Un village centrafricain de la grande forêt équatoriale face au réchauffement. Témoignage de Rodolph Gozegba

Je m’appelle Rodolphe Gozegba de Bombémbé et suis originaire de la République Centrafricaine. J’ai été élevé à Bangui mais ai eu la chance de passer toutes mes vacances scolaires dans le village natal de ma mère qui se situe à 45 kilomètres au sud de la capitale dans ce que nous appelons communément la grande forêt (jungle ou forêt vierge pour les Européens).

Ce village porte le nom de Bossongo et me tient particulièrement à cœur.

Mon activité professionnelle m’a longtemps tenu éloigné de mon pays. J’y retournais bien de temps en temps mais la période réduite de mon séjour me cantonnait à la capitale où résidait la majorité de ma famille. Bossongo restait cependant dans mon cœur et parfois se rappelait à moi par des images de verdure, de sérénité, de grande forêt dense regorgeant de richesses de toutes sortes, de joyeux gazouillis d’oiseaux de toutes espèces, d’une végétation luxuriante de fleurs et de plantes de toutes hauteurs. Les habitants m’apparaissaient souriants et pleins de joie de vivre. Je me souvenais aussi de mes camarades exubérants, des fêtes sans fin des samedis soirs où tous les habitants dansaient gaiement au son des tam-tam et tambourins ainsi que des longues veillées animées par les anciens du village qui racontaient des contes qu’eux même avaient appris de leurs ancêtres à des enfants et des adultes captivés par leurs récits.

Ces magnifiques souvenirs étaient gravés en moi et me galvanisaient souvent face aux difficultés de la vie.

En juin 2018, les circonstances m’ont permis, lors d’un séjour en Centrafrique, de retourner à Bossongo.

Sur la route m’y emmenant, mon cœur était rempli de joie. Les images de mon enfance me revenaient encore plus fortement et je me réjouissais de retrouver ce village que j’aime.

A son approche, je sentis mon enthousiasme s’envoler peu à peu et être remplacé par une grande déception, un grand chagrin.

Le village n’était plus lové dans la grande forêt, mais était entouré d’une immense zone presque désertique.

La chaleur était étouffante ; le village avait perdu tous ses arbres et n’offrait plus aucune zone d’ombre permettant de se protéger des rayons ardents du soleil.

Ma famille m’a réservé l’accueil chaleureux auquel je m’attendais mais j’ai vite compris qu’elle était en désespérance. Elle avait du mal à se nourrir correctement : plus de gibier, plus de poissons, parfois même des puits sans eau.

Sur le chemin du retour, mon impuissance face à ce drame m’a poussé à de profondes réflexions et je n’ai pu que m’attarder sur les nuisances climatiques que subit Bossongo. Le problème du changement climatique touche le monde entier, mais n’a pas encore été porté à la
conscience des habitants de Bossongo dont la première préoccupation est de trouver leur subsistance.

Or il me semble essentiel d’intéresser ces habitants au problème environnemental, de les sensibiliser et de les mobiliser.

Cette analyse m’a conduit à la rédaction de l’ouvrage Zokoué dont le but est, entre autres, de sensibiliser les habitants de Bossongo et à travers eux tous les Centrafricains. Il est temps pour eux de prendre leurs responsabilités face au changement climatique et d’engager des actions de préservation de l’environnement et de lutte contre les méfaits déjà tangibles.

En ma qualité de théologien et fervent admirateur de Jürgen Moltmann, je ne peux m’empêcher de faire appel à sa pensée, dans cette circonstance. Selon les statistiques, la République centrafricaine est un pays laïc comptant environ 82 % de chrétiens. Moltmann prône l’engagement de l’Église en dehors des murs de ses lieux de culte. Celle-ci doit s’investir dans la vie sociale locale tout en s’appuyant sur les préceptes chrétiens. Ainsi il me paraît opportun que forte de sa présence dans le pays elle s’engage au niveau national pour la sensibilisation de tous les Centrafricains au problème environnemental.

 

  1. Rodolphe Gozegba, boursier du Défap originaire de République centrafricaine, a soutenu sa thèse de doctorat le 10 décembre 2020, à l’Institut protestant de théologie de Paris. Son travail portait sur le thème : «L’espérance et le Dieu crucifié. La réception de l’œuvre de Moltmann dans la théologie francophone». Rodolphe Gozegba a reçu le titre de docteur en théologie avec la mention «félicitations». https://www.defap.fr/2021/01/15/une-theologie-de-lesperance-et-des-recommencements/

Voir aussi l’article paru sur le site Témoins.com : https://www.temoins.com/ecologie-en-centre-afrique/

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