Considérer le monde d’aujourd’hui, c’est accorder une grande attention à la Chine, aujourd’hui à la fois une grande civilisation et une grande puissance. Or, on le sait, il y a bien en Chine une minorité chrétienne active. La pensée théologique de Jürgen Moltmann a trouvé un grand écho en Extrême-Orient et en Chine (1). De nombreux textes en témoignent. On connait la trajectoire politique actuelle de la Chine. Comment les chrétiens peuvent-ils vivre leur foi dans ce contexte ? Or, vient d’être mis en ligne sur internet un article de Kwok Wei-Luen, intitulé : ‘The Chinese Church and its Mission. A Dialogue with Moltmann’s Ecclesiology’ (L’Église chinoise et sa mission. Un dialogue avec l’ecclésiologie de Moltmann) (2). Kwok Wei-Luen est professeur l’Université Baptiste de Hong Kong. Théologien, son article est publié dans le cadre du Centre d’étude chrétienne sur la religion et la culture chinoise. On connait ici la portée de la pensée théologique de Jürgen Moltmann. Il est d’autant plus intéressant de voir combien cette pensée peut être active et éclairante dans des contextes très différents.

Kwok Wei-Luen se réfère à l’ecclésiologie eschatologique de Moltmann dans une double orientation : ‘L’espérance eschatologique et l’Église de l’exode ; l’Esprit Saint et la mission de l’Église chinoise pour une meilleure intégration de la foi chrétienne et de la culture chinoise’. « Par rapport à une eschatologie qui se prétend déjà réalisée, en devenant une Église de l’Exode avec une espérance eschatologique, l’Église peut garder une distance critique tout en démontrant une solidarité avec ses voisins ». Dans la pensée de Moltmann, l’espérance messianique eschatologique de l’Église est réalisée dans une ecclésiologie charismatique.

Plutôt que l’ancienne ecclésiologie, celle ayant inspiré les missionnaires d’autrefois dans une conception d’une Église spirituellement élitiste, cette nouvelle ecclésiologie aidera l’Église à adopter une vision pertinente pour sa mission dans la société chinoise.

 

Le rêve chinois et la discussion de Moltmann autour de la culture chinoise

« Moltmann a fait l’éloge des avancées économiques et technologiques qui ont transformé la Chine en un état moderne. Pour Moltmann, équilibre et progrès sont deux éléments importants pour comprendre la culture moderne chinoise. Moltmann suggère que la culture chinoise traditionnelle, spécialement sa pensée politique, est une projection d’un équilibre naturel harmonieux.

Chaque chose dans la société co-dépend de chaque autre dans un équilibre écologique : Cet équilibre reflète le ‘Tian Dao’. Cependant, au XXe siècle, le marxisme et la Révolution industrielle l’ont emporté et il en est résulté un rejet de la vision du monde d’un équilibre naturel ». « Le marxisme et le mode de pensée industrielle ont appris aux intellectuels et aux leaders chinois de penser le monde en terme d’histoire, c’est-à-dire à croire à un développement progressif d’une manière linéaire. Dans cette perspective, les gens devaient lutter avec la nature ». Moltmann a manifesté son inquiétude vis-à-vis de l’agressivité de cet historicisme du progrès. « Il a suggéré que cet historicisme du progrès apprenne la sagesse de l’équilibre naturel harmonieux de la culture chinoise traditionnelle pour faire face à la crise écologique ». Ayant dépassé la lutte de classe, la Chine communiste avait une chance de permettre une convergence entre équilibre et progrès. « Inversement, la vision du monde judéo-chrétienne, qui est aussi un genre de progressisme historique, ne peut pas facilement adopter une vision du monde harmonieuse. En conséquence, Moltmann encourage les chrétiens à intégrer la culture chinoise dans leur propre foi ».

Cependant, on observe actuellement en Chine une évolution politique dans laquelle la culture impériale de la Chine traditionnelle est intégrée par la culture communiste du progrès. « Dans la culture traditionnelle chinoise, l’empereur devait gouverner selon ‘le mandat du ciel’ (tiandao) ». Le parti communiste chinois gouverne selon une idéologie du progrès. Or une combinaison entre les pensées politiques impériale et communiste s’est réalisée récemment. En 2018, au Congrès national du peuple, Xi Jiping s’est exprimé en ce sens. « Le parti communiste chinois se présente maintenant lui-même comme le leader de toute chose qui allie la glorieuse culture passée et la réussite future de la Chine ». En même temps, on reproche au christianisme chinois d’être occidentalisé.

