Une opportunité pour la mission de Dieu ![1]

L’École de théologie évangélique du Québec (ÉTEQ) a tenu, du 16 au 18 septembre, à Montréal, un important colloque sur la postchrétienté qui réunit des chercheur. e. s et professeur. e. s venant de quatre pays européens (France, Suisse, Pays-Bas, Royaume-Uni), des États-Unis et du Canada, dont la majorité du Québec. Ces derniers représentaient cinq facultés et institutions de théologie : l’ÉTEQ, la Faculté de théologie et sciences religieuses de l’Université Laval (FTSR), l’Institut de théologie pour la francophonie (ITF), l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal (IÉR) ainsi que l’Institut d’étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIIMM)[2]. Cette large représentation de théologiens et d’instituts signifie bien l’intérêt que portent les Églises de l’Occident à la question de la postchrétienté. Il faut admettre que cette dernière représente aujourd’hui le contexte socioculturel et politique de toutes les confessions chrétiennes et, de ce fait, ne peut plus être contournée. Comment pouvons-nous comprendre la mission chrétienne et la transmission de la foi au cœur d’une société qui lui a signalé clairement son désintérêt et, encore plus, sa désapprobation ?

Programme en six thèmes

Le colloque a débuté, le jeudi soir, au cœur de la chrétienté québécoise historique : la chapelle de l’ancien Grand Séminaire de Montréal situé sur le flan du Mont-Royal[3] (sur le domaine des Messieurs-de-Saint-Sulpice qui s’y trouvent depuis 1675, à l’époque de la nouvelle France[4]), avec une visite des lieux et un concert d’orgue. Richard Lougheed (ETEQ), l’organisateur principal du colloque après le décès, en août 2020, de Gilles Marcouiller (FTSR) qui était à l’origine du projet, nous a présenté, comme introduction au colloque, un survol de l’histoire de la mission du mouvement évangélique au Québec. Vendredi matin, nous nous retrouvions en pleine rue Ste-Catherine au sein d’une église anglophone, St. Jax[5] (autrefois St James Anglican Church), qui cherche à s’inscrire différemment au cœur de son quartier culturel et universitaire du centre-ville.[6]

Pendant deux jours, le colloque s’est développé autour de cinq thèmes dont chacun comportait de deux à cinq présentations suivies de temps de discussion en petits groupes. Le troisième thème sur le développement de la foi chrétienne en postchrétienté était le seul à n’avoir que deux présentations, ceci afin de permettre la réalisation de six ateliers plus tard en soirée.[7] En fait, le colloque a voulu aussi entendre les voix et le vécu de praticiens, de pasteurs, de femmes, d’étudiants et encore afin de dépasser le cadre strict de l’académique. De ce fait, des organismes comme le C2C Collective, Jeunesse en mission et Pouvoir de changer (autrefois connu comme Campus pour le Christ) ont aussi apporté leur contribution.

Thème 1 Missiologie et postchrétienté

Thème 2 Impacts de la postchrétienté sur la société civile

Thème 3 Développement de la foi chrétienne en postchrétienté

Thème 4 Théologies de la mission

Thème 5 Implantation d’Églises en postchrétienté

La portée du colloque

Je ne peux ici rendre compte de tout ce qui s’est dit au cours de ce marathon principalement intellectuel, certes, mais aussi significatif sur le plan des relations puisque nous étions plusieurs à nous retrouver dans un même lieu pour la première fois depuis le début de la pandémie (plusieurs ont aussi suivi le colloque en streaming. En tout, une centaine de personnes se sont inscrites au colloque et presque la moitié de celles-ci étaient sur place). L’ÉTEQ prévoit, en 2022, la publication d’un volume qui réunira l’ensemble des présentations. Sans tarder, je vous le recommande à tous, car il s’agit d’un reflet large de la recherche, de la réflexion et de la pratique des chrétiens et des églises à l’endroit de la postchrétienté qui nous est commune en tant qu’Occidentaux. Je peux, toutefois, vous partager mes propres impressions et, surtout, les questions qui me sont restées. En fait, l’ÉTEQ m’a invité au colloque comme observateur extérieur afin que je partage à la toute fin du colloque, mes commentaires sur l’ensemble de son déroulement et de son contenu. Je lui suis reconnaissant d’avoir pu y apporter ma voix.

