Interview de Jean Lavoué, écrivain et poète

En réponse à notre quête spirituelle, un livre vient de paraitre : « Le poème à venir. Pour une spiritualité des lisières » (1). Si, au premier abord, le titre peut paraître insolite, il convient au départ d’entendre la voix qui s’y exprime, le parcours de l’auteur. Celui-ci, Jean Lavoué, est un écrivain, éditeur et poète breton. On peut en lire ici et là la biographie. Mais la meilleure entrée nous paraît une interview de Magali Michel parue dans La Vie : « De l’absence jaillit la présence » (2).

Très tôt porté à l’écriture, Jean Lavoué s’engage dans une expression poétique. C’est un atout pour faire face aux embuches de la vie et approfondir un chemin de libération spirituelle où il sera aidé par un prêtre atypique, Jean Sulivan. Son parcours professionnel s’exerce dans l’éducation surveillée et dans la sauvegarde de l’enfance.

Cependant, à partir des années 2000, Jean Lavoué, constamment en activité poétique, commence à écrire des livres portant sur des auteurs avec lesquels il se trouve en affinité. Cette œuvre littéraire va aller en croissant. En 2007, Jean Lavoué crée un blog, baptisé : « l’enfance des arbres » ( http://www.enfancedesarbres.com ).

En 2017, il ouvre une petite maison d’édition. C’est dire combien, à tous égards, l’écriture tient une place centrale dans la vie de Jean Lavoué. « L’écriture finalement se déploie dans le temps, pourvu qu’on persiste, même s’il n’y a pas beaucoup d’écho au départ ».

Jean Lavoué nous fait part aussi de sa vie spirituelle. « J’aime lire la Bible avec d’autres. L’Écriture est d’une grande poésie. Dans la vie professionnelle, comme dans la vie intérieure, j’apprécie la fécondité des petits groupes de parole. Avec Anne, ma femme, nous participons à plusieurs d’entre eux. Mon enracinement ecclésial s’inscrit dans cette modalité peu visible, mais bien plus répandue que l’on ne le croit ».

Les deux livres les plus récents de Jean Lavoué témoignent de son parcours spirituel : « les clairières en attente » où il évoque notamment l’apport des petits groupes de partage : https://www.youtube.com/watch?v=9Jm5hkO3TAM

et « Le Poème à venir ? Pour une spiritualité des lisières » où « il explore la dimension christique du Poème en élargissant la conception et la montrant également à l’œuvre dans l’ensemble des autres spiritualités humaines » : https://www.youtube.com/watch?v=5K01-5KffYk

Ce livre est remarquablement présenté dans un article de Joseph Thomas : « Pentecôte : Le souffle des lisières » (3) :

« Parmi les livres, il en est d’érudits et démonstratifs, d’autres qui se voudraient modèles par leurs témoignages. L’auteur du Poème à venir est connu comme écrivain inspirant, à l’aide de mots-éclairs. On reconnaîtra le penseur qui, à force de fréquenter les chercheurs de sens, ouvre la voie à une manière inédite et frémissante : le Poème comme Jubilescence, la joie d’évangile à la mesure de ce monde ».

  1. Jean Lavoué. Le Poème à venir. Pour une spiritualité des lisières. Préface de François Cassingena- Tréverdy. Mediaspaul, 2022.
  2. Jean Lavoué. De l’absence jaillit la présence. Interview de Magali Michel dans La Vie : https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/jean-lavoue-de-labsence-jaillit-la-presence-3127.php
  3. Joseph Thomas. Pentecôte. Le souffle des lisières : https://www.golias-editions.fr/2022/06/02/pentecote-le-souffle-des-lisieres/?fbclid=IwAR0rlU34xMVowdcasOAxCVAkYZNH3M92imqUdIwlZc3mdx0z8MltrAtC_yo

Autre présentation du « Poème à venir » sur le blog : Vivre et espérer : juillet 2022

 

Jean Lavoué a accepté de répondre aux questions de Témoins

Comment vous êtes-vous engagé dans une activité professionnelle ? Laquelle et comment s’est-elle déroulée ?

L’essentiel de ma vie professionnelle a été consacré à l’action sociale. Je suis devenu éducateur dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse en 1977 avant de prendre la responsabilité de services éducatifs dans le cadre associatif. J’ai dirigé une association d’action sociale dans le Morbihan. Parallèlement, j’ai toujours mené une activité d’écriture, tant professionnelle que dans les domaines de la poésie et de la spiritualité. Depuis la fin de mon activité professionnelle en 2014, je m’y consacre davantage et j’ai créé une maison d’édition en 2017 : « L’enfance des arbres ».

