Dans cette première chronique québécoise, mon objectif est de donner aux lecteurs de Témoins une vue d’ensemble suffisamment large de la réalité actuelle des Églises au Québec qui n’ont le choix que de répondre aux exigences d’une société devenue laïque et, encore plus, postchrétienne[1]. Pour se faire, je présente en premier lieu un exposé des étonnants partenariats entre des écoles et des facultés de théologie de diverses confessions. Dans un deuxième temps, je ferai connaître un article qui vient de paraître et qui transmet, avec statistiques à l’appui, une compréhension de l’évolution des Églises protestantes et évangéliques au Québec depuis les 50 dernières années avec, comme visée, de projeter notre regard vers l’avenir[2].

Des alliances étonnantes entre les Écoles et les Facultés de théologie

Les Églises au Québec sont bien aux prises avec la postchrétienté dont l’impact se concrétise dans un domaine inattendu et surprenant, celui de l’éducation en théologie. Le fait est que la postchrétienté est celle de toutes les Églises, toutes confessions, traditions et dénominations confondues qui, plus que jamais, ont à apprendre les unes des autres et, parfois, comme dans la formation théologique, doivent créer des alliances qui étaient inconcevables il y a à peine dix ans.

L’alliance la plus remarquable et imprévisible est celle de la Faculté de théologie et de sciences religieuses (FTSR) de l’Université Laval à Québec qui se trouve sous l’égide du Diocèse de Québec (la ville) depuis la fondation du Séminaire de Québec en 1663[3], lorsque la population de la Nouvelle-France s’élevait à 3918 (en 1667[4]), dont 444 pour la ville de Québec. Contrairement aux facultés de théologie à l’Université de Sherbrooke et à celle de Montréal qui ont fermé leurs portes en 2015 et en 2017[5] en raison du nombre d’étudiants en chute libre et du nouvel intérêt pour les études en sociologie des religions en contexte d’une société pluraliste, l’Université Laval a choisi d’ouvrir ses portes à des écoles de théologie protestantes évangéliques de la région de Montréal. Pour ces dernières, considérées par le Ministère de l’éducation du Québec comme étant des institutions privées, leurs étudiants n’avaient pas accès au programme de prêts et bourses du gouvernement qui, d’autre part, ne reconnaissait non plus leurs diplômes. Enfin, trois écoles ont créé des ententes avec la FTSR de l’Université Laval au cours des dernières années : l’École de théologie évangélique du Québec (ÉTEQ), associée aux Frères mennonites (FM) et à l’Alliance chrétienne et missionnaire (ACM), en 2011, l’Institut de théologie pour la francophonie (ITF), associé à l’Association chrétienne pour la francophonie (ACF), en 2013, et l’Institut biblique du Québec (IBQ), associé aux Assemblées de pentecôtes, en 2014. La FTSR est allée encore plus loin en inaugurant une Chaire en missiologie protestante évangélique[6] et puis avec l’emploi du premier professeur protestant de son histoire, en 2017[7]. Cet automne[8] (2019) la FTSR comprend plus de 500 étudiants.

Deux autres alliances s’inscrivent dans cette nouvelle mouvance. L’ITF, en plus de son alliance avec la FTSR pour les étudiants au baccalauréat (un BA en Amérique du Nord équivaut à une licence en Europe), a aussi créé un partenariat avec le Collège Presbytérien de l’Université McGill en août 2019 pour la reconnaissance des études de maitrise de leurs étudiants[9]. Une telle association entre une institution évangélique de tendance charismatique avec une institution protestante traditionnellement considéré par les évangéliques comme libérale ne peut qu’étonner. Mais ce n’est pas tout. Depuis 2018, l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal, associé à l’Université St-Paul à Ottawa, a, pour sa part, engagé un directeur qui fréquente avec sa femme une Église protestant évangélique.

Que devons-nous penser de ces nouveaux partenariats ? Essentiellement, nous témoignons d’un mouvement de rapprochement entre les Églises qui, à l’ère de la chrétienneté, suffisaient à elles-mêmes et, par le fait même, mettaient l’accent sur leurs différences[10]. Aujourd’hui, elles reconnaissent qu’elles ont en commun Jésus-Christ et les Saintes Écritures. De plus, elles forment les futurs pasteurs, prêtres, théologiens et témoins avec une vision plus large de l’œuvre de Dieu au Québec et dans le monde. Ces nouvelles ententes sont porteuses d’espérance pour une Église qui, afin de rendre son message pertinent pour les citoyens du IIIe millénaire, doit repenser sa présence au monde d’aujourd’hui. Enfin, tout ce qui a été engendré par l’Esprit Saint depuis le jour de la Pentecôte, quelque soit l’époque ou la confession, fait parti de notre héritage commun. Édifions-nous mutuellement !

