Echos de la Rencontre pour l’Implantation et la Multiplication des Eglises (RIME) sur ce thème
Témoins vous avait annoncé ce séminaire, dont le thème est au centre des préoccupations de son groupe de recherche.
Nous étions au milieu de la cinquantaine de pasteurs et missionnaires, rassemblés en Bourgogne, au château de Saint Albain, du 11 au 13 mars dernier, pour suivre l’enseignement et partager le retour d’expérience d’Eric Zander, un orateur que nous avons déjà eu l’occasion de présenter lors de notre rencontre du 4 octobre 2008 ** Voir dans le compte-rendu de cette journée ** .
Eric nous avertit d’emblée : il va nous transmettre l’état actuel de ses réflexions, et de ses expérimentations, résultats de son parcours personnel. C’est dans cet esprit, en essayant d’être la plus fidèle possible, que je vais tenter de retraduire la richesse de ses apports. J’abandonne volontairement les guillemets, car ma prise de notes ne me permet pas de repérer les citations littérales du reste.

1 – L’implantation d’église : duplication ou innovation ?

Un nouveau modèle, pourquoi, pour quoi faire ?

Eric avait choisi l’une des dernières chansons de Laurent Voulzy pour nous faire toucher du doigt ce « pourquoi ? » :
« Jésus, l’entends-tu ?
Ces filles et ces garçons perdus
Ne sont-ils pas assez précieux
Pour tes yeux délicats ? »
Où est Jésus ? Pourquoi tous ces perdus ? Pourquoi cette question alors que Jésus agit à travers nous ? N’y a-t-il pas un fossé entre ce que nous voulons mettre en place pour Christ, et les gens qui continuent à se perdre ? N’est-ce pas lié au modèle d’église que nous voulons implanter, aux structures que nous perpétuons ?

Mat 14.24 nous invite à sortir du bateau. Les disciples rament, mais n’avancent pas, car le vent est contraire. Ils sont pourtant professionnels, et ne manquent pas de ressources. Pierre a dû sortir du bateau : cela n’a aucun sens !
C’est pourtant l’interpellation qu’Eric a reçue personnellement. Et c’est avec un mélange d’angoisse et de passion qu’entendant l’appel de Jésus, il se dirige vers où Il veut. Jésus est-il toujours dans la barque ?

Passant de la modernité à la post-modernité, nous nous situons dans un virage sans visibilité.
L’Homme est de plus en plus spirituel, mais de moins en moins attiré par l’église.
Très schématiquement, il dit :

« Non » à :
« Oui » à :
 L’église
La cohérence
La compréhension
La Vérité
L’absolu
Le collectif
L’institution / l’autorité
La spiritualité
L’expérience

L’émotion

Les vérités
Le personnel : « moi, je crois que… »
L’individuel
La communauté

Passant également de la chrétienté à la post-chrétienté, la culture chrétienne qui était la référence, inscrite au cœur de la vie, devient marginale. Il était autrefois naturel de penser que l’église était un pôle d’attraction. Cette nouvelle marginalité, si nous l’assumions, devrait nous forcer à sortir (de nos habitudes, de notre bateau, …) pour devenir « missionnel ».

Ne devons-nous pas passer d’une ecclésiologie conventionnelle (d’églises  traditionnelles ou contemporaines) à une ecclésiologie émancipée, qui questionne les conventions-mêmes : faut-il un culte ? Faut-il prêcher ? Faut-il un conseil qui ait l’autorité ? Faut-il faire de l’évangélisation ? … Inévitablement, nous devrons sortir « out of the box »…

A cela, des objections se lèvent, mais trouvent vite leurs limites. En voici deux parmi d’autres :
– l’église « biblique » : un modèle d’église biblique, n’est ce pas une utopie ? de quelle église biblique parle-t-on ? de celle d’Antioche ? de Jérusalem ? de Rome ? Déjà trois modèles différents.
– La pérennité de la forme : ne devrait-on pas parler d’idolâtrie de la forme ? la forme (d’église, du culte, …) est-elle si importante ? Un format serait-il porteur de bénédictions ?

Alors, duplication ou innovation pour implanter une église ?

Il existe deux types d’approches d’implantation :
– partir de l’objectif, définir les ressources, passer à l’action,
– partir de l’action (en ayant en amont une vision, une passion), ), l’action produit des ressources, puis on définit l’objectif.
Le premier mode est celui de l’église contemporaine, celui du type « manager », qui utilise une stratégie de duplication et d’adaptation.
Le deuxième, est celui d’une église émergente, un modèle qui ressort de notre propre culture, et permet de vivre l’église comme une rencontre entre le message de Dieu et l’histoire et la culture de l’Homme. Stratégie d’entrepreneur, qui prend des risques, qui demande humilité, questionnement (plus important que les réponses), ouverture, audace. Aucun modèle à dupliquer, mais une source d’inspiration, une attitude, des principes.
Mais, que faire quand la culture ne porte pas les valeurs de l’Evangile ? Examiner les valeurs qui doivent faire l’objet de « rédemption »,  et reconnaître que l’Evangile ne dépend pas de la forme, mais de la personne.  Christ bâtit toujours Son Eglise.