Si Moltmann recommande une intégration de cultures pour faire face à la crise écologique, il ne soutient pas la pensée politique combinant ancien empire et communisme moderne. Dans la théologie de l’espérance, Moltmann critique le marxisme comme une réalisation manquée d’eschatologie (failed ‘realiszed eschatology’). La théologie trinitaire de Moltmann est opposée à un monothéisme politique et à un gouvernement autoritaire. Pour Moltmann, « ‘tiendao’ est la ‘voie du ciel’ ou l’équilibre naturel d’un ordre universel tandis que les dirigeants ambitieux de la Chine se présentent comme les seuls représentants du tiendao »

L’Église chinoise fait maintenant l’expérience d’une répression de la liberté religieuse. En regard, l’auteur rapporte que, pour Moltmann, « réfléchir à la mission de l’Église à travers l’espérance est l’attitude la plus appropriée au milieu du désespoir et de la perte ». Il écrit : « Le christianisme a son essence et sa finalité non pas en lui-même, et non pas dans sa propre existence, mais il vit et il existe pour quelque chose qui va bien au-delà de lui. Si nous voulions saisir le secret de son existence et de ses modes de comportement, nous devrions nous interroger sur sa mission. Si nous voulions sonder son essence, alors nous enquêterions sur le futur dans lequel il met ses espoirs et ses attentes. Si, dans les nouvelles conditions sociales, le christianisme a lui-même perdu ses soutiens et devient incertain, alors il doit à nouveau considérer pourquoi il existe et quel est son objectif ».

Kwok Wei-Luen se propose de considérer l’ecclésiologie de Moltmann sous deux aspects pour apporter un sens de mission et d’espérance pour l’Église chinoise. « C’est d’abord une espérance eschatologique et une Église de l’exode. C’est ensuite le Saint Esprit et la mission de l’Église chinoise pour une profonde intégration de la foi chrétienne et de la culture. En devenant une église de l’exode, le christianisme chinois peut retrouver les ressources pour aborder le récent défi politique et réaliser une plus profonde intégration de la foi et de la culture. L’espérance eschatologique pourvoit l’église en ressources pour garder une distance critique vis-à-vis de toute version d’une eschatologie réalisée tout en exprimant de la solidarité avec sa communauté. Selon la pensée de Moltmann, l’espérance messianique eschatologique de l’Église mène à une ecclésiologie charismatique. Donner la priorité à une ecclésiologie d’une espérance eschatologique dans le Saint Esprit par rapport à une ecclésiologie lourdement contrôlée par une Christologie du Logos (Logos Christology) peut aider l’Église à gagner une nouvelle vision et une nouvelle perspective pour sa mission dans la société chinoise actuelle ».

 

L’espérance eschatologique et l’Église de l’exode

« Moltmann est bien conscient de la marginalisation de la religion dans la société industrielle moderne. D’un côté, elle engendre une organisation massive de la conformité ; de l’autre, des individus isolés, solitaires. Au nom de l’idéologie du progrès, l’Église a cessé d’être ‘cultus publicus’, un culte public. Elle devient ‘cultus privatus’, un culte privé, une activité privée, volontaire, tourné vers l’intérieur, une religiosité individuelle et privée et elle n’a aucun rôle et aucun devoir social dans notre vie publique. Pour l’Église chinoise, l’état permet la liberté de la foi religieuse, mais pas la liberté de la religion »

Ainsi, en Chine, la religion est refoulée de l’espace public. En subissant la pression de l’état, « les Églises se sont développées dans trois directions parmi d’autres : 1 devenir une église stagnante contrôlée par la réglementation gouvernementale, 2 devenir une secte politique dissidente au nom du calvinisme, ou, 3 devenir une religion populaire fanatique. La première direction est le résultat d’une totale assimilation de l’Église dans le système bureaucratique de l’état. Kwok Wei-Luen précise cette situation et il en montre les carences à partir de la vision théologique de Moltmann : « Si nous suivons l’ecclésiologie eschatologiquement orientée de Moltmann, l’Église ne peut pas être contrôlée et limitée par l’état, par des miracles populaires religieux, ni par des modes de résistance. L’église est un groupe de gens appelés, envoyés, justifiés et sanctifiés par Christ ressuscité. Ainsi Christ « les rassemble, les appelle et les envoie dans son futur eschatologique pour le monde ». Dans les trois orientations décrites précédemment, l’Église n’est pas pleinement libérée du pouvoir de l’histoire – une anticipation fixée et déterminée de l’espérance future.

