Première partie – L’émerveillement

Just This : Juste ceci. C’est le titre du livre de Richard Rohr, publié en 2017. La promotion de la prière contemplative est l’une des vocations principales du Centre pour l’action et la contemplation qu’il a fondé au Nouveau-Mexique en 1986[1]. Au lieu de faire une recension du livre, j’ai préparé trois courtes réflexions sur des thématiques clés de celui-ci.

L’émerveillement

Observer est la première des vocations des humains, bien que pour plusieurs, ce don de la conscience est malheureusement réduit à une fonction purement utilitaire. Notre regard et notre écoute ne sont souvent que de surface et ne font qu’évoquer chez nous une réaction — et non une réponse — tout aussi banale. Richard Rohr nous présente son livre ainsi : « Peut-être plus que toute autre chose, Just This est un livre sur la vision, mais une sorte de vision qui est bien plus que simplement regarder, car elle implique également de reconnaître et donc d’apprécier.[2] » La contemplation comme méthode d’observation permet de donner un sens à ce que nous voyons. « La contemplation nous permet de voir la vérité des choses dans leur intégralité.[3] »

À l’ère des technologies numériques, nous risquons de vivre dans les images du temps réel et non dans la réalité du temps lui-même. De nombreux jeunes parents, pressés comme ils le sont si souvent, vivent leurs relations avec leurs enfants, le smartphone ou l’écran en premier. Les photos sont vite partagées sur les réseaux sociaux et les précieuses occasions de présence intime avec leurs enfants, perdues au profit de l’image. Les enfants apprennent vite à « poser » pour l’image au lieu d’être libres pour se découvrir et se connaître sous le regard attentionné et approbateur des parents.

Afin d’apprendre à voir différemment[4], il faut dans un premier temps reconnaître nos réactions habituelles et instinctives à ce que nous voyons dans l’immédiat du temps présent. « Peu de nos réponses sont originales, fraîches ou naturellement respectueuses de ce qui se trouve sous nos yeux.[5] » L’humilité est requise, car l’ego ne fera que résister. C’est le début du chemin spirituel. Pour exercer notre capacité d’observation, le mieux est de saisir ces instants où nous expérimentons un degré d’émerveillement (awe) et se laisser porter par lui. Selon Rohr, il faut se laisser « […] capturer par la bonté, la vérité ou la beauté de quelque chose à l’extérieur de nous. Puis nous universalisons à partir de ce moment la bonté, la vérité et la beauté du reste de la réalité jusqu’à ce que notre réalisation revienne pour nous inclure.[6] » Il s’agit du dialogue intérieur qu’est la prière contemplative. Comme le constate Rohr : « Quand nous regardons de manière contemplative, nous savons que nous vivons dans un univers pleinement sacramentel.[7] »

En référence à la prière, Richard Rohr nous apprend que celle-ci était le plus souvent silencieuse dans l’Église primitive et pour les Pères et les Mères du désert : « […] la prière était comprise non pas comme une transaction qui plaisait à Dieu (la compréhension de la prière fonctionnaliste et résolvant les problèmes est apparue beaucoup plus tard), mais comme une transformation de la conscience de celui qui prie, l’éveil d’un dialogue intérieur qui, du point de vue de Dieu, ne s’est jamais arrêté.[8] » Autrement dit, la prière n’avait pas comme but celui de changer la pensée de Dieu, mais de permettre à Dieu de changer la nôtre.

Enfin, Rohr soutient que « nous sommes les interprètes de ce que nous voyons, ce dont nous avons peur, ce que nous désirons, ce que nous convoitons, et ce à quoi nous réagissons[9] […] », et qu’il nous faut avoir recours à un cadre suffisamment large pour ne pas sombrer ou rester prisonniers d’un petit monde que nous nous sommes construit. C’est ce que doit nous offrir la religion saine (healthy religion). La spiritualité authentique a besoin de son pain quotidien afin de nourrir nos âmes affamées et de l’eau vive pour nous abreuver. La prière contemplative devient ce lieu où, chaque jour, nous apprenons à vivre avec Dieu dans l’intimité et la plénitude de la communion. Avec le temps, il devient plus facile pour nous de le voir, quelles que soient les circonstances, et apprendre de lui comment nous devons y répondre.

Pierre LEBEL

[1] Pour mieux connaître Richard Rohr et le CAC, visitez : https://www.temoins.com/richard-rohr-et-le-centre-pour-laction-et-la-contemplation/
[2] Richard Rohr, Just This : prompts and practices for contemplation, 2017, CAC Publishing, Albuquerque, Nouveau-Mexique, p. 7.
[3] Rohr, Just This, p. 8.
[4] C’est le premier appel de Jésus dans les évangiles : dans Mt 4,17, il demande à ses disciples de se repentir. « Repentez-vous » est traduit du grec, metanoia, qui signifie de changer notre façon de voir.
[5] Rohr, Just This, p. 9.
[6] Rohr, Just This, p. 10.
[7] Rohr, Just This, p. 11.
[8] Rohr, Just This, p. 16.
[9] Rorh, Just This, p. 23.

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