Mission de Dieu / Mission de l’Eglise

On parle souvent de la mission de l’Eglise, mais cette activité missionnaire dont l’Eglise a souvent historiquement été au centre, est à la fois remise en question et reprise à frais nouveaux dans la conversion et les expériences émergentes. Cette évolution de la conception de la mission s’est construite à partir d’un néologisme ; le mot missionnel. Ce terme a émergé en 1998[33] avec plusieurs intentions. D’abord, il reflète une sorte d’embarras à propos du terme missionnaire tellement connoté et pas toujours positivement. Ensuite, il s’est voulu porteur d’une troisième voie entre libéraux et conservateurs. Mais surtout ce terme est porteur d’une vision de la missiologie. En effet, on voit le plus souvent la missiologie comme étant une branche de la théologie. Or des auteurs comme David Bosch, Leslie Newbigin ou Vincent Donovan ont défendu l’idée inverse : que la théologie, et notamment l’ecclésiologie, est une sous-partie de la missiologie.

Cette conception a émergé dans les années 1930 où on commence à se poser des questions sur la nature de la mission, sur ses buts. Karl Barth fut l’un des premiers théologiens à présenter la mission comme activité de Dieu. Il écrivit un livre : La mission comme problème théologique en 1933. Barth se demandait alors si les motifs missionnaires évoqués depuis ce temps ne constituaient pas une autojustification de la mission, plus arbitraire qu’obéissante à la volonté de Dieu. Aussi suggérait-il que l’on envisage à nouveau la mission sous l’angle théologique comme envoi du Fils et de l’Esprit dans le monde. La théologie barthienne eut une influence considérable sur la pensée missionnaire contemporaine. Lors de la conférence du Conseil International des Missions (CIM) à Tambaran en 1938, une délégation allemande professa : « Seul un acte créateur de Dieu accomplira l’achèvement de son Royaume et l’établissement définitif d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle. Nous sommes convaincus que seule cette attitude eschatologique peut empêcher la sécularisation de l’Eglise ». Et c’est lors de la conférence du CIM, à Willingen en 1952, que l’on voit apparaitre le terme de missio Dei (Mission de Dieu) qui veut que la mission découle de la nature même de Dieu. Ce qui apporte un changement important, car elle n’est plus uniquement au cœur de l’ecclésiologie et de la sotériologie, mais la mission est placée au cœur de la Trinité. La doctrine classique de la missio Dei, comme envoi du Fils par le Père et envoi de l’Esprit par le Père et le Fils, était élargie de façon à inclure un autre « mouvement » : l’envoi de l’Eglise dans le monde par le Père, le Fils et l’Esprit. Depuis Willingen, l’ensemble des confessions chrétiennes ont adoptés ce point de vue.

Cette double perspective théocentrique et ecclésiocentrique est bibliquement fondée à partir de la notion d’envoi (apostolat) qui est au cœur du Nouveau Testament. Il y a une double mise en mouvement : mouvement dont Dieu lui-même est la source quand il envoie son Fils et son Esprit dans le monde, et mouvement de l’Eglise qui envoie à son tour des hommes dans le monde pour témoigner au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. L’envoi de Dieu, la missio Dei, signifie à la fois que la mission dépend de Dieu et lui appartient, de son origine à son terme, et que Dieu lui-même en est l’agent, lui qui, comme Père, envoie son Fils et son Esprit, selon la perspective des chapitres 16 et 17 de l’Evangile de Jean. Dieu est un Dieu missionnaire. La mission est donc un mouvement de Dieu vers le monde et l’Eglise est instrument de cette mission. Il y a Eglise parce qu’il y a mission. Bosch décrit de belle façon : « Prendre part à la mission, c’est prendre part au mouvement d’amour de Dieu pour les hommes, car Dieu est une source d’amour qui envoie » [34].

Cela nous amène à repenser les rapports entre Royaume de Dieu, Eglise de Dieu et la Mission de Dieu. On parle toujours de la mission de l’Eglise, mais ne serait-il pas plus juste de parler de la mission de Dieu, dans laquelle l’Eglise est un agent. On sort du schéma : « Venez à nous » pour entrer dans un schéma : « Va », expression si présente dans la Bible. Le but de la mission de Dieu, c’est l’irruption du royaume de Dieu (dans une double dimension du déjà et du pas encore). L’Eglise ne devient qu’un moyen (parmi d’autres) pour que dans le cadre de la mission de Dieu, le royaume puisse émerger. La mission n’est pas accomplie lorsque des églises existent, mais tant mieux si de nouvelles formes d’église voient le jour et contribuent à faire émerger le royaume de Dieu, c’est-à-dire à faire grandir par le Saint-Esprit la présence de Christ en chacun, mais aussi dans la société, les relations et les valeurs qui la sous-tendent.

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