Comment en êtes-vous venu à développer une écriture poétique ? Qu’entendez-vous par là ? Dans quel contexte ? Quels sont ceux de vos livres avec lesquels vous vous sentez particulièrement en correspondance ?

Après des années d’écriture d’un journal dans lequel je notais au jour le jour ce que j’appellerai les éclats lumineux de ma vie, j’en suis venu à l’écriture poétique afin de pouvoir partager ce qui dans un journal ne relève que de l’intime. De ces écrits poétiques qui ont commencé à être rassemblés en recueils à la fin des années 90 sont aussi nés des ouvrages consacrés à des auteurs qui m’avaient inspiré sur cette voie de l’écriture : Jean Sulivan, Georges Perros, Xavier Grall, René Guy Cadou. J’ai aussi consacré un livre à Jésus : « Le Christ aux silences ». Depuis une dizaine d’années, j’ai écrit des ouvrages consacrés au devenir de la spiritualité chrétienne dont les derniers parus en 2021 et 2022 sont « Des clairières en attente, Un chemin avec Jean Sulivan », « Le Poème à venir, pour une spiritualité des lisières » et « L’allegro spirituel » qui actualise un livre de 2013 épuisé : « L’évangile en liberté ».

Votre activité poétique s’inscrit dans un réseau amical. Pourquoi ? En quoi ? Et comment ?

L’écriture poétique est progressivement sortie d’un cercle d’amis proches pour devenir sur les réseaux sociaux (mon blog L’enfance des arbres créé en 2007 puis Facebook et Instagram) une sorte de dialogue régulier avec un grand nombre d’inconnus. Les échos qu’elle suscite sont ainsi devenus une sorte d’encouragement à continuer dans la voie de ce partage gratuit. J’ai notamment créé ma maison d’édition pour rassembler et proposer en recueils certains de ces poèmes partagés au jour le jour.

Issu d’une tradition familiale catholique conservatrice, pourquoi et comment vous en êtes-vous dégagé ?

C’est une sorte de mouvement continu qui doit beaucoup aux rencontres et à l’empreinte forte de certains auteurs comme Jean Sulivan, Maurice Bellet, Bernard Feillet… Des prêtres qui se tenaient à la frontière et indiquaient une voie d’exode possible et souhaitable. L’empreinte de mon éducation a été très cléricale mais j’ai aussi été marqué très tôt par les ouvertures conciliaires, « le Concile des jeunes de Taizé »… Je suis resté toute ma vie dans cette veine du dégagement de formes religieuses trop enfermantes et de l’ouverture vers un christianisme respirant au large.

Dans ce parcours de libération et de découverte, quels sont les amis qui vous ont inspiré et qui vous ont accompagné ?

Depuis des années, je chemine avec plusieurs petits groupes rassemblant des chercheurs de spiritualité désireux de s’alléger des formes de la religion transmise souvent dans le cadre d’interprétations catéchétiques ressenties comme trop étroites. C’est essentiellement avec ces amis que je chemine vers une plus grande liberté intérieure. S’autoriser à partager avec d’autres nos questions, nos doutes, nos découvertes nous permet de nous approcher de la parole joyeuse qui nous habite.

Quels sont les auteurs et les livres qui vous inspirent dans votre recherche spirituelle ?

Bien sûr, Jean Sulivan que j’ai déjà cité a exercé une forte influence sur moi. Je n’ai plus besoin nécessairement de le relire. Il fait partie. Souvent, j’ai le sentiment que les nouveaux auteurs que je découvre me permettent de rester dans son sillage. Je pense à Simon Pierre Arnold dont la spiritualité marquée par la culture Andine résonne avec la manière dont Sulivan l’avait été par l’Inde d’Henri Le Saux. Plus récemment, grâce à Jean Hassenforder et aux textes qu’il publie sur le site de Témoins j’ai découvert Richard Rohr ou encore Diane Butler Bass ou Brian McLaren dont la spiritualité ouverte, se situant au-delà du religieux, me rejoint. Un auteur peu connu comme Olivier Rabut dont un ami vient de m’envoyer un ouvrage a engagé sa vie, lui aussi, dans la recherche d’une manière libre de dire l’Évangile, au-delà des dogmes et accordée à la culture de notre temps. Bien d’autres auteurs comme lui m’accompagnent sur cette voie…

Comment et en quoi votre écriture poétique et votre recherche spirituelle se rejoignent ?

L’écriture poétique est, je crois, une manière de s’acheminer vers cette spiritualité ouverte sans mots religieux. Ceux-ci sont usés, ont trop servi et ne parviennent plus à suggérer le mystère qu’ils sont sensés viser. Par son langage allusif, avec des mots simples de tous les jours, la poésie peut nous remettre en contact avec cet essentiel. Il y a aujourd’hui une soif de spiritualité que la poésie peut contribuer à étancher.

