Je suis directeur artistique associé et compositeur-en-association pour SOLI DEO GLORIA, une organisation basée à Chicago qui agit pour la promotion de la musique sacrée judéo-chrétienne dite ‘classique’ dans divers pays. Parmi nos projets se trouve des enregistrements et la commande d’œuvres nouvelles ainsi que le soutien d’initiatives artistiques dans des endroits où les structures musicales locales ont besoin d’un apport extérieur afin de réaliser leur mission (Amérique Latine, Afrique, l’ex-Union Soviétique …).** Voir mon site **

 

Comment vous êtes vous engagé dans l’expression musicale ?
J’ai commencé (comme des milliers d’autres) par curiosité enfantine – l’improvisation au piano, l’expérience du chant choral … Vouloir écrire de la musique me semblait toujours une chose naturelle, un besoin intérieur.

Quelles sont les principales étapes de votre itinéraire musical ?
Adolescent j’ai eu la chance énorme d’avoir un professeur de piano extraordinaire (David de Warrenne) qui m’a encouragé dans tous les aspects de mon développement musical. J’ai participé à une maîtrise assez connue à Londres, ce qui m’a amené à chanter en concert et à l’opéra dès l’âge de 12-13 ans dans un cadre collectif et amical – un fait absolument fondateur pour la construction de ma personnalité artistique à tous les niveaux. Par la suite j’ai étudié la musique de manière formelle à l’Université de Cambridge, puis en France. Pendant plusieurs années mon activité s’est ensuite centrée autour de l’orgue, en tant que concertiste, mais j’ai également été actif dans le domaine de l’opéra, comme chef de chant, ce qui m’a amené à travailler non seulement pour beaucoup de grands chefs d’orchestre tels que Gennadi Roshdestvensky, Simon Rattle ou James Conlon,  mais aussi auprès d’artistes lyriques comme Anja Silja ou Renée Fleming. Depuis quelques années je me consacre de plus en plus à la composition, ** Ecouter (en ouvrant les mp3) quelques extraits de ses oeuvres **  Je suis convaincu que mes activités de compositeur ont été fécondées par mon expérience pratique d’interprète – en effet, étant improvisateur depuis toujours, je ne vois pas de cloisonnement strict entre l’écriture et l’interprétation musicale.

Pouvez-vous retracer les principales étapes de votre itinéraire spirituel ?
J’ai été élevé dans la tradition méthodiste (ma mère prêchait dans des églises locales, mon père était également un des responsables de la congrégation). Mais, en tant que musicien d’église, j’ai été amené à intervenir dans divers cadres confessionnels – anglican, baptiste, catholique … La réalité était donc pour moi toujours interconfessionnelle et je vivais les conflits à l’intérieur du christianisme comme quelque chose de douloureux et d’inutile. Vint ensuite mon premier contact avec la communauté œcuménique de Taizé, au milieu des années 80s. Tout de suite je me suis senti en accord fondamental avec le projet de Frère Roger de réconcilier les chrétiens, d’aller vers des horizons toujours plus larges sans perdre le centre christique.

Quel rapport ressentez-vous entre votre expérience musicale et votre expérience spirituelle ?
Ce sont des choses qui sont pour moi intimement liées par la quête de la transcendance.

Quel rapport percevez-vous entre votre vision chrétienne et l’expression musicale ?
C’est vrai que l’expression la plus directe a été pour moi la composition d’œuvres qui font ouvertement référence à la foi chrétienne, mais on peut voir ce rapport aussi d’une façon plus large.
Si la vision chrétienne englobe tous les domaines de l’expérience humaine, tous les aspects de la pratique artistique ont une dimension spirituelle. La découverte de l’autre, le partage et le don de soi dans la collaboration musicale par exemple (ce qui m’a toujours interpellé dans mon travail avec les chanteurs et que je qualifierais, à 80% au moins, de psychologique !), ou le chœur et l’orchestre comme paraboles de la communauté, ou encore la création artistique comme reflet (pâle et imparfait, bien sûr) de l’activité créatrice de Dieu qui transfigure, en quelque sorte, la matière …

Vous publiez vos réflexions à ce sujet sur votre blog ? Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?
Sur mon blog, hébergé par SOLI DEO GLORIA, ** Voir le Blog ** , j’essaie de souligner l’aspect spirituel de la musique dans toutes ses dimensions. Vous pouvez par exemple y trouver des articles sur les grands compositeurs classiques et modernes de musique sacrée (Dvorak, Bruckner, Messiaen, Pärt, Silvestrov …) mais aussi une série de réflexions sur l’analogie entre l’interaction du chef d’orchestre avec ses musiciens et Dieu avec le monde, ou sur l’utilisation de métaphores musicales chez des théologiens comme Dietrich Bonhoeffer, Hans Urs von Balthasar ou Robert Jenson.

