Fondations et objectifs du site

Le site éducatif sciencesetreligions.com (1) fut créé par l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP), avec l’aide de la Fondation John Templeton et sous l’impulsion du chercheur pluri-disciplinaire Jean Staune, qui rassembla autour de lui une équipe de personnes intéressées par la relation entre science et religion – un groupe assez divers dans la mesure où des chercheurs de l’Université Catholique de Lyon (UCLy) côtoyaient entre autres des représentants de la chaîne de télévision musulmane Oumma, notre principal partenaire au niveau des médias. Actuellement, le suivi technique du site – géré par l’Association Science et Sens dont je suis le président – est encore assuré par l’UIP, mais sciencesetreligions.com est désormais intégré dans les activités de la Chaire Science et Religion de l’UCLy avec un financement de la Templeton World Charity Foundation. C’est un site qui essaie de rassembler tout ce qui a été publié en français en accès libre qui traite du rapport entre les sciences et les grandes traditions religieuses, allant de thèses universitaires très spécialisées jusqu’à des dépêches d’actualités de la part des médias visant le grand public. Le site s’organise autour de 12 questions fondamentales: D’ou vient l’univers ? La matière est-elle seulement “matérielle” ? Pourquoi y a-t-il de la vie dans univers? Science et religion : conflit inévitable? Qu’est-ce qu’une personne humaine ? Le cerveau est-il conscient ? Quelle est la place de l’homme dans l’univers ? Du désordre peut-il naître de l’ordre ? Les mathématiques font-elles connaître le réel ? Peut-on croire en une vie après la mort ? Les miracles sont-ils possibles ? Un monde sans violence ni souffrance peut-il exister ?

Mon intérêt personnel pour le sujet (2) date en quelque sorte de toujours (je suis moi-même fils d’un chercheur scientifique), mais plus spécifiquement de 2009, date à laquelle j’organisai une série de sessions sur la relation entre science et religion pour l’Eglise américaine de Paris à l’occasion des 150 ans de la publication de L’Origine de Charles Darwin. L’engouement des auditeurs fut tel que par la suite on élargit le projet par d’autres conférences dans le cadre d’une initiative intitulée ‘Scientists in Congregations’ (Scientifiques dans les Eglises). Elles donnèrent lieu à des discussions assez riches, non seulement lors de l’intervention de plusieurs personnalités internationalement connues dans le domaine (Keith Ward, Holmes Rolston III, Simon Conway Morris, ainsi que Jean Staune lui-même) mais aussi autour du cours vidéo Test of Faith developpé par l’Institut Faraday à Cambridge et spécifiquement destiné à un public chrétien non-spécialisé aux prises avec le matérialisme scientifique représenté par des auteurs tels que Richard Dawkins ou Christopher Hitchens.

Dialogue science et religion

En abordant le thème du rapport entre discours scientifiques et religieux, ce qui m’intriguait en particulier était l’histoire souvent compliquée et mal comprise de la relation entre la foi chrétienne et le projet (techno)-scientifique moderne occidental et son impact à la fois théologique, philosophique et sociologique – un thème sur lequel j’ai écrit en 2010 un mémoire de Maîtrise en théologie systématique à l’Université du Pays de Galles. J’avais et j’ai cependant l’impression d’un bilan assez mitigé en ce qui concernait les tentatives des croyants engagés dans ce débat – surtout dans les pays anglo-saxons – pour contrer le Nouvel Athéisme par une nouvelle apologétique essayant de montrer (par des idées certes valables telles que le “principe anthropique” ou les “réglages fins de l’univers”) que la position matérialiste était beaucoup moins solide que son image souvent véhiculée au grand public. Je ne voudrais pas nier les mérites d’une telle approche dans la mesure où les failles logiques du Nouvel Athéisme sont assez faciles à montrer par la seule philosophie, mais cela me semble assez timide comme démarche, on pourrait même dire que se concentrer sur une stratégie essentiellement défensive peut être interprété comme une sorte d’admission tacite que le christianisme n’aurait pas d’arguments positifs recevables pour les sciences pour justifier son existence ! Il est vrai qu’il est bon ton dans certains cercles théologiques de dire que la foi ne saura être prouvée par la science, mais ce genre d’argument est difficile à réconcilier avec les origines chrétiennes qui selon le Nouveau Testament reposent sur l’historicité de certains événements, dont tout d’abord la Résurrection du Christ et les miracles de Jésus en général. J’y ajouterai – quelque chose qui n’est curieusement pas toujours souligné – tout ce qu’on trouve dans les Actes des Apôtres au niveau de l’irruption du surnaturel à la naissance de l’Eglise, relaté par un homme de science, le médecin St Luc, qui présente notamment la Pentecôte comme un évènement quand même publiquement accessible.

