La nouvelle approche de Jérome Berryman : Godly Play

Au cours des dernières décennies, un mouvement est apparu : la prise de conscience de la spiritualité de l’enfant. Ce mouvement s’inscrit dans une évolution sociale à plus long terme : La reconnaissance de la dignité de l’enfant et elle vient battre en brèche une conception pessimiste de l’enfant issue de la théologie du péché originel. On peut voir un signe des temps dans cette découverte de la spiritualité des enfants particulièrement active dans les pays anglophones (1). Nous avons rapporté ici la recherche pionnière de Rebecca Nye relatée dans son livre : « Children’s spirituality. What it is and what it matters » (2). Tout récemment, une chercheuse psychologue américaine, Lisa Miller, a, elle aussi, proclamé la spiritualité des enfants en s’appuyant notamment sur l’imagerie neurologique du cerveau (3). Cette mise en évidence de la spiritualité de l’enfant est maintenant répandue comme en témoigne un article de Tobin Hart : The mystical child (4). La catéchèse chrétienne, longtemps fondée sur d’autres postulats (5), est désormais interpellée par ce mouvement et elle est appelée à un grande transformation. Un livre de Carolina Baertschi-Lopez : « Les enfants, portiers du royaume » (6) ouvre la voie dans cette direction. « Reconnaître une spiritualité propre à l’enfant, c’est croire que Dieu se révèle à lui d’une manière toute particulière. Ainsi, reconnu comme une personne déjà en relation avec Dieu, il peut évangéliser à sa manière ». Dans cet esprit de respect et d’écoute, Carolina Baertschi-Lopez s’est engagée dans une nouvelle approche catéchétique : Godly Play. Tout récemment, en 2021, aux éditions Olivétan, un petit livre fait le point sur cette méthode (7). L’auteur, Richard Gossin, nous présente le processus d’élaboration de Godly Play où un homme, Jérôme Berryman, a joué un rôle pionnier.

 

Jerôme Berryman

Nous découvrons donc ici le parcours de Jérôme Berryman.

Ce fut une enfance marquée par des expériences spirituelles. Ces souvenirs ont compté pour lui : « Ces souvenirs portent à la fois des intuitions et des convictions : tout enfant n’est-il pas théologien ? Le théologien est une personne qui s’interroge sur son rapport avec le monde, avec les autres, avec Dieu et avec lui-même. Dès notre jeune âge, nous avons une connaissance de Dieu qu’il convient de prendre au sérieux. Elle vient de nos expériences enfantines. Elle est naïve, mais réfléchie. Elle trouve souvent des mots qui jaillissent. Et quand elle n’en trouve pas… elle se grave dans notre vie intérieure » (p 21).

Jérôme Berryman développe ainsi un questionnement qui va devenir le point de départ d’une motivation qui va l’accompagner toute sa vie.

A partir des études universitaires que Jérôme Berryman entreprend en 1960 au Princeton Theological Seminary, il s’engage dans une recherche sur l’éducation chrétienne. Celle-ci débouchera sur une nouvelle approche : Godly Play. « Soixante ans plus tard, Godly Play est largement parvenu à sa maturité » (p 23). Toute la vie de Jérôme Berryman a contribué à cette élaboration progressive.

Dès le départ, à son mariage avec Thea en 1961, il partage avec elle son idéal et il le mettra en pratique dans sa vie familiale. C’est ensemble qu’ils vont se rendre, pendant quatre ans, en Italie, à Bergame, au Centre international d’études montessoriennes. Déjà, il avait croisé dans ses lectures, Sofia Cavaletti, une disciple de Maria Montessori qui confirma son intuition : « Pour favoriser la vie religieuse d’un enfant et en évitant de lui imposer tout ce qui lui est étranger, nous sommes redevable de sa quête silencieuse : « Aide-moi à me rapprocher de Dieu par moi-même » (p 36). Pour Maria Montessori, l’enfant doit être respecté et écouté. « Suivre l’enfant, c’est renoncer aux idées toutes faites, aux théories préconstruites. Passer des heures à regarder, à écouter, à comprendre. A partir de ses observations et de ses études, Maria Montessori écrit plusieurs ouvrages qui retracent le cheminement de la croissance de l’enfant, de sa naissance à l’âge adulte. Elle crée un matériel sensoriel, un espace dédié, des objets à la portée des enfants. Dans cet espace et avec ces objets, l’enfant se meut librement, se repose et investit son énergie à apprendre. Il est étonnant de constater cette soif d’apprendre dans le calme et avec persévérance. Cet enfant qui « absorbe », elle l’appelle « l’enfant normal » (p 39). Dans son principe environnemental, la salle de classe Montessori va inspirer la salle Godly Play.

Au retour de son séjour déterminant au Centre  international d’études montessoriennes, Jérôme Berryman va exercer un ministère pastoral dans plusieurs Églises aux États-Unis. Il dirige ensuite le centre de théologie de l’enfant qui va devenir le siège de la fondation Godly Play.