Vous venez de suivre une formation théologique. Dans quelles conditions ? Pour répondre à quelles questions ?
En 2007 j’ai reçu une commande de la part de SOLI DEO GLORIA pour une œuvre sur le sujet de l’Avent, en lien avec le centenaire de la naissance d’Olivier Messiaen qui se qualifiait comme ‘musicien théologique’. Pour que l’œuvre soit dans l’esprit de Messiaen, il me semblait évident que je devais approfondir mes connaissances théologiques, surtout parce que j’allais aborder l’Avent sous l’aspect de l’attente du retour du Christ dans sa gloire, qui vient pour juger le monde – un sujet à la fois complexe et controversé ! Par la suite j’ai eu l’occasion de présenter mes recherches sur Messiaen et la théologie dans le cadre de plusieurs colloques pluridisciplinaires, et j’ai été frappé par le manque de vocabulaire commun entre les artistes et les théologiens. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à entreprendre un Master en théologie systématique et philosophique à l’Université du Pays de Galles (que j’ai terminé par correspondance).

Quels ont été pour vous les apports de cette formation théologique ?
Cette formation théologique était adaptée à des chercheurs venant comme moi d’autres domaines, par le biais d’une approche interdisciplinaire (il y avait par exemple parmi les étudiants un professeur en psychologie cognitive qui voulait mettre ses connaissances en lien avec la pensée de Saint Augustin).
Lors des colloques ‘arts et théologie’ auxquels j’avais déjà assisté avant de commencer ces études, j’avais été souvent gêné par le fait que les artistes – même hautement qualifiés dans leur domaine –  montraient un certain dilettantisme quand ils parlaient de la théologie (comme les théologiens quand ils parlaient d’art !). Je ne voulais pas tomber dans le même piège. Je voulais donc que mes idées théologiques soient évaluées par des personnes qui feraient abstraction de mon parcours professionnel dans la musique. En effet, dès le début, j’ai su que mes directeurs de recherches ne me feraient pas de cadeau quand je les ai entendus qualifier le Pape actuel – incontestablement un intellectuel très brillant – de théologien profond, mais faible en philosophie !! En exposant certaines lacunes de la théologie contemporaine ils ont donc mis la barre très haut. Je les remercie de leur rigueur, car je me rends compte qu’une Eglise qui a peur du défi posé par le débat public avec ses détracteurs se condamne inévitablement à rabâcher un discours dogmatique figé, ce qui constitue un désengagement vis-à-vis de la société, et cela juste au moment où c’est plutôt le dialogue constructif qui est indispensable.

Vous avez, entre autres, découvert la pensée du théologien : Jürgen Moltmann  avec laquelle vous avez des affinités ? Que vous a-t-elle apporté ?
J’ai découvert Jürgen Moltmann en 2007, quand j’ai étudié le soubassement théologique de la Passion selon St-Jean de J.S. Bach. J’ai lu alors ‘Le Dieu Crucifié’ de Moltmann, et cela m’a complètement bouleversé : c’était la première fois que je lisais un développement systématique de certaines intuitions sur la kénose de Dieu qui m’avaient déjà interpellé dans les lettres de Bonhoeffer, par exemple. J’étais captivé, chez Moltmann, par la fécondation mutuelle entre théologie et vécu personnel, par l’unité entre le discours théologique et une spiritualité vivante, authentique. Pendant mon travail sur mon oratorio Et iterum venturus est, c’est la lecture du grand livre de Moltmann sur l’eschatologie, La Venue de Dieu, qui m’a servi de guide et d’inspiration, m’orientant par exemple vers les écrits du grand théologien juif Abraham Heschel. J’ai eu l’immense opportunité de rencontrer Jürgen Moltmann en personne, il y a un an, lorsqu’il a donné trois conférences, intitulées ‘Réflexions sur la Croix’, à l’Eglise américaine de Paris, que j’ai traduites en français. La profondeur de sa pensée et la simplicité de ses rapports avec ceux qui ont assisté à ces conférences resteront gravées dans la mémoire de tous.