Moltmann décrit l’espérance messianique en se référant au ‘futur dans la puissance de l’histoire’.  Son interprétation messianique, c’est la rédemption du futur du pouvoir de l’histoire.

Ce pouvoir de l’histoire est envisagé par Moltmann comme le pouvoir des puissants qui « étendent leur présent victorieux au futur pour augmenter et consolider leur pouvoir. Leur futur est sans alternatives et dépourvu de surprises. Ce n’est pas plus que la prolongation d’un état de possession, et son expansion. Leur futur est extrapolé des tendances de leur passé et de leur présent ». À partir de Moltmann, l’auteur nous montre un futur différent : « Inversement, l’Église messianique devrait opter pour une ouverture radicale de l’espérance. Dans le ‘moment messianique’, les lois et forces du passé ne sont plus compulsives. Le futur messianique de Dieu prend pouvoir sur le présent… » Ainsi, « ce futur messianique interdit à l’Église de devenir une institution apprivoisée de l’état ». Selon Moltmann, « la tâche du christianisme aujourd’hui est de résister à la stabilisation institutionnelle des choses et ‘en posant la question du sens’, de rendre les choses incertaines et de les garder mobiles et élastiques dans le processus de l’histoire ».

Dans la même perspective, Kwok Wei-luen « invite les chrétiens à sortir de leurs rôles socialement fixés ». Il s’inscrit dans la vision de Moltmann en préconisant une Église de l’exode. « L’Église doit s’aventurer dans un exode pour une vie nouvelle plutôt que de préserver le statu quo d’une société moderne industrielle. Le futur messianique garde l’Église de la tentation de devenir un instrument du pouvoir d l’histoire… Seule une Église de l’exode peut aider la société à apprécier la valeur de la rédemption messianique… Si elle ne s’aventure pas en Église de l’exode, l’Église chinoise peut seulement devenir un ‘cultus privatus’, un culte privé. De cette façon, la croyance religieuse ne fera qu’intensifier la solitude et l’isolement des vies individuelles ».

Kwok Wei-Luen nous ouvre alors une grande perspective :

« Si l’Église est en exode, elle entrera inévitablement en conflit avec la société, et, dans le contexte chinois avec l’état. Mais cela ne signifie pas que les chrétiens seront en hostilité avec, ou en séparation avec la société, pour leur radicale différence. Plutôt, cette radicale différence ouvre une espérance pour une vie nouvelle. Cette espérance permet aux chrétiens chinois d’entrer dans un partenariat, porteur de conflits, mais fructueux avec la société ».

Dans cet éclairage, l’espérance messianique eschatologique de l’Église aide les chrétiens à éviter de tomber dans un simple activisme politique. L’espérance de l’Église n’est pas d’établir un nouveau pouvoir politique terrestre. Plutôt, l’Église, qui est le corps du Christ messianique souffrant, devrait incarner la souffrance et l’espérance du peuple. L’Église est le port, l’hôpital, le refuge des gens souffrants. Nous devrions nous identifier avec les marginalisés, les défavorisés et les opprimés en Chine, souffrir avec eux et leur apporter une espérance à travers le service et la prière. Ces exercices spirituels mènent les chrétiens à devenir une communauté spirituelle pour le monde et non simplement pour elle-mêmeLa solidarité et la compassion du Christ messianique rendent l’Église capable de rompre avec le genre de vie de la culture dominante et d’offrir de nouvelles possibilités pour les gens ».

Kwok Wei-Luen a bien conscience des épreuves que cette orientation entraine. « Le pouvoir politique dominant ne tolérera pas l’Église, car elle se détourne de la conscience de la culture dominante. On peut attendre la venue de davantage de persécution et de souffrance… L’Église réalisera qu’elle doit souffrir et apporter de l’espérance aux gens à travers la prière.

Moltmann nous rappelle l’importance et la puissance de la prière :

« La prière pour l’Esprit rend les gens attentifs et sensibles. Elle les rend vulnérables et stimule la puissance de leur imagination pour percevoir la venue de Dieu dans la libération de l’homme et se mouvoir en conséquence. Ainsi, la prière mène à une vigilance politique et le vigilance politique mène à la prière… Nous ne pouvons pas ‘faire’ un genre de vie messianique. Ce n’est pas une pratique qui rend parfait ici. C’est de la souffrance et de l’espérance. Ce genre de vie est créé par l’Esprit ».

