en cause une inadaptation de l’offre institutionnelle. C’est dire combien une offre alternative, telle que celle qui est proposée par l’Eglise émergente, aurait toute sa place. Quoiqu’il en soit, rien ne peut arrêter une germination spirituelle. Nous sommes tous appelés à écouter : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises » (Ap. 2) ;

Jean Hassenforder


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