En même temps, je m’aperçois que de plus en plus de chercheurs – surtout dans les neurosciences – commencent à remettre sérieusement en question des présupposés du “scientisme” à partir de leur expérience en tant que scientifiques et (par exemple dans le cas des médecins), sans qu’on puisse les accuser d’une motivation religieuse antérieure. Ce sont avant tout les recherches sur les expériences de mort imminente – sujet du récent colloque “La Conscience et L’Invisible” à Paris au mois de février qui a attiré un public de 2000 personnes) – qui semblent être en train de bouleverser la donne en faveur d’un retour progressif dans la perception publique de ce qu’on pourrait appeler la “métapsychique”. En d’autres termes, le paradigme de l’athéisme scientiste réductionniste d’un univers composé uniquement de “hasard et nécessité” selon les célèbres mots de Jacques Monod, habité par l’homme uniquement “neuronal” d’après un Jean-Pierre Changeux se trouve confronté à des anomalies de plus en plus indéniables, dont de plus en plus de gens connaissent l’existence.

Les acteurs du dialogue

Une lecture attentive de l’histoire des sciences dans un contexte français révèle que l’investigation de tout un spectre de phénomènes (médiumnité, perception non-sensorielle et d’autres) apparemment irréconciliables avec le matérialisme scientifique était regardée comme absolument légitime comme objet de recherche par des intellectuels de premier ordre (comme Henri Bergson, William James, Charles Richet, Pierre et Marie Curie…) jusqu’à la Première Guerre Mondiale. La métapsychique fut pourtant progressivement évacuée du “mainstream” scientifique, en partie sous l’influence de la psychiatrie et la psychanalyse freudienne, et reléguée au domaine peu recommandable de la “parapsychologie”. Un des problèmes actuels, c’est qu’il y a visiblement un public de dimensions non-négligeables qui rejette le paradigme du scientisme mais qui interprète de tels phénomènes dans un cadre plutôt apparenté au Nouvel Âge ou qu’on pourrait appeler dans un contexte francophone “néo-spirite” en faisant référence au père du spiritisme français au XIXème siècle, Allan Kardec. Ce sont des gens – en effet majoritaires dans le débat autour de sujets comme les états de conscience modifiés, mais aussi très présents dans certains courants écologiques – qui ont souvent une vraie quête spirituelle mais qui sont pour diverses raisons assez réfractaires envers la tradition judéo-chrétienne. Ils constituent en quelque sorte la “troisième force” dans la discussion entre Science et Religion, une communauté qu’on appelle en anglais spiritual but not religious (“spirituelle mais non-religieuse”), qui n’a pas été prise très au sérieux par la théologie universitaire jusqu’à maintenant, mais qui est d’une importance considérable au niveau sociologique, et qu’il faudrait absolument prendre en compte si on veut que le dialogue avance. Présenter le point de vue de cette communauté n’est pas le but exprès de sciencesetreligions.com, notre priorité étant de regrouper plutôt du matériel signé soit par des représentants officiels des grandes religions, soit des auteurs scientifiques et philosophiques/théologiques attitrés, mais on ne va pas prétendre que les spiritual but not religious n’existent pas.