« Dans la prière, l’Église se tiendra en solidarité avec les compatriotes chinois dans la souffrance et dans l’espérance au milieu de circonstances politiques difficiles. De plus, l’Église chinoise reconnaitra que, comme une communauté eschatologique, elle est ‘la nouvelle création dans l’Esprit’.

A ce titre, l’auteur évoque l’unité que suscite l’Esprit. Il appelle à dépasser certaines insuffisances. « Quand les chrétiens chinois seront capables de rompre avec le pouvoir magique des religions populaires, le paternalisme d’une culture traditionnelle et de l’autoritarisme et l’historicisme politique progressiste actuel, nous pourrons offrir davantage de générosité à la culture chinoise avec le message d’amour et de compassion de l’Évangile ». Dans cette mission messianique, « nous ne pouvons pas dire ce qu’est l’Église en toutes circonstances, mais nous pouvons dire où l’Église advient. Que ce soit une Église contrôlée, une Église pentecôtiste rurale, ou une Église de maison urbaine dans un style intellectuel calviniste, cela n’a pas d’importance. C’est notre mission auprès des gens qui témoigne si nous sommes l’Église chrétienne en Chine, une Église qui sert et souffre avec le peuple chinois ».

Certes Kwok Wai-Luan a conscience des divisions et des oppositions théologiques dans le contexte chinois ; la réception de la théologie de Moltmann n’y va pas de soi. Voilà qui appelle au dialogue. C’est un défi.

 

L’Église dans le pouvoir de l’Esprit et la mission de l’Église chinoise pour la culture chinoise.

À partir de la théologie de Moltmann, en particulier développée dans son livre ‘l’Église dans la puissance de l’Esprit’, Kwok Wai-Luan se propose également d’engager un dialogue avec la théologie qui est héritée des missionnaires : une théologie du Logos. « J’essaierai de montrer comment l’ecclésiologie eschatologique de Moltmann peut aider l’Église chinoise à affronter les mises en cause politiques, particulièrement la rhétorique reprochant au christianisme d’être étranger à la culture chinoise. Depuis le début du XXe siècle, les communistes chinois et des intellectuels non-chrétiens ont développé une rhétorique politique du salut national et du patriotisme… Elle évoque un ‘rêve chinois’. Mais, faisant face à un christianisme chinois en rapide croissance, ils ont représenté la foi chrétienne comme non-scientifique, superstitieuse, impérialiste, étrangère et ainsi non patriotiqueJ’argumenterai que la théologie du ‘Logos’ (Logos theology) héritée de l’entreprise missionnaire ne peut faire face à ce défi. D’une certaine façon, elle est nourrie par la croyance en une dichotomie entre la culture chinoise e la foi chrétienne ».

En remontant au début du XXe siècle, Kwok Wai-Luan veut donc nous apporter des exemples historiques de rejet du christianisme tel qu’il était présenté à l’époque. « En 1900, le soulèvement des Boxers a montré que beaucoup de chinois avaient un fort sentiment anti-chrétien et qu’ils entendaient repousser le christianisme hors de Chine par la force. Cependant, les deux décennies qui ont suivi le mouvement des Boxers ont été une période d’un développement sans précédent du christianisme en Chine. Pourtant, cette croissance n’a pas signifié la fin d’un ethos anti-chrétien en Chine ». En 1922, à Shanghaï, un groupe d’étudiants annonce la formation d’une fédération étudiante anti-chrétienne et publie un manifeste.

« La science, le rationalisme, et le patriotisme étaient les principales raisons pour attaquer la religion et ainsi le christianisme ». C’était aussi une opposition majeure au capitalisme et à son expansion en Chine. Ce sentiment se retrouve encore aujourd’hui.

