Face au confinement, le développement de la communication internet dans les églises : chance ou pis-aller, par Jean Hassenforder

Face au confinement, de nombreuses églises ont mis en place un dispositif internet pour remédier à l’absence de célébrations : messes, cultes, assemblées. L’effort a été considérable et des résultats appréciables ont été observés. Cependant, on perçoit aussi un certaine morosité.

On peut effectivement s’interroger quant à la comparaison entre l’ancien et le nouveau système de communication, quelque provisoire qu’il soit, en terme de perte, d’équivalence et de gain.

La perte, c’est incontestablement le vécu fraternel, un vécu qui pouvait être porteur au-delà même du message communiqué, un vécu qui pouvait également déboucher sur une communion mystique. Cependant, il existe une dimension de ce vécu essentielle : le petit groupe. A cet égard, la communication internet porte également la conversation (1). L’équivalence s’effectue au niveau de la transmission d’un enseignement, d’un message. On découvre aujourd’hui que l’enseignement magistral, les conférences sont facilement transmissibles par internet. Cela vaut pour les prédications. Et, de plus, on peut envisager une grande variété de messages correspondant à une grande diversité de cheminements. Le gain, ce peut être une invitation à voir plus grand, à voir plus loin, à regarder hors les murs et à s’adresser à tous les gens en recherche qui ne fréquentent plus les églises.

Justement, une vision plus large, au-delà du provisoire, serait bien utile. C’est là qu’on peut se rappeler de l’effervescence créatrice, qui, en milieu anglophone, porte des innovations dans la communication internet sur le registre chrétien. De nombreux chercheurs comme Heidi Campbell et Tim Hutchins ont mis en valeur ce grand mouvement qui va jusqu’à la création de nouvelles églises sur la toile (2). Un article particulièrement éclairant sur ce sujet est paru dans le « Journal of technology, theology and religion » : « Virtual churches, participatory culture and secularization » (Églises virtuelles, culture participative et sécularisation) (3). L’auteur, Stephen Gelfren, envisage cette question dans une perspective historique et sociologique en se référant à des chercheurs reconnus.

Premier constat : il y a un lien étroit entre la culture globale et l’usage des moyens de communication. L’histoire en témoigne. La Réforme s’est propagée à partir du livre. Les réveils évangéliques du XVIIIè et du XIXè siècle ont emprunté de nouveaux moyens de communication. On ne peut, on ne doit opposer la communication en terme de vécu ordinaire et la communication internet. Déjà, Antonio Spadaro, sur ce site consulté (4), aboutissait à la même conclusion.

Aujourd’hui, à quoi tient le succès de certaines églises virtuelles dans la sphère anglophone ? Elle intervient à un moment où la théorie de la sécularisation a perdu son influence dominante dans le registre sociologique. Stephen Gilfren s’interroge sur les rapports entre la culture actuelle et l’expression religieuse.

Ainsi il rejoint Charles Taylor (5) qui met en doute la théorie de la « soustraction » selon laquelle la foi religieuse disparaitrait de la modernité. Il voit au contraire « une pluralisation croissante et la possibilité de choisir sa foi ». Il n’y a plus de frontières fixes entre les différentes traditions. Et de nouvelles expressions religieuses apparaissent. L’attachement aux institutions va en décroissant. C’est la vision de la sociologue Grace Davies qui parle de « believing without belonging » (croire sans appartenir). Stephen Gilfren se réfère aussi à l’approche des sociologues Paul Heelas et Linda Woodhead qui envisagent la condition religieuse contemporaine en terme de « subjectivisation » croissante. « La religion devient subjective et optionnelle. Les gens sont libres de choisir leur propre arrangement religieux ». « Au lieu d’être de simples consommateurs de foi, les gens ont plus de pouvoir en terme de collaboration et de participation ». « Le monde religieux a grandi et s’est différencié ». « Ce qui vaut ainsi pour la pratique ordinaire s’applique tout particulièrement dans le monde virtuel ».

Les églises virtuelles interviennent dans cet univers. Elles sont variées et ne sont pas la seule expression de la vie religieuse et spirituelle sur internet. Comme l’écrit Manuel Castells : « Internet est le moyen de communication qui permet pour la première fois la communication de beaucoup de gens avec beaucoup de gens en temps choisi et à une échelle globale ». « Ce sont souvent des gens qui n’ont pas d’attachement à une religion particulière qui sont pionniers de la religion sur internet ». Différentes expressions de la foi religieuse peuvent apparaître. Internet « peut permettre la traduction du message chrétien dans un langage contemporain ». La culture participative, en grand développement par ailleurs, est très présente sur la toile. La relation y a un caractère majeur.

A la lumière de cette approche, l’expérimentation de la communication internet entreprise par les églises à l’occasion du confinement nous paraît une occasion exceptionnelle pour envisager cette communication dans une perspective plus vaste. Cette entrée sur internet peut être envisagée comme une chance et non comme un pis-aller.

J H

  1. Partager une communion spirituelle en petits groupes skype : http://vivreetesperer.com/partager-une-communion-spirituelle-en-petit-groupe-skype-un-nouveau-moyen-de-communication/
  2. Quelle vie en église à l’ère numérique ? Un apport de la recherche anglophone : https://www.temoins.com/quelle-vie-en-eglise-a-lere-numerique/
  3. Spephen Gelfren. Virtual churches, participatory culture and secularization. Journal of technology, theology and religion, january 2011 (rapporté sur Academia)
  4. Cyberespace et théologie : https://www.temoins.com/cyberespace-et-theologie/
  5. L’âge de l’authenticité : https://www.temoins.com/lage-de-lauthenticite/
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