 

2- Le dynamisme relationnel, communautaire :  vers un nouveau paradigme.

Si on pense « chrétienté » au centre, on s’attend à ce que les autres viennent vers nous dans une dynamique d’attraction : l’église au milieu du village.

Sans peur d’être un peu caricatural, on peut schématiser le fonctionnement du  modèle d’église conventionnelle (locale) ainsi : un groupe, un bâtiment, un programme, avec trois dimensions : la célébration (mouvement vertical : louange/adoration), la communion (horizontale), et la mission (rapport entre l’église et le « monde », les « gens du dehors »). L’évangélisation a pour but d’aller chercher « les gens du dehors » pour les amener dans le bâtiment, et les transformer comme « les gens du dedans ».  Le programme règle les dilemmes entre célébration,  communion, mission. L’église « idéale » est celle qui a le plus gros programme, pour attirer le plus de personnes, dans le plus gros bâtiment…

Or dans la post-chrétienté dans laquelle nous sommes entrés, nous sommes en marge de la culture. Le seul moyen de survivre quand on est marginal, c’est d’inverser la dynamique, sortir, aller vers… vers notre société, notre monde, qui est un entrelacement de réseaux. Chacun appartient à plusieurs réseaux (on parle de « tribus »).
Eric nous fait revisiter cette dynamique de réseaux, déjà présente dans le choix des apôtres par Jésus, à partir de Jean 1 35-51 (cousins, frères, habitants de la même ville,…).      

Vers un nouveau paradigme :

Du modèle conventionnel …

– le réseau est extérieur, on procède par invitation : par exemple un sondage d’opinion nous permet de comprendre la composition sociologique de l’environnement de l’église, et faire des invitations à des personnes ciblées pour un événement particulier,
– objectif : présentation / évangélisation : on sort les gens de leur contexte pour leur parler d’évangélisation,
– Le choix se fait sous le mode le la confrontation : dire « oui » pour être sauvé,
– L’entrée dans la communauté nécessite une initiation : quelqu’un qui vient de l’extérieur dans une église locale a tellement besoin de décodage pour comprendre le langage des « gens du dedans » !
– Puis, formation / enseignement une fois qu’on fait partie « du club »… et on forme à imiter…

Et le cycle recommence…

…à l’approche alternative

– le réseau est extérieur, et on s’y intègre : choisir le(s) réseau(x) dans lequel nous sommes à l’aise, authentiques, qui correspond à nos passions. Cela prend du temps. C’est un mouvement inverse du mouvement naturel qui consiste à consacrer tout son temps de ministère à l’église.

Communauté / authenticité : proposer au réseau de vivre une expérience de communauté chrétienne. S’affranchir de la nécessité d’apprendre la culture chrétienne avant d’appartenir à la communauté.  N’est-ce pas un scandale que les gens doivent passer d’abord les murs de l’église avant de rencontrer Jésus ?

Présentation / découverte : les disciples ont eu un chemin de découverte, mais ne comprenaient pas toujours tout. Mettre la priorité sur la relation de communauté qui permet de voir qui est Jésus.

Le choix est issu d’un cheminement  et non d’une confrontation. On abandonne l’image du pont entre les ténèbres et la lumière, et on passe à l’image du chemin. Pourtant, objectera-t-on, sans Christ tout est mal ? du point de vue du salut, certainement. Mais les non-chrétiens peuvent aimer Dieu, avoir envie de bien faire, être en recherche de sens. Ne vaut-il pas mieux regarder en chacun le chemin parcouru ? Le choix est alors une porte sur le chemin, ouvrant un « avec Jésus ».

Formation / tribu : formation qui va toucher tout l’individu, et va se dérouler à l’intérieur du réseau, sur un mode interactif.

3 – Le dynamisme liturgique

La liturgie, c’est quoi ? « L’œuvre du peuple », le déroulement de notre expérience communautaire autour de Jésus, le cœur de l’expression communautaire.
Penser qu’il n’y a pas de liturgie, que tout ressort de l’inspiration spontanée, est une utopie.
La liturgie, pourquoi et comment ?
Dans Jean 4 20-24 : Jésus enseigne à la Samaritaine que le culte n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem… mais “en esprit et en vérité”… dans une vallée où tous se retrouvent.
Il s’agit de vivre la communauté chrétienne, dans un lieu où des traditions chrétiennes différentes peuvent se retrouver.
Tenir compte d’un arrière plan catholique, d’un retour du mystique dans les nouvelles générations.
Selon Mat 13-52 : tirer de son trésor les bonnes choses du passé et de nouvelles.