« Malheureusement, les chrétiens chinois, de la période républicaine à aujourd’hui, n’ont pas été capables de répondre efficacement au sentiment anti-chrétien. Le christianisme chinois comme un héritier de l’entreprise missionnaire occidentale et du mouvement de réveil a été enseigné à croire dans un message culturel dualiste. Chrétien contre païen. Le christianisme est la seule religion ‘vraie’ et toutes les autres cultures sont le ‘mal’. » Kwok Wai-Luan cite ainsi un fameux missionnaire anglais, qui déclarait en 1877 dans une conférence missionnaire à Shanghai, que les missionnaires étaient là ‘pour lutter contre les puissances des ténèbres, sauver des hommes du péché et conquérir la Chine pour Christ’. « La mentalité missionnaire était une résultante de l’accent accablant mis par l’Église sur le salut dans le Christ incarné. La Parole de Dieu est le ‘Logos’. Jésus-Christ est le ‘Logos incarné’ – Dieu, et la seule voie est le salut, et la mission de l’Église est d’apporter le salut au monde. Les chinois peuvent seulement être sauvés par Jésus-Christ à travers la conversion. Implicitement, cela signifie que la culture chinoise est sans valeur et mauvaise, et ainsi, ‘conquérir la Chine pour Christ’ est la seule tâche légitime pour les missionnaires. Parce que l’Église chinoise est héritière de l’entreprise missionnaire du XIXe siècle, ces enseignements ont conduit la plupart des chrétiens chinois à croire qu’il y a une grande division entre chrétiens et non-chrétiens… Sous l’influence missionnaire, les réponses des chrétiens chinois autant libéraux que conservateurs au défi du mouvement anti-chrétien étaient limitées par la christologie du Logos… Cette vision dualiste de la foi et de la culture a contribué au rejet chinois du christianisme. La culture chinoise et la connaissance scientifique étaient perçues comme insuffisantes, sinon en opposition à la foi chrétienne ». A travers l’examen des écrits de plusieurs théologiens, Chang et Chao, Kwok Wai-Luan décrit les différentes manières dont cette théologie christocentriste est exprimée tant dans le christianisme libéral que conservateur. Il cite l’épisode de la pensée théologique de K H Ting qui « a utilisé la version théologique de Teilhard de Chardin pour développer une christologie cosmique rendant compatible la foi chrétienne avec le communisme ».

En réponse à la division ravageuse engendrée par la christologie du Logos, Kwok Wai-Luen nous propose une autre christologie, une christologie de l’Esprit (Spirit Christologie). Selon Geoffrey Lampe, « l’évènement du Christ désigne non seulement l’incarnation d’un médiateur divin, mais aussi l’union personnelle de Jésus humain ave Dieu comme Esprit – c’est-à-dire avec Dieu en rayonnement personnel et actif dans le monde ». A travers la présence de l’Esprit en Jésus, « nous comprenons que Jésus est vraiment Dieu et authentiquement humain ». Alors, « la conversion n’est pas réalisée par la force et les efforts missionnaires, mais par l’attraction de la beauté, de la bonté et de l’amour de l’œuvre de l’Esprit dans les êtres humains et en Jésus-Christ ».

Avec une Christologie de l’Esprit, l’héritage culturel et son avancée future peuvent trouver place dans l’enseignement théologique… ».

C’est ainsi que Kwok Wai-Luen se tourne vers la théologie de Moltmann et y trouve une réponse. « L’ecclésiologie eschatologique animée par l’Esprit, de Moltmann, ouvre une voie à une profonde intégration de la culture chinoise dans la foi chrétienne.

Moltmann a articulé la mission de l’Église dans l’esprit avec un cadre trinitaire, établissant que ce n’est pas l’Église qui a une mission de salut à accomplir dans le monde, mais c’est la mission du Fils et de l’Esprit à travers le Père qui inclut l’Église, créant une Église en ce sens. Dans cette ecclésiologie, notre espérance messianique est une communion dans l’Esprit. L’espérance messianique est importante pour l’Église en lui permettant de saisir sa mission. C’est un futur pour la libération de la création dans l’Esprit à travers le Père. Dans cette libération, les êtres humains s’uniront les uns avec les autres, avec la nature et avec Dieu.

Dans l’Esprit, l’Église se donne elle-même et sert les autres dans l’amour et dans les souffrances et il y aura la joie de la communion. L’Église vivant dans la puissance du Saint Esprit ne se voit pas seule… Dans le principe de la relationalité, l’Église est dans une vie communautaire en compagnonnage avec les êtres humains. Alors, pour l’Église chinoise, nous sommes dans une vie communautaire (communal life) avec nos compatriotes. « Si nous vivons en communauté », écrit Moltmann, « nous assumons une responsabilité en nous. D’une certaine manière, les autres existent en nous ». Dans une communauté humaine, nous sommes présence, espace, demeure les uns pour les autres.

Pour l’Église chinoise, l’unité communautaire ne signifie pas seulement l’unité entre les chrétiens. Elle signifie aussi la solidarité avec le peuple chinois. La mission de l’Église n’est pas de sauver la culture déchue d’un monde du dehors, mais d’être en solidarité avec la communauté et sa culture dans l’esprit de l’espérance messianique.