Particularités du site sciencesetreligions.com

Une des particularités du site sciencesetreligions.com par rapport à d’autres sites engagés dans le dialogue Science / Religion au niveau international est l’espace consacré à la phénoménologie. Cet aspect semble pour la plupart curieusement négligé dans la discipline appelée “Science et Religion” dans le monde anglo-saxon qui est plus caractérisé par des discussions herméneutiques autour de questions telles que la compatibilité du livre de la Genèse et la théorie de l’évolution, un thème très présent sur les sites tels que biologos.org. Des questions d’interprétation des Ecritures des grandes religions à la lumière de la science ont bien entendu leur place sur sciencesetreligions.com, et pas uniquement dans un cadre chrétien – voyons par exemple les débats autour des publications créationnistes du musulman Harun Yahya – mais nous nous limitons pas à cela. Nous essayons plutôt de regrouper sans tabous ou présupposés confessionnels tout ce qui pourrait avoir un impact sur la conversation entre science et foi, y compris des articles (que ce soit des publications d’auteurs actifs dans le domaine, ou bien des reportages de sources sérieuses telles que les chaînes de télévision ou radios francophones) sur des phénomènes qui, si authentiques, imposeraient une remise en question des paradigmes actuels sur la relation cerveau-esprit, la possibilité de la vie après la mort et contact avec un monde invisible, l’existence de miracles aujourd’hui etc.

La question des récits de mort imminente déjà citée est un bon exemple d’un dossier phénoménologique tel qu’on trouve sur sciencesetreligions.com, mais il y en a beaucoup d’autres. Que dire des miracles allégués lors de la prière de guérison à laquelle assistent 1200 personnes chaque jeudi soir à l’église parisienne de St Nicolas des Champs, menée par un prêtre qui est aussi docteur en philosophie et enseignant au Collège des Bernardins ? Quelles sont les implications des copieux témoignages et enregistrements réalisés sur le terrain par des membres de l’Association Internationale des Exorcistes, une organisation plutôt sobre qui n’a peu en commun avec les caricatures hollywoodiennes et qui travaille en lien étroit avec des professionnels de la santé mentale ? Que penser des cas célébrissimes de stigmatisation à l’époque moderne comme Padre Pio, Marthe Robin ou, pour prendre un exemple vivant, la syrienne Myrna Nazzour ? En reprenant la fameuse question des philosophes, pourquoi y a-t-il quelque chose ici plutôt que rien ? Ou bien, tournant à d’autres traditions, comment évaluer les expériences shamaniques de Corine Sombrun en Mongolie, le “channeling” du Nouvel Âge, les troublants écrits de Carl Jung (notamment dans le Livre Rouge récemment rendu accessible au public) où la frontière entre hypothèse scientifique et expérience métapsychique n’est pas toujours claire, les études anthropologiques du vaudou haïtien… ? Est-ce tout peut être réduit à des supercheries, des phénomènes d’hystérie collective ou le travail de l’inconscient ? Ou bien, est-ce qu’on a réellement à faire avec l’invisible (d’ailleurs pas toujours bienveillant) ? Comment faire le tri ? On peut se positionner comme on veut par rapport à ces cas, mais l’attitude très souvent rencontrée parmi des universitaires qui consiste à dire “circulez, il n’y a rien à voir” semble manquer de sérieux. Il y a quelque chose à voir ici, mais quoi ? Une analyse rigoureuse s’impose, bien entendu, utilisant tous les outils critiques de la recherche interdisciplinaire, mais une analyse ouverte, dépourvue de préjugés d’ordre idéologique, et qui prend en considération toutes les données, non seulement celles qui sont susceptibles de conforter les idées reçues. La première étape, c’est au moins de présenter ces données souvent méconnues du grand public, afin que le travail d’évaluation critique puisse commencer. C’est donc cela que nous essayons de faire.

Le site se distingue également par un important volet philosophique consacré à une réflexion sur l’avenir des technosciences, un sujet qui en principe concerne tout le monde. Il faudrait souligner que la science n’est pas uniquement un ensemble de connaissances théoriques, mais aussi – ce qui est très évident même dans les écrits des fondateurs de la science occidentale moderne comme Francis Bacon ou René Descartes – un projet ambitieux et ambigu visant à connaître les processus du monde naturel afin de pouvoir contrôler la nature, voir l’exploiter par la technologie. Ce qui est loin d’être neutre philosophiquement et éthiquement. Si sciencesetreligions.com est évidemment intéressé par le regard des sciences sur les religions, ici cela marche également dans le sens inverse par le biais d’auteurs qui essaient de dégager les tendances profondes de la démarche technoscientifique en faisant référence à la tradition biblique.

