Quelques caractéristiques clés des Eglises émergentes

 

Si les Eglises émergentes couvrent une réalité multi facettes, dans des lieux géographiques divers, touchant un large champ de traditions confessionnelles et avec des pratiques et des intentions qui peuvent prendre différents axes, ce n’est pas pour autant qu’elles n’ont pas de points communs. On peut ainsi mettre en évidence un certain nombre de caractéristiques qui décrivent la majorité des Eglises émergentes[58]. D’une manière globale, les Eglises émergentes sont des Eglises [1] centrées sur Christ, [2] adaptées à la culture, [3] missionnelles, [4] orthopraxiques, [5] connectées, [6] holistiques,  et [7] à la théologie narrative.

Des Eglises centrées sur Christ

Les Eglises émergentes n’ont pas à proprement parler une christologie spécifique. Simplement, ce qui les caractérise est ce désir de se centrer sur Jésus avec toute la radicalité que cela implique, y compris dans le regard critique que cela peut conduire à poser vis-à-vis du christianisme. Comme le dit Jonathan Campbell : « Connaître Jésus n’est pas un événement, un rituel, un credo ou une religion », et il ajoute : « Nous ne croyons plus en aucune religion – y compris le christianisme – mais nous croyons en l’importance de suivre Jésus »[59].

Des Eglises adaptées à la culture

Les Eglises émergentes ont porté leur attention sur la manière d’être et faire Eglise en contexte postmoderne et mettent l’accent sur l’importance d’inculturer le message de l’Evangile et le vécu de la foi. Lesslie Newbigin a affirmé : « Nous devons débuter avec le fait élémentaire qu’il n’existe pas un Evangile pur, c’est-à-dire qui ne soit pas lié à une culture. […] Toute interprétation de l’Evangile est liée à une forme culturelle »[60]. Dans la lignée de cet auteur très apprécié de nombreux leaders émergents, ces derniers mettent donc l’accent sur le fait que l’Evangile tel qu’il nous est parvenu était lui-même déjà marqué par une culture spécifique. Il s’agit maintenant de prendre en compte la culture environnante d’aujourd’hui pour y proposer et y vivre la foi de manière adaptée. Il est non seulement normal que l’Eglise évolue en fonction de la culture environnante, mais aussi qu’elle puisse prendre des formes variées en fonction de la pluralité des cultures qui cohabitent aujourd’hui.

Des Eglises missionnelles

Une autre caractéristique clé des Eglises émergentes est le fait qu’elles font de la mission un objectif prioritaire de leur raison d’être. Les Eglises émergentes insistent sur le fait que la mission est liée à la nature de l’Eglise. L’Eglise est le peuple de Dieu envoyé en mission. Si la mission est centrale pour l’Eglise, elle doit néanmoins être comprise comme étant d’abord le projet de Dieu. Les émergents en développant leur vision missionnelle de l’Eglise se situent pleinement dans la conception de la missio Dei mise en évidence par les grands missiologues du XXe siècle. Selon cette conception, Dieu n’a pas une mission pour son Eglise, mais plutôt une Eglise pour sa mission : réconcilier le monde avec lui. La mission est donc un mouvement de Dieu vers le monde et l’Eglise est un instrument de cette mission. L’Eglise émergente missionnelle cherche, du fait de cette compréhension, à renverser un certain nombre de valeurs en rapport avec la conception de la mission et notamment à abandonner une approche attractionnelle au bénéfice d’une approche incarnationnelle, comme Michael Frost et Alan Hirsch s’en font l’écho : « Si nos actions impliquent que Dieu n’est vraiment présent que lors des activités officielles de l’Eglise alors il s’ensuit que la mission et l’évangélisation impliquent simplement d’inviter les gens à ces rencontres ecclésiales. En fait, c’est un des principes de base qui fonde l’Eglise attractionnelle. […] L’approche incarnationnelle est à l’opposé de la conception attractionnelle. Au lieu de demander aux non-chrétiens de venir à nous, à nos services religieux, à nos rencontres, à nos programmes, l’Eglise incarnationnelle cherche à infiltrer la société pour représenter Christ dans le monde. […] L’Eglise missionnelle-incarnationnelle commence avec cette compréhension théologique de base : Dieu vient constamment vers ceux qui sont les plus improbables » [61]. 

