L’Eglise émergente, un concept aux frontières flexibles.

Les Eglises émergentes couvrent une réalité multi facettes, dans des lieux géographiques très divers, et touchent un large champ de traditions confessionnelles. Apparues aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays de l’Europe de l’Ouest à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, l’émergence de ces nouvelles formes d’Eglise a été décrite par ses promoteurs comme un mouvement[18], un courant[19], un processus[20], une conversation[21], un état d’esprit[22]. Certains évoquent une Eglise liquide[23], une Eglise organique[24] ou encore de nouvelles expressions d’Eglise[25]. Il est vrai que sous le vocable d’Eglises émergentes, on trouve tout un spectre d’initiatives diverses et variées. C’est pourquoi, autant que faire se peut, il importe de tendre vers une définition des Eglises émergentes, de montrer qu’elles sont partie intégrante de la dynamique d’une histoire en marche, mais aussi d’apporter quelques précisions terminologiques et conceptuelles.

Voici l’une des définitions les plus répandues et les plus appréciées à propos des Eglises émergentes. « Les Eglises émergentes sont des communautés qui pratiquent la voie de Jésus au sein des cultures postmodernes »[26]. Une des critiques que l’on peut faire à cette définition est qu’elle est trop large et pourrait finalement plus ou moins s’appliquer à toutes les Eglises. Il est vrai que les Eglises émergentes touchent au domaine de l’innovation et concernent une réalité mouvante, ce qui rend toute définition forcément incomplète. C’est pourquoi, il n’y a pas d’unanimité à propos d’une définition précise et exhaustive à propos des Eglises émergentes. De nombreuses définitions se côtoient, et pour définir aussi bien que possible ce dont on parle, on ne peut éviter de passer par cette diversité de définitions.

Dans leur livre Emerging Churches, Eddie Gibbs et Ryan Bolger, les auteurs de la définition évoquée, précisent leur pensée. S’il est clair qu’elles ont de réelles différences entre elles, les Eglises émergentes ont aussi de nombreux points communs et c’est en s’appuyant sur ces objectifs partagés qu’ils ont proposé une définition assez consensuelle et plus complète que celle souvent retenue. Pour eux, « les Eglises émergentes sont des communautés missionnelles qui voient le jour dans la culture postmoderne et qui sont constituées de suiveurs de Jésus qui cherchent à être fidèles à leur lieu et leur temps »[27]. Dans cette définition, on trouve notamment deux éléments clés concernant les Eglises émergentes : le désir d’une certaine adaptation de l’Eglise à la culture postmoderne, et une dimension d’évangélisation le plus souvent appelée missionnelle[28] pour que l’Eglise contribue à ce que des personnes sans culture d’Eglise, ni foi engagée, puissent développer une relation personnelle et communautaire avec le Christ.

Dans la même veine, selon Brian McLaughlin, « le mouvement de l’Eglise émergente est une conversation en cours à travers le monde à propos de la manière dont l’Eglise chrétienne doit répondre et être engagée dans la culture postmoderne émergente afin de continuer à faire progresser la mission de l’Eglise »[29].

Les Eglises émergentes développent le plus souvent une approche flexible de la foi, la considérant  plus comme un cheminement que comme une destination. L’utilisation de moyens de communication modernes tels que l’Internet, l’image, la vidéo, y est fréquente. La créativité est prédominante ainsi qu’une vision holistique du rôle de l’Eglise dans la société. Ainsi, pour Henk De Roest, « une Eglise émergente commence avec le désir missionnel de démarrer une Eglise dans un environnement informel, dans le contexte et la culture du groupe impliqué »[30]. Dans la même lignée, Bruce Sanguin parle des Eglises émergentes comme de « congrégations qui relèvent les défis du monde postmoderne avec créativité et vitalité »[31].

Cependant, Jonny Baker reconnaît que l’expression Eglise émergente est un terme attrape-tout. Mais, « c’est pour cela que je l’aime bien » dit-il. « L’Eglise, telle que nous l’avons héritée, ne marche plus pour de nombreux groupes de la population. Le monde a tellement changé. Ainsi, je pense que le terme Eglise émergente n’est rien de plus qu’une manière d’exprimer que nous avons besoin de nouvelles formes d’Eglises qui soient en lien avec la culture émergente »[32].

Pour Scot McKnight, « il n’existe pas d’ “Eglise” émergente. C’est un mouvement ou une conversation. […] Les leaders sont déterminés, à ce stade, à éviter que cela devienne autre chose qu’une association aux contours imprécis de ceux qui veulent explorer la conversation à propos de la foi chrétienne, de la mission chrétienne et de la praxis chrétienne dans ce monde qu’est le nôtre, et ils veulent explorer cette conversation avec liberté et impunité quant aux questions de doctrines »[33]. Il ajoute que le mouvement de l’Eglise émergente n’est pas défini par sa théologie. Ce serait lui faire violence. En effet, le mouvement émergent n’est pas d’abord connu pour ses innovations doctrinales, ou pour ses positions confessionnelles. Ceci étant, il est clair que tout mouvement est « théologique » dans un sens ou un autre, ce qui est donc le cas pour l’Eglise émergente. Mais « il faut garder à l’esprit que ce n’est pas un mouvement “réformé” avec un nouveau tournant, ou un mouvement “anabaptiste” avec de nouveaux leaders, ou encore un mouvement “wesleyien” apparaissant des siècles plus tard. Il est plus juste de voir le mouvement émergent comme une conversation à propos de théologie, mais avec toutes sortes de théologies représentées, avec de nombreuses personnes qui adhèrent aux crédos classiques dans de nouvelles tonalités »[34].

Si dans la première partie de sa définition, Mark Driscoll évoque cette notion déjà mentionnée du lien entre Evangile et culture, il met en évidence et accepte la tension que cela implique : « L’Eglise émergente est un mouvement qui se développe mettant en liens principalement de jeunes pasteurs qui sont heureux de voir se profiler la fin de la modernité et qui cherchent à fonctionner en tant que missionnaires qui apportent l’Evangile de Jésus-Christ aux cultures émergentes et postmodernes. L’Eglise émergente accueille favorablement la tension qui existe dans le fait de tenir dans une main fermée la vérité qui ne change pas de la théologie chrétienne évangélique et de tenir dans une main ouverte les différentes approches culturelles permettant de montrer et de présenter la vérité chrétienne en tant que missionnaire »[35]. Rowan Williams, l’archevêque de Canterbury, dans la préface du rapport Mission Shaped Church qui a initié de très nombreuses expériences d’Eglises émergentes[36] en Grande-Bretagne va également dans le sens de permettre des expressions d’Eglise qui soient fidèles à la fois au Christ mais aussi à l’époque et au lieu dans laquelle l’Eglise vit : « Si l’Eglise est ce qui advient quand des gens rencontrent Jésus le ressuscité et s’engagent à faire perdurer et approfondir cette rencontre dans leurs rapports avec autrui, alors il existe un large espace théologique pour une diversité de rythme et de style, du moment que nous avons les moyens d’identifier le même Christ vivant au cœur de chacune des expressions de la vie chrétienne commune »[37].

 

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