Pistes pour une spiritualité écologique

Dès les premières pages de son plus récent ouvrage, le prêtre et théologien André Beauchamp — mieux connu au Québec pour sa longue lutte pour la sauvegarde de l’environnement[1][2] — précise que celle-ci se situe dans la relation qu’entretiennent les êtres humains avec la Terre.

« La crise actuelle est une crise humaine, provoquée par l’être humain. C’est pourquoi on nomme notre époque “anthropocène”. » (p. 9) Ce néologisme, paru en l’an 2000, annonce « une nouvelle ère géologique marquée par l’homme »[3]. Cette crise planétaire concerne principalement les humains, car, comme le fait comprendre l’auteur, malgré les graves conséquences de nos actions au sein de la biosphère, telle la disparition de centaines d’espèces de végétaux et d’animaux, la nature peut assurer son évolution différemment comme elle l’a déjà faite à d’autres moments de son histoire. « La menace concerne une espèce qui nous est chère, la nôtre. » (p. 8) C’est la survie de l’humanité dont il est question.

Notre relation au monde a changé, « une dislocation d’un rapport vivant » (p. 17) s’est produite du fait que nous ne vivons plus en relation avec la Terre, comme faisant partie de la Terre. Nous vivons aujourd’hui sur la Terre, en antipathie avec elle. André Beauchamp précise quatre facteurs — « bombes » — qui ont contribué à cette crise : la pollution, la démographie, la consommation et l’injustice des inégalités et de la pauvreté[4]. Ensemble, ils représentent « la manière d’être de notre société développée » dans ses multiples dimensions culturelles, sociales, politiques, éthiques, techniques et spirituelles (p. 23). De toute évidence, il nous faut réapprendre notre relation à la Terre et ne pas sombrer au désespoir de la collapsologie (de l’effondrement) ou de la négation.

Une transformation spirituelle  

Afin de répondre aux exigences et enjeux actuels de notre planète, l’auteur propose que nous ayons à comprendre notre relation avec le cosmos et agir en conséquence. C’est ce qu’il appelle « une spiritualité de l’environnement » (p. 30). Il présente succinctement la spiritualité comme « ce qui nous permet de respirer » et nous « ouvre l’horizon, élargis le regard et permet de mettre en perspective, de donner un sens à ce que l’on voit » (p. 27). En d’autres mots, nous sommes appelés à vivre, en langage biblique, une véritable metanoïa (Mt 4,17) dont le sens est de changer notre façon de voir et de penser.

André Beauchamp aborde le lien entre la spiritualité et la religion tout en reconnaissant que cette dernière est mal vue et incomprise dans la société séculière d’aujourd’hui. La religion pourtant offre un cadre pour approfondir notre relation avec le divin au sein d’une communauté. Elle est de ce fait « plus contraignante que la spiritualité » (p. 28). Toutefois, ces deux réalités se complètent.

Quels sont donc la place et le rôle des êtres humains dans l’univers ? C’est ce qui résume la question de la spiritualité de l’environnement et déterminera la perception que nous avons de nous-mêmes à l’égard de la biosphère. En sommes-nous maîtres avec la liberté d’utiliser et de transformer la nature selon notre propre guise ? Sommes-nous plutôt au cœur de la Création pour entretenir une relation de collaboration ou de bienfaisance mutuelle avec elle ? Enfin, une troisième perspective, la Deep Ecology, nous situe comme faisant partie intégrale de la nature et partageant avec les autres espèces vivantes, ni plus ni moins, les mêmes droits qu’elles. Après un survol rapide, toutefois bien détaillé, de l’évolution de la Terre et des êtres humains, il n’y a pas, selon Beauchamp, « une spiritualité de l’environnement unique et immuable », mais plutôt « une constellation » de sensibilités et de perspectives dont le tronc commun est que « l’être humain fait partie de l’environnement, intimement, profondément. » (p. 44) Pour cette raison, il nous faut changer notre regard, car nous vivons en rupture avec la nature. Pire encore, avec notre nature propre et véritable : « Nous avons perdu le sens d’une commune appartenance à la totalité de l’univers. » (p. 49) Rappelons-nous, en termes bibliques et théologiques, que la terre fut maudite à cause du choix de l’homme et de la femme dans le jardin (Gn 3,17).