Des Eglises orthopraxiques

Plutôt que de construire une ecclésiologie basée sur ce que l’on peut considérer comme des croyances justes, beaucoup d’Eglises émergentes se développent à partir de ce qu’elles considèrent comme étant des pratiques justes. En d’autres termes, il s’agit de valoriser non seulement l’orthodoxie mais également l’orthopraxie. Ce faisant, les Eglises émergentes cherchent à affirmer que l’Evangile ne peut être simplement connu et accepté, mais il est appelé à être vécu, expérimenté. La vérité est parfois autant relationnelle que rationnelle. Il ne s’agit donc pas simplement de valoriser l’agir chrétien comme conséquence d’un salut offert par grâce et accepté par la seule raison humaine, mais bien d’expérimenter la plénitude de la relation spirituelle initiée par Dieu. Le désir de nombre de nos contemporains est d’expérimenter Dieu et pas seulement qu’on leur parle de lui. Karen Ward explicite sa vision quand elle affirme : « Nous ne possédons pas la vérité ou ne cherchons pas à corriger les vérités des autres, mais nous cherchons à vivre fidèlement à la lumière de la vérité de Dieu en Jésus-Christ » [62]  . Finalement, les Eglises émergentes cherchent à ce que les enseignements bibliques ne restent pas théoriques mais se déclinent de manière tangible.

Des Eglises connectées

La notion de connectivité n’est évidemment pas une spécificité des Eglises émergentes, mais l’évocation de ce qui caractérise ces nouvelles formes d’Eglise ne pouvait faire l’économie d’une réalité vécue tant par ceux qui constituent ces communautés que pour décrire certains aspects du fonctionnement même de ces Eglises. Leonard Sweet, Brian McLaren et Jerry Haselmayer considèrent que la notion de connectivité signifie trois choses pour les Eglises émergentes : « Premièrement et avant tout, être branché à l’Esprit Saint, la source de puissance que Dieu a mise à notre disposition pour répondre à nos besoins. Deuxièmement, être en phase avec la culture numérique environnante, que ce soit en termes de ministère ou de mode de fonctionnement personnel. Troisièmement, être connecté socialement, c’est-à-dire être en lien avec autrui » [63]. Ils affirment donc qu’être connecté est une réalité multifacettes qui touche à la fois la spiritualité, les modes de communications et les relations sociales.

Des Eglises holistiques

La majorité des Eglises émergentes cherchent à faire tomber les barrières de séparation qui peuvent exister entre ce qui est sacré et ce qui est séculier. Considérant que cette dichotomie est le fruit de la modernité et du processus de sécularisation, il s’agit en postmodernité de sortir de cette vision dualiste pour pleinement apprécier la présence de Dieu potentiellement partout et tout le temps. Il n’y a donc plus, dans la pensée émergente, de lieux sacrés, de temps sacrés, ni de personnes sacrées. La notion de sacralisation est d’ailleurs à distinguer de la vision probablement plus biblique de la sainteté. Partout où Dieu est reconnu et célébré est un lieu saint. La parole psalmique « C’est au Seigneur qu’appartient la terre, avec tout ce qui s’y trouve, le monde avec tous ceux qui l’habitent »  [64]  est paradigmatique de cette approche ecclésiale holistique. Ce désir des Eglises émergentes de dépasser la traditionnelle distinction entre ce qui est sacré et séculier peut les amener à utiliser des musiques, de la littérature, des films non spécialement chrétiens jusque dans les cultes. Si les temps ou les lieux habituellement réservés à ce qui est spirituel se voient envahis par des références considérées comme séculières, l’inverse est également vrai. La vie quotidienne, quels que soient ses lieux, ses moments, les rencontres qu’elle suscite, deviennent des lieux d’Eglise pourvu que la présence de Dieu y soit incarnée et manifestée.

Des Eglises à la théologie narrative

Les postmodernes n’aiment peut-être pas les “grands récits” mais ils apprécient les récits. Ils font parfois fi de l’Histoire mais apprécient les histoires. Ceci est une manière de dire que les Eglises émergentes aiment à s’appuyer sur une approche narrative de la théologie. En effet, plusieurs penseurs de l’Eglise émergente considèrent qu’il est nécessaire de marquer une évolution et de passer d’une théologie de proposition à une théologie narrative. Se plaçant dans la lignée de la longue tradition qui remonte à Jésus et au-delà, la théologie narrative considère que la Bible est d’abord l’histoire de l’interaction entre Dieu et les hommes. Cela ne signifie pas que les Ecritures ne contiennent pas un certain nombre de vérités fondamentales, mais celles-ci doivent d’abord être entendues dans la dynamique d’une histoire en marche qui continue jusqu’à aujourd’hui dans la manière dont cette histoire peut se réaliser dans la vie des croyants, dans la vie des communautés. Laissant une place au mystère, l’approche narrative permet l’adhésion à des parcours de foi par identification avec des figures bibliques, ou avec des figures de chrétiens d’hier et d’aujourd’hui. Sans exclure une pensée conceptuelle à propos de la foi, il est donc aussi possible de distinguer les modes d’action de Dieu dans les histoires des uns et des autres.

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