Pour moi, le colloque était l’aboutissement du Forum québécois sur la postchrétienté, fondé à Montréal en 2008, et connu aujourd’hui comme le groupe de réflexion Missio Dei[8], qui a laissé sa marque treize années plus tard. De plus, la présentation de Martin Bellerose sur l’arrivée d’un citoyen-croyant était une production collective du groupe Missio Dei.

Réflexions et questions personnelles

L’Évangile raconte l’œuvre de l’incarnation, de la rédemption et de la réconciliation de toutes choses dans le ciel comme sur la Terre alors que nous prions : « Que ton règne vienne sur la Terre comme au ciel ». L’objectif de ce colloque était de réfléchir ensemble sur comment nous avons à comprendre, vivre et exprimer l’Évangile dans le monde de la postchrétienté québécoise. Le but du règne de Dieu étant la réconciliation achevée de toutes les réconciliations partielles du monde actuel, comment avons-nous réussi à cette tâche ?

Au premier matin, Hannes Wiher a insisté sur le fait qu’en postchrétienté, nous avons à adopter une approche holistique et relationnelle, sans pour autant donner de définitions. Je propose les suivantes :

Holistique signifie la réconciliation dans chacune des relations principales des êtres humains : avec Dieu sur le plan spirituel, avec soi sur le plan psychologique, avec l’autre sur les multiples plans sociaux, et avec la Terre sur les plans écologique et économique ;

Relationnelle signifie le dépassement des dualismes classiques de séculier/sacré, sauvé/perdu, eux/nous, etc., afin de vivre notre foi au sein de notre humanité commune à tous et la reconnaissance du Christ comme celui qui remplit tout en tous.

Dans ce sens, je crois que nous sommes appelés à ouvrir et à étendre nos cœurs et nos esprits afin que l’amour et l’Esprit du Christ vivant et vibrant au plus profond de nous puisse accueillir et répondre aux épreuves, aux ruptures et aux crises existentielles actuelles de l’humanité et du monde. C’est alors que je soumets les prochaines questions. Peut-être pourront-elles inspirer de nouvelles réflexions et peut-être même des recherches universitaires.

  1. Nous sommes-nous laissé suffisamment interpeler par les cris, les questions, les regards et les exigences de la postchrétienté et, encore plus profondément, de l’humanité tout entière, pour remettre en question et reconsidérer nos propositions au monde en termes de notre compréhension du salut et de nos formes ecclésiale et missiologique ?
  2. Est-il possible que nous soyons encore trop timides pour explorer de nouveau et différemment le message et le vécu de l’Évangile dans le monde actuel ? John Skinner, prêtre anglican et co-fondateur de la Northumberland Monastic Community en Angleterre, a dit que, face à la postchrétienté, « l’Église a subi une kénose involontaire ». Existe-t-il une kénose volontaire qui nous pousserait à l’inculturation de la foi comme expression radicale de la contextualisation sans laquelle cette dernière ne peut être actualisée ? Pouvons-nous, à l’instar de Paul, devenir postmodernes pour les postmodernes, séculiers pour les séculiers, laïques pour les laïques ?
  3. Serait-il possible qu’il existe une certaine complaisance, ce que nous pourrions appeler la complaisance du salut, qui nous garde encore aujourd’hui liés aux certitudes de la chrétienté, à l’assurance du salut personnel, sans pour autant avoir à marcher pleinement en nouveauté de vie au cœur du monde ? Je pense à Jacques Grand’Maison qui, face à ce qu’il a appelé « la défunte chrétienté », a lancé un appel « pour un nouvel humanisme[9] ». Comme l’a écrit Paul, « La création entière attend avec impatience le moment où Dieu révélera ses enfants. »
  4. Quand participerons-nous pleinement à la gouvernance du monde aux côtés des autres humains, d’autres citoyens, avec nos racines entremêlées avec celles du monde ? Deux sous-questions seraient : a) quelle est la relation de la sphère religieuse avec les autres sphères de la société que sont l’éducation, les milieux des affaires et des arts, la politique ? b) comment régnerons-nous avec Christ dans les lieux célestes si nous n’avons pas appris à régner comme serviteurs avec lui dans le monde actuel ?
  5. La théologie confessionnelle qui est la nôtre peut-elle nous inspirer la pratique d’une théologie publique qui soit pertinente et crédible pour nos concitoyens au sein de la postchrétienté ?
  6. Serait-il possible, en postchrétienté, de nourrir une spiritualité de l’inhabitation du Christ en nous, l’espérance de la gloire, la communion intérieure avec le Christ qui, par l’Esprit, nous transforme à son image et devient ainsi le socle de notre identité propre ?