Vous venez d’écrire un livre où vous exprimez ce qui est Essentiel pour vous : ‘Le Poème à venir’. Quel est votre message ?

C’est avant tout l’invitation à considérer la relation entre l’humain et ce qui le dépasse – le divin, la source de la vie…- comme une œuvre de création commune ou l’un et l’autre agissent de concert, se transforment l’un par l’autre : une sorte de danse dans laquelle tout le cosmos est lui-même entraîné dans un accomplissement continu. Le Poème est pour moi la manière de nommer cette dynamique, au-delà de la façon singulière dont elle a pris corps dans chaque tradition spirituelle de l’humanité : on peut dire que « Christ » est l’expression même du Poème dans la tradition judéo-chrétienne mais que celui-ci peut recouvrir d’autres réalités dans d’autres traditions. C’est une notion ouverte, indéfinie, pour suggérer ce qui en l’humain dépasse l’humain et n’a pas besoin des représentations traditionnelles d’un Dieu extérieur pour se dire.

Qu’est qui vous fonde à regarder positivement vers l’avenir malgré les menaces qui pèsent sur l’humanité ?

Bien sûr, l’homme menace aujourd’hui sa propre existence, celle des espèces qui l’entourent et l’harmonie régnant sur la planète qu’il habite. Mais à la mesure du cosmos, rien ne saurait altérer ce processus de croissance continue vers davantage d’interactions et de complexité dans laquelle une force plus grande emporte l’univers. Il y a plus grand que l’humain et que la planète Terre. L’humain lui-même dispose de suffisamment d’intelligence et de ressources intérieures, de sources d’inspiration aussi, pour faire face aux dangers qui le menacent aujourd’hui.

Pouvez-vous davantage faire « parler » le mot ‘jubilescence’ ?

J’ai emprunté le terme ‘jubilescence’ à un auteur protestant, Jean-Marie de Bourqueney, qui l’emploie pour évoquer la théologie anglo-saxonne du « process » et l’enjeu d’un renouvellement du langage théologique. Il renvoie au dynamisme créateur du divin et à cette danse de co-création que j’évoque tant avec les humains que nous sommes qu’avec l’ensemble du cosmos. Face au risque du chaos existe aussi cette énergie de convergence et d’harmonisation dont la théologie de la jubilescence serait l’expression. Ce qu’évoquait déjà un auteur comme Pierre Teilhard de Chardin.

Aujourd’hui comme vous l’évoquez dans votre livre : ‘Des clairières en attente’, vous participez à de petits groupes de partage spirituel. Pouvez-vous nous décrire cette pratique ?

Depuis une vingtaine d’années, j’ai vécu l’expérience de plusieurs petits groupes informels de recherche spirituelle dont certains sur la longue durée se poursuivent encore aujourd’hui. Les supports peuvent être divers, – partages autour de l’Évangile, échanges informels sur des questions de spiritualité… – mais l’essentiel est d’accorder tout l’espace à la prise de parole en liberté de chacun, à la réinterprétation des textes, aidant ainsi chaque personne à se dégager progressivement d’une culture religieuse première devenue obstacle plutôt que ressource. On peut parler de groupes réunissant des chercheurs de nouvelles voies pour une spiritualité enracinée dans l’expérience personnelle de chacun : des sortes de petites assemblées ecclésiales informelles se situant sans rupture au-delà des formes institutionnelles traditionnelles auxquelles certains membres restent toutefois reliés. Une réalité diasporique dont parle Danièle Hervieu-Léger dans son dernier livre d’entretien avec Jean-Louis Schlegel (Vers l’implosion ?)

Votre dernier livre porte en sous-titre : ‘la spiritualité des lisières’.
Comment envisagez-vous cette spiritualité des lisières ?

La notion de lisière renvoie à celle de limite ouverte et poreuse supposant des passages entre différents espaces. C’est le lieu du dialogue aujourd’hui entre les spiritualités pourvu que l’on ait quitté la logique des frontières rigides et hermétiques concernant ses propres croyances ou appartenances religieuses. C’est pourquoi le terme de « Poème » se veut plus universel que chaque expression singulière pour permettre justement cette rencontre au-delà des dogmes et des identités propres. Il invite aussi à une réinterprétation permanente du contenu des traditions spirituelles pour leur permettre d’entrer davantage en résonance les unes avec les autres. Ce terme pourrait aussi symboliser ce temps que nous vivons aujourd’hui du passage entre la religion avec ses cadres d’appartenance bien situés et une spiritualité plus ouverte sur la réalité de transformation du monde à laquelle concourt tout être humain.

Merci Jean Lavoué !

 

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