Vous êtes intéressé également par le rapport science-foi ? Vous avez écrit à ce sujet un mémoire dans le cadre de vos études théologiques. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Mon père – professeur émérite en anatomie à King’s College à Londres – est chercheur scientifique (il appartient à des groupes de recherche en médecine tropicale, microbiologie et neuroscience). Depuis des années qu’il m’exprimait sa frustration face au « dialogue de sourds » entre théologie et science, surtout autour de la théorie de l’évolution. En 2009, lors du 150e anniversaire de la publication de L’Origine des Espèces, nous avons organisé une série de conférences à l’Eglise américaine consacrée au rapport science-foi, dont, entre autres, des interventions de mon père ainsi que du philosophe et théologien Keith Ward. Les débats furent très vifs et, je dois le dire, assez peu concluants ! Voilà pourquoi je décidai d’axer mon travail sur l’état actuel du dialogue ‘après Darwin’. Celui-ci me paraissait avoir été complètement faussé par le conflit impitoyable et idéologique entre les ‘nouveaux athéistes’ (tels que Dawkins, Dennett ou Harris) d’un côté et les créationnistes ou supporters de la théorie du ‘Dessein Intelligent’ de l’autre. Tout cela a fait bien des dégâts ! Heureusement je vois beaucoup de signes d’espoir dans une théologie (en commençant par Teilhard de Chardin et Karl Rahner du côté catholique) qui essaie de réconcilier les découvertes scientifiques sur l’évolution avec la pensée biblique et patristique. Ici la pensée de Jürgen Moltmann, comme celle de Wolfhart Pannenberg, me semble d’une importance capitale en montrant que la vision biblique est dynamique, orientée vers l’avenir de Dieu – un avenir qui est encore à réaliser dans sa plénitude. Si c’est avant tout l’incarnation de Jésus-Christ – lui-même le point culminant de l’évolution cosmique dans sa nature humaine -, qui constitue le centre de cette théologie, nous n’avons cependant pas à nous souvenir uniquement d’événements dans le passé. Sa Résurrection est comme un avant-goût du renouveau divin de l’univers entier, esprit et matière.

Vous êtes responsable de la formation dans le cadre de l’église américaine de Paris. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette formation et quel en sont les objectifs ? Par rapport aux aspirations de nos contemporains, pouvez-vous nous faire part de quelques pistes pour le témoignage chrétien ?
Nous sommes convaincus que la réflexion théologique est la responsabilité de tous les croyants, et pas seulement du clergé ou de ceux qui ont suivi une formation théologique universitaire (ici je suis en accord total avec le programme établi par Philip Clayton dans son récent livre Transforming Christian Theology ** Lire l’analyse sur le site ** ). Tout chrétien a besoin d’un apport solide ancré dans la grande tradition de l’Eglise, afin de faire face à la complexité de notre actualité contemporaine, non seulement sur le plan théorique, mais aussi afin de féconder notre témoignage quotidien dans tous les domaines de la vie (travail, vie relationnelle, engagement pour la justice et envers ceux qui souffrent …). Nous voudrions rendre la théologie accessible à tout le monde par le biais de groupes d’études bibliques, de discussion et de prière, ainsi que par l’intervention ponctuelle des meilleurs théologiens actuels. Après les conférences de Moltmann en mars 2010, nous avons pu profiter de séminaires très stimulants animés par des figures tels que Richard Bauckham. Notre prochaine série de conférences sera donnée par le philosophe américain Holmes Rolston III (le 5, 6 et 7 avril à 19h30 à l’Eglise américaine de Paris, 65 quai d’Orsay, 75007) ** Voir l’affiche d’annonce de ces conférences **, l’un des pionniers de l’écologie, qui parlera, entre autres, de l’émergence de l’esprit humain.

Interview réalisé par Jean Hassenforder

** Ecouter  Fresque  III **  

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