Au fil des années, Jérôme Berryman a collaboré avec un très grand nombre de personnes tant dans ses activités quotidiennes que dans ses activités de recherche. « Godly Play est une aventure spirituelle, intellectuelle et affective qui s’est construite au fil des rencontres humaines » (p 45). Il y a d’abord sa famille. « Godly Play a été une affaire de famille ». Sa femme Thea a œuvré toute son existence à la maturation de Godly play. « Il y a ensuite les Églises que Jérôme a servies. Il s’agit en premier lieu de l’Église protestante presbytérienne et de l’Église épiscopalienne (anglicane)… Plus que des Églises institutions, il convient de parler de personnes dont il est impossible de citer les noms, car ce sont en premier lieu des enfants, des milliers d’enfants dont on repère parfois les prénoms dans les écrits de Jérôme Berryman. Mentionner ainsi les enfants, c’est rappeler que pour Jérôme Berryman, l’enfant doit être replacé au cœur de l’Église. Il faut prendre à la lettre les paroles de Jésus quand il disait d’eux qu’ils sont les « portiers du Royaume » (p 46).

« Il y ensuite les filières intellectuelles et particulièrement théologiques ». Richard Gossin évoque ici de grandes personnalités comme William James, Gabriel Marcel, Paul Tillich, Alister Hardy et bien d’autres. Il met également en évidence « le réseau d’experts scientifiques et de pédagogues » avec lequel Jérôme Berryman a travaillé dans « une recherche action » de grande envergure. Godly Play s’inscrit dans une perspective holistique. Dans ce travail d’élaboration, « les hypothèses éducatives se confrontent avec la théologie, les sciences humaines, le droit et la médecine » (p 50).

 

Godly Play

Le point de départ de Godly Play, c’est une nouvelle vision de l’enfant. C’est un tournant radical par rapport à une mentalité religieuse qui s’était éloignée des paroles de Jésus concernant les enfants. Et ici, l’accent n’est pas mis sur une humilité prêtée à l’enfant, mais sur sa créativité qui est « l’énergie même du Dieu créateur » (p 69). Et dans le grand mouvement actuel de reconnaissance de l’enfant comme être spirituel (1, 2), Jérôme Berryman envisage l’enfant comme « un moyen de grâce » (p 71).

Dans cette perspective, nous ne sommes plus dans « une logique de transmission » imposée d’en haut. Le but de Godly Play, c’est que l’enfant « apprenne le « métier de théologien, d’interprète, dans la liberté de conscience » (p 53). Et c’est, dans cet esprit que Jérôme Berryman présente Godly Play : « Les enfants sont invités dans un cercle avec un conteur. La salle environnante est soigneusement aménagée avec les matériaux des récits bibliques, des paraboles et des actions liturgiques. Une fonction supplémentaire du langage chrétien, le silence, est également enseignée, mais les moyens de ce genre de communication viennent des enfants eux-mêmes » (p 53).

Dans un « dictionnaire amoureux de Godly Play », l’auteur, Richard Gossin, nous décrit une séance de Godly Play (p 77).

« les enfants sont accueillis dans le sas d’entrée par l’hôte ou l’hôtesse avec la question : est-ce que tu es prêt ? L’enfant est ensuite accueilli par le conteur ou la conteuse et prend place dans le cercle sur un tapis garni de coussins. Le conteur s’installe. Il souhaite la bienvenue. Il introduit le récit. Il va chercher la boite, les objets, le matériel, en précisant là où ils se trouvent, de manière à ce que tel ou tel enfant les utilise au moment des ateliers. Après le récit, commencent les questions d’émerveillement. Puis le conteur demande à chaque enfant quelle activité choisir. Chaque enfant, individuellement, fait son choix. Puis vient le moment du festin ou de la prière, où chaque enfant reçoit une boisson ou un aliment. Ensuite, il est temps de se quitter après une bénédiction mutuelle ».

Godly Play veut donner accès à une « langue chrétienne » (p 74). Les enfants font l’apprentissage de différents langages (mathématiques etc). « De même, ce dont les enfants ont besoin pour leur spiritualité, ce n’est pas d’avoir leur cerveau rempli d’informations et de certitudes, mais d’apprendre l’art d’utiliser un langage approprié pour penser, identifier, exprimer et partager leur propre expérience de Dieu. Il s’agit d’un langage qui constitue un système lié à des fonctions. Fonction d’identité avec les récits bibliques, fonction d’exploration de sens avec les paraboles, fonction de la vie communautaire avec les actes liturgiques et fonction d’un chemin permettant d’expérimenter la présence et le mystère de la relation avec Dieu par le silence… ».

