Attachement à la culture / Attachement au Christ ou à la Bible

Comme le fait remarquer John Hammett, « l’Eglise fait toujours face au double danger de la dépendance culturelle et de l’inadéquation culturelle »[1]. Il poursuit sa réflexion en évoquant le fait que les Eglises émergentes reprochent aux Eglises traditionnelles d’être dépendantes de la culture moderne et inadéquates à la culture postmoderne. Or si cette accusation n’est pas sans pertinence, l’Eglise émergente elle-même court aussi le risque d’être dépendante de la seule culture postmoderne. « L’alternative la plus désirable est que toutes les Eglises acceptent d’être en lien avec la culture, avec le désir de comprendre ses questions et son langage, mais aussi avec une fidélité prioritaire et préalable à l’Ecriture, considérer jusqu’où il est possible d’aller dans l’adéquation avec la culture »[2]. Il est vrai qu’en mettant l’accent sur l’importance d’être culturellement pertinentes, les Eglises émergentes doivent faire face à cette tension entre la culture environnante et une éventuelle contre-culture de l’Evangile. Le rapport d’adhésion à des formes culturelles contemporaines spécifiques peut-il être en adéquation avec le cœur intemporel du message de Jésus et ce qu’il a vécu ?

Plusieurs auteurs émergents ont conscience de cette nécessité de trouver un équilibre et de développer un regard à la fois empathique, mais aussi critique de la culture environnante. Mark Driscoll consacre un chapitre de son livre à identifier sept « démons postmodernes » qui pourraient remplacer les « démons modernes » que l’Eglise émergente veut chasser si elle ne prend pas soin de remplacer les démons modernes par le Saint-Esprit[3]. De son côté, Jason Clark synthétise assez bien ce double défi : « Nous qui sommes dans l’Eglise émergente devons être critiques de la postmodernité autant que nous devrions tendre vers elle »[4].

S’il apparaît donc clairement une tension entre dépendance culturelle et inadéquation culturelle, celle-ci peut être élargie et vue sous l’angle d’une tension entre le désir d’être en phase avec la culture et celui d’être fidèle à Christ ou à la Bible. Les auteurs et acteurs émergents Michael Frost et Alan Hirsch ont une claire vision de la nécessité de cette conjugaison parfois délicate : « L’Eglise émergente missionnelle doit se considérer comme étant capable d’interagir de manière significative avec la culture sans pour autant se laisser séduire par elle. C’est la tâche classique d’un travail missionnaire interculturel : être en phase avec la culture sans compromettre l’Evangile »[5].

Un des nœuds de cette tension entre Evangile et culture se situe dans l’analyse du rapport que Jésus a eu vis-à-vis de la culture de son temps. Dans ce sens, une réflexion sur l’incarnation de Jésus est centrale pour la foi chrétienne, mais a aussi une portée non négligeable pour l’identité de l’Eglise. Si Jésus s’est incarné et qu’il s’est incarné dans une culture donnée, il modélise le rôle de l’Eglise qui après lui et en s’appuyant sur lui joue ce rôle d’invitation à une vie connectée avec Dieu. L’incarnation signifie entre autre que le Christ a pris part à une culture et qu’il ne peut être pleinement compris sans une prise en compte de la culture dans laquelle il a vécu. Le modèle d’incarnation que le Christ nous propose nous montre en tous cas que si une contre-culture doit advenir, elle doit être précédée par un embrassement de la condition de l’autre, qui permettra l’interaction. Voilà un des défis que les Eglises émergentes essayent de vivre : être immergées dans la culture d’aujourd’hui, non pour en épouser tous les styles, mais pour contribuer à la transformer, et accompagner les personnes dans un itinéraire de vie qui les amènera à réfléchir et à voir les choses sous d’autres angles. Pour partager avec nos contemporains, il est nécessaire de les rejoindre dans leur mode de pensée, donner et recevoir, et accepter que l’on puisse aller ensemble vers une transformation mutuelle. « Il est nécessaire de maintenir une pertinence culturelle afin que l’Eglise puisse être véritablement incarnée, mais il est aussi important d’être sensible à la nécessité de développer une approche contre-culturelle qui soit fidèle à la Parole de Dieu et de réaliser que la souffrance pour Christ et en son nom est aussi une part de l’Evangile »[6].

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