SpinozaL’œuvre de Spinoza nous invite à découvrir une conception très personnelle de la religion, du libre-arbitre, des passions ou du bonheur. Car il est possible d’être heureux et c’est la bonne nouvelle que nous livre Spinoza !

L’œuvre de Frédéric Lenoir nous invite à découvrir la vie et la pensée de Baruch Spinoza (1632-1677). Il ne s’agit pas pour lui de la « récupérer » pour en faire une admiratrice utile au christianisme, ni de détourner le sens du spinozisme – compris parfois comme un athéisme pratique. Il s’agit d’en extraire sa valeur de miracle pour aujourd’hui, de restituer sa force explosive au quotidien et son éthique du bonheur, révolutionnaire pour son temps. Elle tente de rendre abordable une philosophie qui, certes se libère de la théologie institutionnelle, une position inédite pour la société conservatrice du 17ième siècle néerlandaise mais qui n’en reste pas moins difficile d’accès. L’œuvre majeure de Spinoza, l’Ethique (1677), se veut une philosophie pratique qui invite l’homme à dépasser son état de servitude émotionnelle.  Descartes, contemporain et référent de Spinoza, fut le premier à douter de tout, sauf de son Dieu. Ainsi Spinoza nous propose de connaitre le bonheur selon une véritable rencontre avec Dieu et non selon les enseignements théologiques faisant alors foi : “Le bien suprême de l’âme est la connaissance de Dieu ; et la vertu suprême de l’âme, c’est connaître Dieu[1]“.

D’ailleurs Spinoza ne réfute en rien l’existence de Dieu; il déclare ” L’opinion qu’a de moi le vulgaire qui ne cesse de m’accuser d’athéisme ; je me vois obligé de la combattre autant que je pourrai[2]“, mais pour autant il affirme aussi ne “pas avoir besoin de suivre des rites religieux, quels qu’ils soient. Sa religiosité est une spiritualité toute personnelle qui se construit par les seules forces de sa raison[3].”

Cette liberté, l’auteur néerlandais va la payer chère. A 23 ans Baruch Spinoza est frappé par un Herem (excommunication de la communauté juive) de la part des autorités religieuses juives. Le 27 juillet 1656, se déroule en effet dans la synagogue d’Amsterdam une cérémonie aussi rare que violente qui voit un jugement définitif à l’égard du jeune penseur. Voici un extrait du texte : ” A l’aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté(…). Qu’il soit maudit le jour et maudit la nuit (…). Veuille l’Eternel ne jamais lui pardonner (…). Que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais (…). Qu’il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l’approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits[4]

Quelle brutalité!

Cette condamnation, certains de nos contemporains l’ont vécue ou la vivent de la part de l’institution religieuse. Certains, pour ne pas la subir, s’excluent ou s’éloignent eux-mêmes des églises. Ils vivent alors en marge des institutions. Une position qui, à l’image de Spinoza, ne remet pas en cause une spiritualité sincère, vivante et libre tout comme beaucoup de chrétiens la vivent au sein de l’église. C’est tout le paradoxe de Spinoza. Un esprit difficile à cerner dont les frontières de la pensée sont parfois difficiles à saisir.

Sur la personne de Christ, Spinoza est là encore en décalage par rapport à son héritage: “La voix du Christ peut être appelée la voix de Dieu. (…) En ce même sens, nous pouvons dire aussi que la Sagesse de Dieu, c’est-à-dire une Sagesse surhumaine, s’est incarnée dans le Christ, et que le Christ devient voie de Salut[5]“. Frédéric Lenoir précise que “Spinoza, qui connait par cœur l’Ancien et le Nouveau Testament, est frappé par le discours du Christ car c’est pour lui un homme simple, qui n’a reçu aucune éducation poussée, mais qui ne prononce que des paroles véritables, profondes et universelles[6].” Dans l’Ethique, il suggère que le Christ correspond à l’homme libre véritable, qui n’a que des idées adéquates[7]. Mais dans une lettre à un ami s’inquiétant de savoir s’il croyait en l’incarnation de Dieu en l’homme Jésus Spinoza précise que cette idée “est aussi absurde que de dire que le cercle a pris la forme d’un carré[8]“…

L’œuvre de Spinoza nous invite ainsi à découvrir une conception très personnelle de la religion, du libre-arbitre, des passions ou du bonheur. Car il est possible d’être heureux et c’est la bonne nouvelle que nous livre Spinoza! Il faut pour cela fuir les passions tristes (la haine, l’anxiété, la jalousie…) qui dégradent la qualité de notre être. Il nous invite à chercher le plaisir, ici et maintenant.

Partons donc sans plus attendre en quête de ce bonheur qui libère tout en nous incluant dans une dimension sociale fondatrice.

Fred Menigoz

Aout 2018

[1] L’Ethique livre III

[2] Lettre à Henry Oldenburg 1665.

[3] Le Miracle Spinoza, Frédéric Lenoir, Fayard, p. 80

[4] Spinoza, Steven Nadler, Bayard 2003

[5] Traité de théologico-politique, chapitre 1, p. 624-625

[6] Le Miracle Spinoza op. cit. p. 82

[7] Ethique, IV, p. 68

[8] Lettre à Henry Oldenburg n° 73

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