C’est le début de la spiritualité de l’environnement de redécouvrir « cette part ignorée de nous-mêmes ». Pour se faire, nous avons à recevoir la vie, le cosmos ainsi que nous-mêmes « comme un don », puisque tout de la Création est précédée d’une générosité qui nous conduit à l’émerveillement. (p. 50)

Redécouvrir l’environnement

De quoi est composé l’environnement au sein duquel nous vivons ? Quels sont les éléments principaux et leurs liens à la spiritualité ? Que nous communiquent-ils sur la vie et son sens ? Beauchamp répond à ces questions de façon concise en huit petits chapitres. Il commence par des définitions de ce que sont l’environnement et l’écologie et leur rapport l’un à l’autre. Essentiellement, l’environnement c’est tout ce qui nous entoure, y inclut sa structure, son organisation et sa cohérence. L’écologie, formée de deux racines grecques : oikos (maison, milieu) et logos (parole, discours, savoir) est la science du milieu où nous vivons. Elle s’intéresse à l’interrelation des composantes de l’environnement ainsi que sa globalité en tant qu’ensemble. (p. 57)

S’appuyant sur la définition de l’environnement suggéré par l’UNESCO en 1977 qui fait la distinction entre l’environnement naturel « constitué de quatre systèmes étroitement liés, à savoir l’atmosphère, l’hydrosphère, la lithosphère et la biosphère » et l’environnement social qui « comprend les groupes humains, les infrastructures matérielles construites par l’homme, les rapports de production et les systèmes institutionnels qu’il a élaborés », Beauchamp explore dans les chapitres subséquents, l’un à la fois, les éléments primaires que sont l’air, l’eau, le sol, le feu, l’arbre, l’animal et l’être humain toute autant dans leurs réalités matérielles propres, leurs relations avec les êtres humains ainsi que leurs symboliques spirituels. (p. 58-59)

Les humains sont des êtres en relation de façon globale avec l’ensemble de la Création, les uns avec les autres, ainsi qu’avec Dieu. C’est le cadre nécessaire pour approfondir une spiritualité de l’environnement. On prend alors distance d’une approche anthropocentrique qui place l’être humain au centre de l’univers (p. 147-148) ainsi que d’une approche purement biocentrique. « Il faut donc se rabattre sur une autre position ni exclusivement anthropocentrique ni exclusivement biocentrique, mais écocentrique et holistique », insiste Beauchamp. (p. 151) C’est alors qu’il revient sur le texte biblique de la Genèse afin de resituer les êtres humains dans leur relation avec la Terre selon le projet initial de Dieu. Il résume et commente en quatre points les tâches humaines pour entretenir une spiritualité de l’environnement (p. 158) :

  1. Cultiver la relation
  2. Admirer la beauté
  3. Recevoir la vie comme un don
  4. Faire chanter le monde

En mes propres mots, je vois se développer chez les êtres humains, selon l’ordre de l’auteur, leur sens de l’observation sensible et bien éveillé. Un tel regard qui conduit vers la reconnaissance dans le double sens du mot : bien saisir ce que l’on voit pour le nommer et le décrire, et ceci dans un esprit de gratitude. Enfin, dans le respect de l’intégrité des choses et des êtres créés et donnés comme contexte de vie pour les humains, la naissance chez eux d’une forme de révérence de ce qui est sacré et selon lequel ils participent de façons créatives à la prolifération de la vie dans sa beauté et sa bonté et par lequel laisser leur propre empreinte sur leur milieu de vie.

Ayant lu de nombreux ouvrages, théologiques et autres, sur la question de l’environnement, je recommande fortement la lecture de celle-ci, car il s’agit d’un livre qui se veut à la fois accessible et intégral, écrit par quelqu’un qui est reconnu comme une sommité sur le sujet.

Pierre LeBel
Montréal

[1] André Beauchamp est président d’Enviro-sage, une maison de consultation en environnement. Il a présidé une dizaine de commissions d’audience publique sur l’environnement dont la Commission sur la gestion de l’eau au Québec (1999). Secrétaire général du ministère de l’Environnement du Québec en 1980, il a été président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de 1983 à 1987. Il est l’auteur de 25 volumes en théologie et en environnement, notamment Pour une sagesse de l’environnement (Novalis, 1992), Gérer le risque, vaincre la peur (Bellarmin, 1996), Environnement et Église (Fides, 2008) et Vivre sa vie comme un chant (Bellarmin, 2010), et de plus de deux cents articles de revues. Il a reçu en 1998, le prix Phénix de l’environnement pour sa contribution significative en ce domaine.  http://www.economistesquebecois.com/files/documents/b3/36/3a-bio-andre-beauchamp.pdf

[2] Entretien avec André Beauchamp au sujet de la spiritualité de l’environnement : https://www.chudequebec.ca/a-propos-de-nous/publications/revues-en-ligne/spiritualite-sante/entrevues/entretien-avec-andre%C2%A0beauchamp.aspx

[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/758504/terre-anthropocene-ere-geologique-activites-humaines

[4] Pour Frédéric Lenoir, « L’une des grandes menaces qui pèsent sur nos sociétés est la répartition fortement inégalitaire des richesses. Pour dire les choses de manière simple : les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Or l’accentuation des inégalités, certes inhérentes au modèle économique libéral de nos sociétés, crée de la violence. » Petit traité de vie intérieure, Paris, Plon, 2010, p. 115.

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