Les  ambivalences dans la liturgie
– une liturgie inconsciente ou consciente ? la plupart des églises ont une liturgie inconsciente (on n’a pas de liturgie, … mais c’est toujours la même chose). Conscientisons notre liturgie, ce qui nous obligera à réfléchir sur le « pourquoi on fait ou on ne fait pas cela » ; en quoi cela nous aide à nous approcher de Dieu ? que font les autres ? Il est important de réfléchir sur la décoration du lieu, le type d’éclairage, les objets qu’on utilise, l’agencement des chaises, la musique et son volume, … Mais aussi, qu’est ce que ce dimanche veut dire de cette année ? considérer l’année liturgique ouvre une perspective plus large.

– Une liturgie « ex-culturée » ou « in-culturée » (hors ou dans la culture) ? on a tendance à développer en église notre propre culture, ce qui nous isole du monde. Ramener la liturgie dans notre culture, notre héritage culturel et la culture contemporaine : poésie, arts, littérature,  cinéma, musique classique et contemporaine, …

– Une liturgie figée ou flexible ? la liturgie peut comporter des blocs, par exemple : temps d’accueil et de convivialité, salutation et invocation, repentance (Kyrie) et parole de grâce, louange et adoration, « autour de la Bible » et réponse, repas du Seigneur, « vers le monde », envoi et bénédiction. Mais la forme et la place de chaque bloc peut évoluer. Le risque d’une liturgie inconsciente est d’être figée.

– Une liturgie statique ou fluide ? comment se font les transitions entre blocs ? cela doit couler, de façon fluide, comme si l’on voyageait ensemble en suivant Jésus tout au long du culte. Ce qui conduit à suivre un thème.

– Une liturgie mécanique ou organique ? différence entre l’architecte qui suit des conventions très précises pour édifier son œuvre, et le peintre qui travaille à partir de l’émotion qu’il veut faire passer. La liturgie doit se préparer de façon organique,  même si elle se vit d’une façon différente de celle que l’on avait imaginée.

– Une liturgie stéréotypée ou créative ? la créativité est l’expression de l’image de Dieu en nous. Quand elle est exprimée, elle stimule, génère davantage de créativité, de richesse en équipe.

– Une liturgie rendant spectateur ou acteur ? être spectateur, c’est être consommateur. Etre acteur, c’est vivre le culte ensemble. Pensons à la hauteur de la scène, à la disposition des chaises, aux endroits où circulent les micros, où se tiennent les musiciens, où se font les lectures bibliques. Pensons à une homilétique de questionnement, participative, ou ceux qui le souhaitent peuvent réagir au texte par une question « en entendant… je me demande … », ces questionnements restant ouverts, sans réponse toute faite. Mais être acteur suppose que l’assemblée ne soit pas trop nombreuse.

– Une liturgie auditive ou multi sensorielle ? auditive = ce qui nous importe, c’est que ça rentre dans nos oreilles jusqu’à notre cerveau ! multi sensorielle, cela n’aurait-il pas un goût de New Age ? non, on le retrouve dans la tradition juive, avec l’entrée dans le tabernacle (pensons à l’odeur !). Plus on élargit les sens, plus le message est assimilé profondément. Il s’agit de nous conduire dans une expérience qui va nous faire participer corps – âme – esprit (holistique), en utilisant toutes techniques et tous matériaux  à notre disposition.

 4 – Le dynamisme participatif

Cette dernière partie fait explicitement référence à l’expérience de l’Autre Rive à Gembloux http://www.lautrerive.org
Nous vous avions déjà proposé, en annonçant ce séminaire, des vidéos sur le culte alternatif que propose Eric. En voici le lien  ** Voir sur le site www.logoscom.org/animation2.html  Une communauté alternative (1) et (2) ** .

Chacun s’implique dans la communauté :
… dans le culte

L’agencement d’une salle induit instantanément un rapport de spectateur/show, ou bien de participation, y compris pour des personnes qui ne connaissent personne et n’ont aucun arrière-plan religieux.
A l’Autre Rive, la disposition matérielle,  produit de la convivialité : tables, nappes, décoration. Cette table qui constitue un lieu fondamental dans notre culture, la convivialité s’entendant autour de « table – manger – boire »…  L’accueil se fait autour d’un buffet petit déjeuner, pris à table, première étape de la liturgie. Les barrières tombent, on se sent libre de participer.
Les enfants sont aussi accueillis, et se retrouvent  à table, avec des animateurs : le statut donné à l’enfant témoigne des valeurs chrétiennes.