Un regard global et statistique sur les Églises du Québec

Dans le deuxième Bulletin académique de la théologie pratique de l’ITF, paru à l’automne 2019[11], le doyen, Glenn Smith, brosse un portrait des Églises protestantes francophones au Québec, avec un regard sur l’évolution de celles-ci au cours des 50 dernières années. Il présente, premièrement, les transformations religieuses et culturelles qui ont marqués la province dans le but de déterminer ses mutations comme ses continuités. Pour terminer, il esquisse quelques constatations qui influenceront la création de nouvelles Églises au sein de la culture québécoise d’aujourd’hui.

L’analyse qui s’en suit permet de comprendre l’impact, depuis la Révolution tranquille (dans les années 60 quand les Québécois étaient homogènes et de souche européenne), des multiples tendances sociales sur l’évolution du paysage religieux québécois telle la désaffection des Églises traditionnelles ainsi que la relativisation et l’individualisation des croyances et des pratiques spirituelles. Simultanément, les données statistiques témoignent d’une recrudescence de l’activité évangélique au sein des Églises protestantes. La croissance remarquée dans le nombre d’Églises protestantes évangéliques au Québec (une communauté qui demeure largement minoritaire avec 454 Églises (2015) pour l’ensemble des 17 régions administratives de la province et ses plus de 8 millions de citoyens – Tableau 4) est attribuée principalement à l’immigration. Selon Glenn Smith, le « tiers des individus qui fréquentent une Église protestante au Québec sur une base hebdomadaire font partie d’une Église desservant une communauté culturelle distinguable. Toutefois, cette population représente seulement 11 % de la population du Québec » et se retrouve en grande majorité à Montréal. Les tendances énoncées plus haut, fruits de la postchrétienté, ont touchés principalement les enfants de la Révolution tranquille. Toutefois, rien n’est dit à propos des nombreuses personnes, surtout des milléniaux, qui ont aussi quittés les Églises protestantes évangéliques au cours de la dernière décennie ou deux. Sans contextualisation, on peut douter de la pertinence du message de l’Église.

Smith termine son article en faisant une critique du projet d’implantation de nouvelles Églises que les protestants évangéliques prônent comme mission principale de leurs Églises. Il fait valoir que cette stratégie n’a pas jusqu’ici portée les fruits escomptés. Il insiste, alors, sur le besoin urgent pour les Églises de repenser leur approche en se posant les questions missiologiques évidentes tout en commençant par une première : « Qu’en est-il de la contextualisation du message de l’Évangile dans une culture postchrétienne ? »

Pierre LeBel
Montréal

[1] Je comprends la postchrétienté comme étant l’amalgame de quatre mouvements particuliers qui ont chacun marqué l’histoire de l’Occident depuis le siècle des Lumières : la sécularisation, la laïcité, le postmodernisme ainsi que la postsécularité qui en sont ses composantes.

[2] Dans le Québec francophone, ce sont les Églises évangéliques qui ont été l’expression principale du protestantisme depuis les années 1970. Les québécois n’ont pas de témoignage continu du protestantisme comme en Europe francophone depuis la Réforme.

[3] https://www.ftsr.ulaval.ca/350/histoire/notre-histoire/

[4] Gwenaël Cartier (2008), Québec 1608-2008 : 400 ans de statistiques démographiques tirées des recensements, Cahiers québécois de démographie, 37 (1), p. 137. (https://www.erudit.org/fr/revues/cqd/2008-v37-n1-cqd2900/029642ar.pdf)

[5] http://presence-info.ca/article/l-universite-de-montreal-ferme-sa-faculte-de-theologie

[6] https://www.ulaval.ca/les-etudes/chaires-de-leadership-en-enseignement-cle/les-chaires-de-leadership-en-enseignement/missiologie-protestante-evangelique.html

[7] https://www.ftsr.ulaval.ca/notre-faculte/personnel/professeurs/gilles-marcouiller/

[8] Chiffre cité dans une lettre de Gilles Routhier, doyen de la Faculté, adressée aux étudiants au début du présent semestre.

[9] https://www.presbyteriancollege.ca/admissions/programs/masters-of-theological-studies/

[10] https://email.cac.org/t/ViewEmail/d/6E8FDBF13605A8F82540EF23F30FEDED/C26B390CE6BC38670F8C96E86323F7F9?fbclid=IwAR32SQK2DJ76S-0BT_Cfk3qSDyoB3YhNTR1VRfYvvbLdbEqYEF-v1t2QzJ8

[11] Glenn Smith, L’Église protestante au Québec – d’hier à demain : De quoi l’avenir de l’implantation de nouvelles congrégations sera-t-il fait?, Bulletin académique de la théologie pratique, ISSN 2562-4474 – Vol. 1, numéro 2 – Automne 2019, p. 1. http://itf-francophonie.com/pdf/Bulletin-Acad%C3%A9mique-ITF-Automne-2019.pdf

 

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