Il y a un temps pour tout : pour faire des études ou s’installer, avoir des enfants, les élever ou voyager, se consacrer à son activité. Et puis, un jour, on a un peu plus de temps. Les enfants sont partis, le travail est moins prenant, on est mieux installé…
Et le petit animal qu’on avait pris il y a des années, et auquel on accordait peu de place, devient familier dans un tête à tête inattendu.
On le regarde, on le voit, il vit à nos côtés, il s’exprime, il apparaît comme un être à part entière. Au fil des jours, cela devient de plus en plus étonnant. On s’occupait de son assiette, de sa caisse, et voilà qu’il réclame une attention proche de celle d’un enfant, une affection, une présence réelle.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus que deux à la maison, ma chatte et moi. Elle me cherche et me suit dans chaque pièce (quand elle ne dort pas). Autrefois, plus indépendante, elle poussait un petit miaulement en rentrant pour savoir où j’étais, et pour dire: « je suis rentrée ».
Maintenant, elle est souvent à mes pieds: il m’arrive de ne pas la voir et de la bousculer. Elle a un autre miaulement bref d’anticipation pour dire: « je suis là, fais attention ».
Une de ses places favorites est sur mon lit près de l’oreiller, sur un tissu qui lui est destiné: en général, elle s’installe confortablement dessus; mais il y a des jours contestataires où elle s’assoit juste à côté en me toisant du regard. Quand je la déménage donc en douceur sur le tissu, elle pousse un petit cri de protestation, comme un enfant. Au pire, elle m’envoie un semblant de coup de griffe pour manifester clairement son mécontentement.
J’entendais encore hier un philosophe aristotélicien dire que les animaux n’ont pas d’intelligence, ils n’ont pas le langage… Notre langage, oui, mais je découvre qu’ils ont bien un langage. Différents sons sortent de leur gorge, très explicites, ainsi que différents regards ou attitudes. Punis, ils se vexent, et attendent que l’on revienne vers eux. Ils ont alors comme un sanglot quand on redonne une caresse, très proche de celui de l’enfant réconcilié. Et quelle tendresse souvent dans le regard, tout à fait inattendue !
La mienne sait qu’après le petit déjeuner, je vais à la salle de bains, elle m’y attend, étalée sur le tapis: je n’ai qu’à poser les pieds où je peux, sur le petit espace qu’elle me laisse. De même, elle attend discrètement que j’aie fini de déjeuner pour venir s’installer avec moi pour la sieste. Elle sait le moment, même d’une autre pièce, même si je traîne.
Le soir, elle attend que je me couche, et telle une artiste, elle fait son entrée pour venir sur mon lit. Quelquefois, je sais qu’elle attend avec une grande délicatesse derrière la porte que je l’appelle… même si elle ne reste pas longtemps.
Je m’assois sur une chaise, elle veut venir sur mes genoux ; sur le canapé, elle vient dormir tout contre moi en ronronnant. Quand je cesse de la caresser, elle me tend son cou, son tour d’oreille, l’un puis l’autre, et avance une patte de velours pour venir chercher ma main qui s’est posée.
A-t-elle une personnalité ? Sans aucun doute ; elle est douce, patiente, sensible, mais avec une volonté affirmée: il est impossible de la faire passer par une nouvelle chatière tant qu’elle ne l’a pas décidé.
Je réalise à quel point ces animaux qui nous sont confiés sont des êtres à part entière, dépendants de nous parce que domestiqués, mais surtout en raison d’un lien affectif évident.
Ce lien apparaît clairement avec le chien de mon fils: quelle affection il exprime et recherche ! Abandonné pendant 18 mois dans un refuge par ses premiers maîtres, il pleurait véritablement quand mon fils le laissait 5 minutes. Et je l’ai vu sauter dans mes bras avec désespoir, comme un bébé, il est pourtant adulte et lourd, quand celui-ci s’absentait pour faire une course.
S’il arrive que le ton monte entre les adultes dans la pièce, il vient poser sa tête sur mes genoux pour «me consoler» – son abandon a fait suite à un divorce.