En partant de penseurs tels qu’Ivan Illich ou Jacques Ellul jusqu’aux auteurs contemporains tels que Jean-Pierre Dupuy, Bruno Latour, Olivier Rey, Bertrand Vergely ou Dominique Bourg, il nous semble important d’inviter les lecteurs à prendre acte d’un débat très riche sur des thèmes comme le transhumanisme et les implications de la “convergence NBIC” entre nanotechnologie, bio-technologie, intelligence artificielle et sciences cognitives. Ce qui est en jeu ici est de taille, ayant des implications profondes pour notre vision de la personne humaine, ses responsabilités, sa place dans l’univers et ses rapports à la nature. Parmi nos derniers articles à paraître se trouve par exemple un dossier consacré aux réflexions très intéressantes du Professeur Dominique Lambert de l’Université de Namur, consulteur au Conseil Pontifical pour la Culture, au sujet des enjeux éthiques de la robotique, y compris l’usage des “robots autonomes armés” dans les conflits militaires. Un autre domaine important de réflexion concerne l’impact de l’activité humaine – donc la “science appliquée” en quelque sorte – sur la planète, une problématique aussi mise en valeur par le Pape François dans l’encyclique Laudato Si’, ce qui pose la question de la relation entre théologie et écologie.

Sciencesetreligions.com, projet d’évangélisation ?

Est-ce que sciencesetreligions.com devrait être compris comme un projet d’évangélisation ? La réponse est oui et non. Non dans la mesure où c’est avant tout un site éducatif où la pluralité des grandes traditions religieuses est respectée – si les auteurs chrétiens dominent numériquement, nous avons aussi un assez grand nombre d’articles d’auteurs musulmans ou bouddhistes. Notre politique est de signaler l’existence de publications qu’on estime importantes pour le débat par leur qualité intellectuelle ou une certaine représentativité de courants d’opinion sociologiquement signifiants, qu’on soit personnellement d’accord avec eux ou non (on trouvera sur sciencesetreligions.com même du contenu signé par des athées attitrés !). Nous essayons par contre d’écarter tout ce qui est de l’ordre de la propagande religieuse – ou anti-religieuse – basée sur la seule rhétorique plutôt que sur des arguments logiques. Après, c’est aux lecteurs de juger la cohérence des opinions des auteurs ce présentés par le site. En même temps, en tant que chrétien, je dirai “oui” à la question de savoir si sciencesetreligions.com est compatible avec ce qu’on appelle depuis quelques décennies déjà la Nouvelle Evangélisation. D’abord parce que les auteurs des articles, vidéos ou recensions de livres (dont moi-même ainsi que mon collègue Philippe Gagnon du Centre Théologique de Meylan-Grenoble, également responsable pour le contenu du site) ne cachent pas leurs propres convictions religieuses. Mais aussi, plus fondamentalement, parce que ce qui anime le site, c’est une quête sincère de la vérité à l’égard des 12 questions qui le structurent. Cette démarche ne peut pas être en contradiction avec Celui qui pour nous est le Chemin, la Vérité et la Vie (Jean 14,6). Même si la science ne peut pas “prouver Dieu”, nous sommes convaincus que la considération du “phénomène religieux” à la lumière des sciences mais plus généralement de l’analyse rationnelle peut être utile pour trancher entre des opinions divergentes au sujet de ces grandes questions, car certaines réponses semblent être appuyées par les faits avérés scientifiquement, tandis que d’autres seraient de simples affirmations sans fondement logique apparent. Pour être vrai, un article de foi quelconque doit être capable de résister à la confrontation avec des faits – à distinguer bien évidemment d’hypothèses scientifiques, qui n’ont pas le même poids. Et s’il y a du vrai dans ce que nous mettons à la disposition du public, cela aura sa propre force de conviction.

Peter Bannister

Titre et sous-titres mis par la rédaction

(1) http://sciencesetreligions.com
(2) Peter Bannister est l’auteur de plusieurs articles sur ce site : « Interview de Peter Bannister, musicien, compositeur et théologien » : https://www.temoins.com/interview-de-peter-bannister-musicien-hors-pair-et-theologien-jean-hassenforder/ « Sciences et foi. Etat des lieux et enjeux actuels » : https://www.temoins.com/science-et-foi-etat-des-lieux-et-enjeux-actuels/

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