En 1900, il y avait en France une centaine de centenaires ; en 2009 ils sont plus de 13 000 et seront plus de 60 000 en 2050 (INED.fr 16/01/09) ! Nous sommes en plein dans le papyboom et la dernière partie de la vie s’allonge, jeunes seniors et personnes très âgées cherchent un mieux-être. Et une place à la spiritualité. Marie de Hennezel ouvre des pistes ; son enquête révèle des vieillards remarquables. Rencontre autour de l’un de ses derniers ouvrages.

 – La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller. D’où vient ce titre ?
– C’est un refrain chanté par les quelque 600 centenaires de la petite île d’Okinawa au Japon. Le monde entier s’est penché sur le secret de leur longévité. Il tient à leur mode de vie, à leur alimentation. Mais pas seulement, car ils sont considérées par les jeunes générations comme des « porte-bonheur », des trésors. C’est dire toute l’importance qu’ils revêtent aux yeux des autres. C’est là une des clés, certainement, de leur longévité. J’ai voulu montrer que ce qui ne vieillit pas, c’est le coeur, le désir, l’amour. Cette faculté d’être vivant, de s’étonner, d’éprouver des joies. Tout cela ne vieillit pas.

– A quel âge devient-on vieux ?
– C’est un processus qui commence à la naissance, mais il y a des étapes symboliques : à 60 ans on reçoit la carte senior et on a des réductions au cinéma, dans les trains ! On parle non seulement du troisième âge, mais du quatrième, voire du cinquième âge. Ma génération est une génération qui va vieillir longtemps et pas de la même façon que nos parents et grands parents qui ont connu les guerres. Nous n’avons pas les mêmes habitudes alimentaires, et nous faisons du sport. Nous sommes de la génération de la psychanalyse et des psychothérapies. Nos parents ne se préoccupaient pas tellement d’eux-mêmes, nous avons appris à prendre soin de nous.

– Pourquoi avons-vous si peur de vieillir ?
– Nous avons peur de vieillir dans de mauvaises conditions. Le regard que notre société porte sur le grand âge est désastreux. Il faut affronter ces peurs, les traverser, et découvrir tout ce que la vieillesse apporte de positif : ce n’est pas du tout une utopie puisque j’ai rencontré des personnes très âgées et heureuses.

– Des « vieillards remarquables », comme vous dites…
– Oui, beaucoup d’inconnus, mais aussi des personnalités dont Soeur Emmanuelle, décédée à presque 100 ans. Voilà une femme dont on peut dire qu’elle avait une vraie jeunesse intérieure, un visage qui pétillait de vie et de joie. Elle a fait quelque chose de sa vie, elle est en paix avec son existence. C’est quelqu’un qui avait une grande foi en Dieu, et en l’homme.
Ce sont ces deux qualités qui l’ont aidée à bien vieillir. Ces vieillards magnifiques ne se regardent pas eux-mêmes ; ils regardent vers le monde et vers les autres. C’est une des grandes clés.

– Peut-on encore donner de soi-même quand on a un grand âge ?
– Enormément ! Ce qui attire, c’est que ces personnes sont dans la disponibilité, l’écoute, elles ont une épaisseur de vie, elles sont capables de regarder les choses de haut, et avec bienveillance. Le regard bienveillant, c’est quelque chose dont notre monde a besoin.

– « Changer notre regard » : Vous donnez l’exemple du fauteuil roulant qui peut être vu positivement…
– Une déchéance pour certains, mais j’ai découvert des personnes qui, au contraire, sont finalement heureuses dans leur fauteuil roulant ; elles prennent ça avec humour en se disant que c’est agréable d’être porté ou poussé par les autres, comme le sont des personnages importants sur des palanquins. Je pense à cette personne complètement dépendante, paralysée : « J’ai fini par aimer ma dépendance. » Elle avait retrouvé le plaisir que tout être humain a connu quand il était enfant, nourrisson. Ces façons de retourner les situations sont  très intéressantes, elles nous montrent qu’aucune situation n’est désespérée.

– Cette seconde partie de la vie, vous la qualifiez de spirituelle.
– Oui, l’apôtre Paul écrit : « Tandis que notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » Je l’ai observé auprès de personnes mourantes.
Leurs corps étaient effectivement en ruine, mais elles avaient une vitalité intérieure totalement surprenante, comme si elles allaient accoucher d’elles-mêmes.

Quel état des lieux faites-vous de la situation des personnes âgées ?
– Dans ma génération, personne n’a envie de terminer sa vie dans une maison de retraite. Même si certaines sont plus humaines que d’autres, malgré tout ce sont des institutions dans lesquelles les règles de l’institution priment sur le rythme de la personne. On vous impose des horaires de lever, de toilette, de repas. Le rythme et l’intimité de la personne sont peu respectés. Et puis il y a aussi cet ennui, un sentiment de solitude. Beaucoup de personnes de ma génération réfléchissent à des structures nouvelles. Je cite l’expérience de la maison des Babayagas à Montreuil, un foyer logement autogéré, créé par des femmes. Je trouve que c’est un crève-coeur que de se séparer de quelqu’un sous prétexte qu’il devient dépendant. La structure à inventer doit prévoir de la garder jusqu’au bout. Je cite aussi le béguinage, cette structure du Moyen-Âge qui rassemblait des veuves (les femmes vivaient plus longtemps que les hommes) dans des maisons côte-à-côte. Elles avaient leur espace privé, mais créaient aussi une communauté avec des activités communes, jardinage, offices religieux, réunions pour parler. Espace privé et temps de vie communautaire, c’est ce qu’ont aussi les centenaires de l’île d’Okinawa. Il faut aussi que ce soit ouvert sur l’extérieur, parce qu’il ne s’agit pas de créer comme aux Etats-Unis des grands ghettos pour vieux.

– Quelques mots sur la maladie d’Alzheimer ?
– On nous annonce un tsunami Alzheimer : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il y a 160.000 nouveaux cas par an. C’est préoccupant. J’émets l’hypothèse que si cette maladie se développe de manière aussi rapide, c’est parce que nous sommes dans une société qui dénie le vieillissement et la mort. Ce déni créerait une telle angoisse que l’on pourrait se demander si la personne ne s’absente pas du monde, la maladie fonctionnant comme un refuge permettant de ne plus être présent.

– La foi en Dieu peut-elle aider à bien vieillir ?
– Oui, dans la mesure où elle est vécue comme une vraie confiance dans la vie qui vous porte.
On a le sentiment de ne pas être abandonné. Cette conviction que l’on est porté par quelque chose qui nous dépasse, certainement ça aide à bien vieillir. J’ai constaté que des personnes sans religion étaient très sereines parce qu’elles avaient fait cette expérience d’être portées par quelque chose qu’elles ne savaient pas nommer.

On porte aujourd’hui une attention, parfois excessive, à ce qu’on mange. Bien vieillir se réduit-il à bien manger ?
– Les habitudes alimentaires comptent énormément. On sait que la frugalité permet de bien vieillir, mais ce n’est pas seulement une question matérielle. Déjà Cicéron (106-43 av. JC) écrivait dans son De Senectute (La vieillesse) : « Il ne suffit pas d’être attentif à son corps ; il faut davantage encore s’occuper de l’esprit et de l’âme. » Le grand âge et le vieillissement sont un enjeu économique et sociétal. Notre génération a vraiment une responsabilité, celle de montrer que l’on peut bien vieillir. Car si nous ne montrons pas cela aux générations qui viennent, je crois que nous allons vers une catastrophe.

Propos recueillis par François SERGY rédacteur au magazine  Certitudes (article figurant au numéro 241 de cette revue)

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