Une vraie sensibilité, et je dirais même «humanité», chez ces êtres qu’on ne prend pas le temps de regarder, d’écouter. Longtemps, ma Minette a tapé sa queue avec agacement au moment où je parlais d’elle, devant elle. Et dans un groupe, elle choisit avec soin les genoux qui l’accueilleront.
Ont-ils vraiment besoin de mots pour comprendre? Quel rôle joue la télépathie pour eux ? Dans ma précédente maison, elle y vivait une vie très indépendante, elle sortait souvent la nuit. Et je l’entendais monter du sous-sol par la chatière jusqu’au premier étage (deux étages donc), à la seconde même, matinale qui suivait mon réveil silencieux. Régulièrement.
Leur compréhension ne va-t-elle pas bien au-delà de ce qu’on peut imaginer, de l’ordre de l’intuition, s’ils ne tiennent pas de raisonnement ? Avec une capacité d’anticipation ? Ils nous comprennent, sans aucun doute, mieux que nous ne les comprenons.
Pour quelle raison n’auraient-ils pas une âme – même si on la leur conteste depuis longtemps – une âme qui va bien au-delà de l’instinct ? Nos animaux prennent soin de leurs petits qu’ils lèchent avec tendresse ; quand la mienne lèche ma main avec tendresse, ce n’est plus par instinct maternel, mais par affection. Leur attachement pour nous est si sincère que nombreux sont ceux qui préfèrent leur compagnie à celle des hommes.
Cela vaut pour bien des animaux : une de mes nièces est en admiration devant l’intelligence et les rapports sociaux des souris. Quant à moi qui ai pris un lapin d’appartement, pris en pension pendant un mois d’été dans sa vaste cage, je constatais sa timidité d’abord. Puis peu à peu, sa présence silencieuse et douce, comme une communion, m’a laissé un sentiment d’absence après son départ. Inattendu. Enfin, il me revient comment le premier cheval que j’ai monté, vers 17 ans, à peu près comme on monte à vélo, m’a regardée en fin de séance quand je suis descendue, avec une intensité qui m’a touchée, moi inattentive. Sans parler de toutes les thérapies que l’on initie avec un animal. Et des pleurs qui durent, dans les élevages de bovins, quand on leur enlève un petit.
Créatures de Dieu, c’est par méconnaissance qu’on a pu les mépriser, comme les petits enfants, dont on connaît aujourd’hui les capacités de perception et de compréhension, et cela, avant le langage.
Créatures de Dieu, elles se révèlent aussi proches de Lui que nous, probablement, par l’Amour qu’elles manifestent. Et je ne peux croire que, parce que je ne les comprends pas toujours, elles me sont inférieures d’une quelconque façon. Elles appellent au respect, comme tout être différent.
Chacun à sa place : la place du petit chien est sous la table, qui ramasse les miettes.
La place que leur donne le livre de la Genèse, chap 1, 24-26, quand Dieu, selon le texte, les soumet à l’homme, c’est à dire les «met dessous», animaux dont il doit prendre soin, dira Annick de Souzenelle, et non pas, dans une mauvaise traduction, qu’il doit «dominer».
Prendre soin du plus petit que soi. On connaît bien cette recommandation de Jésus, prendre soin de celui qui est en-dessous de soi : geste d’Amour, à l’image de l’Amour de Dieu, pour tout et tous.
Enfin, je lis dans «Camille et Paul, la passion Claudel» de Dominique Bona : «Dans la vision taoïste de l’univers, toutes les créatures vivantes, des êtres humains aux plantes et aux nuages, contribuent à l’ordre et à l’harmonie de la Création. [Paul Claudel] croit lui-même, de manière instinctive, à un monde très vaste, d’où les frontières seraient abolies au profit de liens établis par des courants impalpables mais tout-puissants, comme l’eau, le vent, la lumière. La vie.»
Ne peut-on dire que dans toutes les cultures, la création est un tout ?
Diane de S