Le récit est donc un élément majeur de la séance Godly Play (8). L’auteur nous invite à réfléchir à la fonction du récit. En développant la part du récit, Jérôme Berryman « rejoint d’une part une tradition chrétienne enracinée dans la tradition juive narrative et d’autre part, le philosophe protestant Paul Ricoeur et sa théorie du récit. Il rejoint également la conviction de Gabriel Marcel. Pour ce philosophe catholique, il faut distinguer la rationalité théologique qui forge des argumentaires et le mystère qui rend inopérant ces argumentaires. Le récit est un parcours, un chemin qui nous fait suivre un long détour pour éviter les impasses du discours. Les récits de Godly Play se déploient dans trois dimensions : le récit biblique, le récit des paraboles et le récit liturgique » (p 56).

 

Godly Play dans les pays francophones

Très engagé pour le développement de Godly Play en France, l’auteur, Richard Gossin, constate qu’il y a des obstacles à surmonter dans les mentalités. « Le développement de Godly Play a été plus rapide en Belgique flamande et en Suisse germanophone qu’en Belgique wallonne et, dans une moindre mesure, en Suisse romande. Godly Play peine encore plus à frayer son chemin en France ».

Quels sont ces obstacles ?  Il y a une mentalité où le message est transmis d’en haut et dans l’imposition. « Nous avons derrière nous cinq siècles d’une tradition catéchétique fondée sur la transmission du « dépôt » de la foi et du contenu de cette foi d’une génération à une autre ». Certes, Richard Gossin estime que cette transmission se fait « avec intelligence et dévouement ». « Les églises tiennent à cette catéchèse, car elle est un gage de l’identité confessionnelle. Or, Godly Play fait la part belle à un cheminement interpersonnel et communautaire avec l’enfant… » (p 104-105).

La culture dominante peut également présenter des caractéristiques défavorables. Ainsi il y a dans certains cercles en France une laïcité étroitement conçue et qui se manifeste par des attitudes d’exclusion. Richard Gossin ressent « une conception de la laïcité qui écarte les besoins spirituels et religieux des enfants, des adolescents, des adultes et des vieillards des champs pédagogiques et thérapeutiques» (p 105).

Richard Gossin diagnostique également un biais dans la culture française actuelle : « Le cartésianisme qui imprègne notre culture, et particulièrement la théologie, repose sur une adhésion à la rationalité et sur une méfiance à l’égard de l’imagination. Nous avons des difficultés à penser notre relation avec nous-même, avec les autres, avec Dieu, avec notre environnement par l’imagination… De telles réticences sont levées depuis longtemps dans les cultures anglo-saxonnes ou asiatiques » (p 104). A vrai dire, il nous paraît que cette culture dite cartésienne, analytique, intellectualiste est aujourd’hui sérieusement contestée par la montée de la vision écologique, le tournant post-moderne, l’internationalisation croissante, la montée d’une approche holistique. Si la « religion organisée » est en perte de vitesse, la quête spirituelle va en croissant. Ce contexte nous paraît plus favorable au développement de Godly Play.

Ce livre est bienvenu. Il ouvre un nouvel horizon. Il apporte également un ensemble d’informations sur l’approche Godly Play.

Il nous paraît que cette approche témoigne d’un nouvel état d’esprit qui s’inscrit dans une nouvelle vision théologique, une manière nouvelle d’envisager la présence de Dieu et la nature de l’humain. On peut se demander si cet état d’esprit n’est pas en train de se répandre, à la vue d’un site : ‘dobedo’ découvert récemment en croisant sur le moteur de recherche d’internet les noms de Jérome Berryman et de Richard Rohr. Ce site se propose d’encourager « une voie d’action et de contemplation qui réenchante la vie et approfondisse nos relations ». On trouvera dans la rubrique : Foi et religion, une inspiration où on peut apercevoir des traces de Godly Play (9). Ce livre de Richard Gossin est riche en ouvertures et mérite notre attention.

Jean Hassenforder

 

  1. Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps ? https://www.temoins.com/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants-un-signe-des-temps/
  2. L’enfant est un être spirituel : https://www.temoins.com/lenfant-est-un-etre-spirituel/
  3. Éducation et spiritualité. L’enfant spirituel par Lisa Miller : https://vivreetesperer.com/education-et-spiritualite/
  4. Tobin Hart. The mystical Child. Glimpsing the Spiritual World of Children : https://www.westga.edu/share/documents/pubs/000471_94.pdf
  5. Joël Molinario. Le catéchisme. une histoire moderne tourmentée : https://www.cairn.info/revue-lumen-vitae-2014-4-page-365.htm
  6. Caroline Baertschi-Lopez. Les enfants ouvrent les portes du Royaume : https://www.temoins.com/enfants-ouvrent-portes-royaume/
  7. Richard Gossin. Jérôme Berryman et Godly Play. Science et pédagogie en dialogue. Olivétan, 2021. 110 p
  8. Présentation des histoires de Godly Play en vidéo en français : https://godlyplay.ch/les-recits-en-francais/
  9. Religion and Faith : Stories for the soul. Outofthe Box for faith, Deep Talk, Christian animism, Contemplative Fire, Center for Action and Contemplation : https://www.do-be-do.org/religion-and-faith
Share This