 

Pierre LeBel

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Postchrétienté au Québec : une opportunité pour la mission de Dieu !

16-18 septembre 2021, Montréal

[1] https://www.eteq.ca/d8/fr/actualite_article/824?fbclid=IwAR2E9MVL_lZ_IvslBnwWwQ5iK3_U5rRCCeUSE5UA76oPyDfeWeCjWwQdaYY

[2] https://drive.google.com/file/d/14f4ZiN58wIkbXd1t2UoGogkAST0GpXVp/view

[3] https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=168706&type=bien

[4] https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=93303&type=bien

[5] https://www.stjaxchurch.org/en/home

[6] http://stjax.org/en/home

[7] https://drive.google.com/file/d/1VOVnN3lvLvPYFY_KCJ0mDIJUTe9Oze76/view

[8] Brève historique du groupe missio Dei

À l’invitation de la cohorte, un groupe informel de pasteurs et de leaders à Montréal (2003-2007), Gilles Marcouiller, pasteur de la Communauté des Deux-Rives à Québec, a présenté le séminaire Foi et culture au Québec dans les locaux de l’École de théologie évangélique de Montréal (ETEM), à présent connue comme l’ETEQ, un samedi matin par mois de février à juin 2008. Dix personnes ont participé au séminaire dans le but de mieux comprendre l’histoire de la foi et de l’Église au Québec depuis sa fondation au 17e siècle et son contexte socio-culturel du 21e siècle dans lequel ils cherchaient à vivre, interpréter et exprimer la foi protestante évangélique. De ce séminaire est né le Forum québécois sur la postchrétienté (FQP) sous la direction de Gilles Marcouiller (alors pasteur de la Communauté chrétienne des Deux Rives à Québec), Éric Wingender (alors doyen de l’ETEM), Pierre Tessier (alors directeur des Navigateurs au Québec) et Pierre LeBel (alors directeur de Jeunesse en Mission Montréal). De 2008 à 2010, quatre ou cinq réunions ont eu lieu, principalement à l’ETEM, mais aussi à l’Université Laval. Prenant conscience du fait que la postchrétienté était une réalité commune à toutes les Églises, elle était aussi celle des catholiques, dont quelques-uns ont aussi participé à ces réunions. Le but du Forum était « de stimuler, dans ses idées et ses pratiques, le renouvellement de la foi chrétienne dans le Québec du XXIe siècle ». Le forum s’est alors donné comme mission « de créer un lieu public de discussion, de réflexion et d’analyse sur les rapports entre la foi chrétienne et la culture postchrétienne. » Le Forum a contribué à la création de la chaire de leadership en enseignement en missiologie protestante évangélique à l’Université Laval (dont Gilles Marcouiller est devenu son premier directeur) ainsi qu’à l’élaboration de sa mission. Il porte aujourd’hui le nom de Forum missio Deï et est présentement composé de sept membres.

 

[9] https://www.leslibraires.ca/livres/pour-un-nouvel-humanisme-jacques-grand-maison-9782762128055.html

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