La revue Etudes, d’inspiration jésuite, vient de publier un article de Benoit Pigé : « Repenser la gouvernance des paroisses ». (1). L’auteur aborde cette question à partir de sa compétence dans le domaine de la gestion des organisations. C’est un point de vue complémentaire par rapport à l’approche sociologique particulièrement éloquente en ce domaine. Il y a déjà vingt ans, dans un livre magistral : « Le pèlerin et le converti , la sociologue Danièle Hervieu-Léger annonçait la fin de la « civilisation paroissiale » et en analysait les ressorts. L’individualisation croissante venait battre en brèche une organisation impériale. C’était l’affirmation de « l’autonomie croyante » (2). Aujourd’hui, la crise de l’institution catholique est avérée et se traduit par le recul marquant de l’affiliation (3). Dans cette conjoncture, Benoit Pigé interpelle l’institution catholique à travers un article inspirée de l’étude des organisations.

 

Le modèle hiérarchique actuel

Benoit Pigé nous décrit le modèle organisationnel actuel.

L’Église catholique se focalise sur son unité : « Elle hérite de l’empire romain un mode de normalisation extrêmement efficace qui repose sur l’instauration d’un corps de fonctionnaires soigneusement sélectionnés et formés pour assurer l’uniformité des pratiques et des enseignements » (p 82). C’est un fonctionnement hiérarchique. « Une hiérarchie descendante : le pape, les évêques, les curés. Ce modèle repose sur l’obéissance du subordonné vis à vis de son supérieur ». Les curés, formés dans des séminaires diocésains, sont les « garants de la conformité des actes et des sacrements ». Chaque curé est maitre chez lui.

Un certain nombre de fidèles ne se reconnaissent plus dans des communautés paroissiales qui évoluent au vu du changement des curés ». Ce dispositif hiérarchique les déresponsabilise. Ils s’éloignent. « Les sciences de la gestion connaissent bien le phénomène de la fidélisation des clients, des usagers et des pratiquants… Si les clients ne peuvent changer d’organisation, ni manifester leur mécontentement, leur seule possibilité est d’abandonner le type de bien initialement recherché pour satisfaire autrement leur attente (par exemple en se tournant vers les philosophies orientales, en recherchant la réussite professionnelle, etc) (p 85).

 

Un modèle alternatif : partir de la communauté

 « Une communauté chrétienne peut aussi s’envisager à partir du modèle de communauté ». C’est l’approche mise en œuvre dans de nombreuses communautés monastiques. » On part d’une communauté en mouvement appelée à vivre. Alors la question du gouvernement ne devient plus la question fondamentale. Elle devient une modalité pour permettre la vie communautaire » (p 86). L’accent est mis sur une approche anthropologique. « Dieu est premier parce qu’il se révèle d’abord au cœur de l’humain. C’est de cet homme qu’il faut partir pour reconnaître en lui la présence de Dieu » (p 86). Dans cette perspective, le mode de gouvernance n’est plus sacralisé comme précédemment.

A contre courant du modèle hiérarchique qui inspire l’institution catholique, une approche communautaire a été expérimentée par Albert Rouet, évêque de Poitiers (4). « Au lieu de partir de la personne du prêtre, le modèle développé à Poitiers (par les assemblées synodales invitées par Albert Rouet à faire preuve d’audace) est parti des communautés. Toute communauté capable de générer en son sein des membres jugés indispensables pour le fonctionnement d’une équipe d’animation pastorale (EPA) peut être constituée en paroisse… Les prêtres se voient recentrés sur leur mission sacramentelle et liturgique comme étant au service de l’unité et de la communion » (p 88-89). Cette innovation a bien réussi, mais elle ne s’est pas répandue au delà du diocèse de Poitiers.

Cette approche en terme d’étude des organisations met en évidence des dysfonctionnements majeurs au sein de l’Eglise catholique. « La structure de l’Eglise catholique pousse actuellement à une normalisation des comportements et à une conformité apparente alors que l’Evangile exige de sortir de la conformité pour s’attacher à la spécificité de chaque appel », écrit Benoit Pigé (p 91). Cette structure va également à l’encontre des aspirations contemporaines et du développement de l’« autonomie croyante » tel que l’a montré depuis longtemps la sociologue Danièle Hervieu-Léger. Bernard Pigé évoque les justifications théologiques avancées par les tenants de la centralisation hiérarchique et mises en œuvre dans le droit canon, mais l’approche communautaire est non seulement plus efficace, elle nous paraît inspirée par le Nouveau Testament dans les Actes et les Epitres.

Si le système hiérarchique pèse lourdement en faveur de l’immobilisme et a éloigné un grand nombre de gens, il y a aussi néanmoins une pression qui s’exerce en faveur du changement. Dès la fin du XXè siècle, dans un remarquable article (5), Danièle Hervieu- Léger décrivait la transformation des mentalités : « Un des facteurs majeurs de l’effondrement de la civilisation paroissiale a été la progressive déplausibilisation d’un type d’autorité religieuse qui se considère comme fondée à prescrire de l’extérieur les croyances et comportements des fidèles. Contre cette conception traditionnelle du devoir croire religieux, s’impose massivement l’affirmation du principe de l’expérience religieuse personnelle. Cette affirmation prend toute sa force dans la religion de communautés émotionnelles. Mais cette demande subjective inspire beaucoup plus largement l’ensemble des comportements religieux ». Malgré sa rigidité, le système accepte certaines initiatives, selon les lieux et les contextes. Les cours alpha, par exemple, se sont assez largement diffusés. Certains prêtres en responsabilité paroissiale prennent des initiatives. Mais il y a de fortes limites. Ainsi l’innovation majeure du diocèse de Poitiers  n’a pu se propager.

Face à l’immobilité du système paroissial, d’autres voies de changement commencent à apparaître, des pistes nouvelles s’esquissent : pôles d’hospitalité (Danièle Hervieu-Léger) (6), processus de l’Église Liquide (Arnaud Join-Lambert) (7). Plus généralement, il y a désormais une vie chrétienne au delà des institutions. Il demeure que la structure générale de l’Eglise catholique est en porte à faux avec la société et la culture actuelle. L’article de Benoit Pigé est un utile rappel. C’est aussi une ouverture pour de nouvelles formes d’organisation.

Jean Hassenforder

 

  1. Benoit Pigè. Repenser la gouvernance des paroisses. Etudes, février 2021, p 79-91
  2. L’autonomie croyante. Questions pour les églises : https://www.temoins.com/jean-hassenforder-lautonomie-croyante-questions-pour-les-eglises/
  3. Comment le paysage religieux en France a complètement changé en quarante ans : https://www.temoins.com/comment-le-paysage-religieux-en-france-a-completement-change-en-quarante-ans/
  4. Une dynamique de la confiance. L’expérience des communautés locales à Poitiers : https://www.temoins.com/une-dynamique-de-la-confiance-lexperience-des-communautes-locales-a-poitiers/
  5. Danièle Hervieu-Léger. Permanence et devenir du religieux dans les sociétés européennes à l’ouest. Autres temps 38 : https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1993_num_38_1_1582
  6. Danièle Hervieu-Léger. Mutations de la sociabilité catholique en France. Etudes, février 2019 : https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-2-page-67.htm?contenu=resume
  7. Vers une Eglise liquide : https://www.temoins.com/vers-une-eglise-liquide/
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