L’homilétique est participative. L’implication des gens dans la prédication peut se faire soit très concrètement : travaux manuels, utilisation d’objets… ou par le questionnement du texte. Par exemple, en méditant l’appel des premiers disciples, des personnes on réagi ainsi : « moi je me demande… s’Il m’avait appelé comme disciple, ce que j’aurais fait ? » ; « moi je me demande si j’ai envie d’appeler Jésus « Maître »… Ces questions restent en suspens, en résonance…
C’est d’une grande efficacité.

L’expérience prime le culte doit permettre de vivre ensemble quelque chose qui nous touche.
Manipulation ?
Oui dans le sens où on crée des conditions pour que les personnes vivent quelque chose qu’on a anticipé en partie, ce qui permet de laisser plus de place à l’Esprit Saint pour faire émerger d’autres choses.
Non car on ne force personne à vivre ce qu’il ne veut pas vivre.

A qui est-ce ouvert ? Quelles sont les conditions d’engagement ?
La personne doit-elle être baptisée pour jouer du piano ? Où place-t-on le curseur entre « eux » et « nous » ? Le choix d’Eric est d’ouvrir largement, et, concrètement :
– dans les lectures : ceux qui sont près à dire publiquement le texte, qu’il soit « né de nouveau » ou pas,
– dans les activités nécessitant une participation régulière (musique), demande d’un engagement dans la durée (une saison) ; les prières pendant les répétitions ouvrent un chemin…
– dans les activités techniques : recherche d’abord de compétence et de volontariat,
– en revanche, pour les interventions spontanées : le parcours de foi est important.

… hors du culte

L’entraide est au cœur de la communauté, qui  peut aussi aider quelqu’un  à « vivre un rêve ».

La communauté s’implique dans le monde

Selon Jean 1 14 : « la parole s’et faite chair », elle a « tabernaclé » parmi nous. L’incarnation c’est le mouvement de Dieu, qui prend chair dans le monde.
Jésus ouvre le rouleau (Luc 4 18-21) et nous dit « priorité aux pauvres ». Ne limitons pas cette exhortation au seul aspect spirituel : les pauvres en esprit, les prisonniers du péché.

Collectivement, la liturgie est orientée vers le monde : la Cène fait venir à la table du Seigneur, pour ensuite retourner à sa place, dans le monde. La parole d’envoi et de bénédiction nous pousse vers le monde.
Plus encore, le culte est l’occasion de manifester un engagement collectif pour le monde (par exemple, collecte de fournitures pour une personne qui part en Inde, collecte pour associations locales…).

Mais ceci suffit-il pour répondre à cette question existentielle pour l’église locale :
« si mon église locale disparaissait demain, qu’est ce qui manquerait à la ville ? Une ligne sur le menu  dans le choix des plats (religieux) ? Ce plat exotique qui fait bien sur la carte mais que personne ne veut manger ? »…

Ainsi, plus encore, la communauté doit-elle, pour exister,  analyser les besoins de la collectivité dans laquelle elle est placée, et contribuer à  y répondre. Eric a procédé à une analyse socioculturelle et économique du contexte. Il ne s’agissait pas de faire une étude marketing pour avoir une église qui attire, mais de comprendre « comment ça fonctionne » : quelle est la dynamique du logement, de la natalité, de la famille, de l’école, du commerce, de la vie associative, … Il a ensuite  partagé certaines constatations avec le Maire, et situé la place, le rôle de la communauté dans cet environnement.

Il ne s’agit pas d’inventer de nouvelles structures pour apporter de l’aide à la collectivité, mais de s’intégrer prioritairement dans ce qui existe déjà, en s’engageant par exemple, individuellement, comme bénévole dans une association d’aide aux démunis.
Promouvoir l’engagement individuel dans l’église suppose de dégager du temps « théoriquement communautaire » : Eric a choisi de ne pas charger la semaine en réunions,  ou études bibliques, afin de faciliter l’engagement individuel des membres de la communauté.

Pour Eric, la disponibilité de l’implanteur est aussi une condition importante pour « inoculer l’Evangile ».
C’est ainsi qu’il visite, rencontre les acteurs de la société, pour comprendre ce qu’ils font, les encourager, et proposer son aide… et qu’il s’est retrouvé chauffeur pour une association d’aide aux démunis une fois par semaine.

Difficile de conclure un tel enseignement…

Pour ce faire, je poserai au lecteur les  questions suivantes, qui ont été soumises en toute fin de séminaire aux participants :
Quels sont de votre point de vue les avantages et les inconvénients de cette démarche ?
Dans votre contexte, qu’est ce qui est applicable ou non ? Qu’avez-vous envie de changer dans vos propres pratiques ?

Et je l’inviterai à nous faire part, s’il le souhaite,  de ses réponses, ** en cliquant ICI **

 

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