La dynamique socio-culturelle.

 

                Revenons maintenant à la dynamique globale de l’Afrique subsaharienne dans un domaine majeur : la dynamique socioculturelle.

                Sur ce registre, le visage de l’Afrique est en train de changer sous nos yeux. « Un peuple dont les deux tiers des membres ont moins de 25 ans forme une société qui change à grande vitesse. Valeurs, normes, relations et organisations sociales y sont bien plus fluides que dans nos populations vieillissantes. Or, ces sociétés en mutation, qui se raccrochent à grande allure au wagon de la mondialisation, vivent des ruptures culturelles et sociales violentes. L’identité africaine se démultiplie, se diversifie, se complexifie… C’est aujourd’hui toute une gamme d’identités qui interagissent… C’est à partir d’elles que se construit l’Afrique de demain » (p.125). L’approche de Jean-Michel Severino et Oliver Ray rejoint celle des sociologues. En quelques lignes, là aussi, ils dévoilent un nouvel horizon : « Alors que les africains continuent à être pensés comme essentiellement ruraux, animistes, pauvres, coupés du monde, dispersés en une vaste mosaïque ethnique, inaptes à la démocratie, les habitants du continent noir sont, dans les faits, de plus en plus urbains. Ils délaissent rapidement les religions traditionnelles au profit de l’islam et du christianisme. Une classe moyenne est en germe dans les villes africaines, branchée sur le monde et ses réseaux. Le marqueur ethnique subit la concurrence de toute une litanie de nouveaux marqueurs identitaires. Les luttes politiques locales rejoignent les aspirations internationales pour forger une génération de démocrates » (p. 126).

               

                Recompositions

                Les auteurs nous aident à discerner les tendances de fond et à en apprécier les effets. Ainsi, ils nous montrent les recompositions qui sont en train de s’effectuer. Au moment où se développent des identités nouvelles, elles se chevauchent. Il y a dans cette évolution une logique mondiale puisqu’on pourrait évoquer à ce sujet le livre de Bernard Lahire sur « l’homme pluriel » (3). Ainsi les attachements anciens se relativisent. On peut attendre une sortie par le haut des conflits ethniques. De même, le progrès rapide des classes moyennes engendre un état d’esprit nouveau où des réseaux se tissent et des informations circulent. Cette société civile construit des relations nouvelles qui rendent caduques les pouvoirs autoritaires.

 

                La révolution numérique.

                 Et d’ailleurs, l’Afrique nouvelle, c’est aussi « l’Afrique branchée ». Dans une terre vierge, on peut construire à neuf. « La révolution numérique inaugure une nouvelle ère en Afrique. Elle est en effet porteuse de gains de productivité considérable que nos économies industrialisées ont connu au tournant du siècle… Mais cette avancée représente un saut en avant bien supérieur dans des pays en développement que dans nos sociétés équipées de réseaux et de services publics performants. C’est le phénomène dit du « leapfroging », lorsqu’un pays brûle les étapes du développement en accédant à des technologies de pointe sans passer par la génération technologique précédente, souvent plus chère et moins efficace » (p.160). il y a là effectivement une accélération de la communication. En une génération, des populations vont passer d’une situation de complet isolat à la participation à la vie du monde. À un autre niveau, dans le domaine de la santé et de l’enseignement, les auteurs font connaître de remarquables réalisations. Sait-on qu’il existe aujourd’hui une université virtuelle africaine qui mène de jeunes africains répartis dans une dizaine de pays du sous-continent à la licence, au master ou au doctorat d’une université canadienne (p.161).

 

                Mutation dans les pratiques religieuses.

                L’Afrique est également la scène d’une véritable mutation dans les pratiques religieuses.

Les auteurs consacrent un chapitre à cette remarquable transformation « En réponse aux besoins de populations en pleine crise de transition, l’islam et le christianisme ont graduellement pris une place déterminante dans les sociétés africaines. Ils en bouleversent les modes de fonctionnement, un phénomène majeur, dont nos sociétés laïcisées peinent à prendre la mesure… » (p. 136).

                Jean-Michel Severino et Oliver Ray nous décrivent ces nouveaux courants qui se développent en terme de réseaux, revêtant souvent une dimension internationale et utilisant à plein les nouveaux médias. Ils mettent en évidence une créativité religieuse qui suscite des communautés nouvelles.

Sur le registre du christianisme comme de l’islam, on observe des comportements souvent analogues que des sociologues comme Danièle Hervieu-Léger nous ont appris à interpréter (4). En effet, on observe à la fois une dynamique communautaire qui répond à la demande d’un lien social indispensable dans une société incertaine et une propension à l’« autonomie croyante » manifeste aussi bien dans le christianisme que dans l’islam. Les églises évangéliques en pleine expansion associent ces deux dimensions. Au total, nous sommes en présence de mouvements puissants qui répondent à des aspirations profondes, mais qui, en même temps peuvent aussi dégénérer en pratiques dominatrices et agressives. Le nouvel horizon s’inscrit dans la dimension internationale : « High-tech et mondialisés, les deux cultes monothéistes participent de l’entrée de l’Afrique dans la mondialisation. Ne prie-t-on pas maintenant de la même façon à Toronto et à N’Djamena, à Médine et à Abuja ? » (p.152).

 

 

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