Bien que le parti limite la participation sociale de l’Église, nous pouvons nous demander comment individuellement les chrétiens chinois, comme porteurs de l’Esprit, peuvent apporter le don de l’Esprit à leurs compatriotes. De bonnes œuvres, la solidarité de l’Esprit, une vraie harmonie de vie peuvent être un témoignage dans la société chinoise.

Comme membres de la communauté chinoise, nous apporterons à notre culture la beauté esthétique de l’Esprit. Nous montrerons la beauté de la culture chinois dans notre culte, les rituels et la vie chrétienne quotidienne.

S’il y a persécution de chrétiens en Chine, la ressource chrétienne pour faire face au défi, n’est rien d’autre que l’espérance ‘pneumatologique’ de la résurrection. Cette espérance « rend les gens prêts à vivre leur vie dans un plein amour et de dire un Oui complet à la vie qui mène à la mort. Cela ne retire pas l’âme humaine d’une vie corporelle sensible. Elle anime la vie d’une joie sans fin » (Moltmann). Les chrétiens doivent dire oui à leur vie qui est inscrite dans la culture chinoise.

Kwok Wai-Luen voit un chemin, une perspective dans la théologie de Moltmann.

« Je suggère que le concept de ‘transcendance immanente’ dans la théologie de l’Esprit de Jürgen Moltmann peut guider la réflexion de l’Église chinoise parce que l’ ‘idée confucéenne d’une union entre le Ciel et les êtres humains est aussi un idéal qui correspond à la transcendance immanente’. Tandis que le confucianisme pointe au ‘Dao’ éternel et toujours créateur, le christianisme se réfère à l’Esprit. Cependant, le christianisme peut-il reconnaitre ‘Dao’ comme une œuvre de l’Esprit ? » La théologie de l’Esprit de Moltmann fournit une base pour cette possibilité.

« Chaque expérience qui nous arrive et que nous avons, peut comporter un aspect intérieur, transcendant… ; l’expérience de l’Esprit de Dieu est un élément constitutif du Tu (‘Thou’) dans l’expérience de la socialité comme dans l’expérience de la nature. Il est alors possible de faire l’expérience de Dieu dans et avec chaque expérience quotidienne du monde » (Moltmann).

« Dans cette voie, le christianisme et la culture chinoise peuvent réaliser une profonde intégration à travers l’œuvre de l’Esprit en nous. La culture chinoise peut être comprise comme l’œuvre de l’Esprit et être ‘évaluée à l’aune de l’évènement messianique du Christ’ (evaluated by messianic event of Christ). L’approche trinitaire de Moltmann nous aide à déjouer le piège d’englober l’évènement messianique du Christ dan l’agenda politique de pouvoirs terrestres. Dans l’évènement messianique, l’Église est appelée à servir les compatriotes chinois et être en solidarité avec eux à travers la souffrance ». Kwok Wai-Luen conclut sur le thème de la solidarité de l’Église avec le peuple chinois.

 

Une étude inspirante

Aujourd’hui, quelque soient les tensions, les réactions, les enfermements, la conscience de l’unité du monde, la conscience de l’unité de l’humanité s’impose, Cette réalité rejoint l’évocation biblique de ‘toutes les nations’. Dans ce concert, prend place la grande civilisation chinoise, une humanité aux racines profondes, un peuple un moment humilié, aujourd’hui, une puissance dynamique gouvernée par un état où s’impose une autorité impériale et totalisante. Au cours des derniers siècles, la foi chrétienne s’est présentée en Chine et, à travers une histoire créative, héroïque et mouvementée, elle s’y est développée et, dans une réalité minoritaire, elle y est bien présente. Comment pourrait-on méconnaitre cette réalité dans notre recherche d’une pertinence de la présentation chrétienne, recherche qui requiert d’abaisser toutes les barrières. Alors, combien il a été précieux d’accéder à cet article récent sur ‘L’Église chinoise et sa mission’. Mais, cet article est d’autant plus précieux qu’il est écrit par un théologien chinois, Kwok Wai-Luen et qu’on y retrouve l’éclairage de Jürgen Moltmann, ce grand théologien à l’audience internationale. L’article est également intitulé ‘Dialogue avec l’ecclésiologie de Moltmann’. Or, n’est-ce pas avec Jürgen Moltmann (3) que Témoins a particulièrement cherché une réponse aux questionnements et aux aspirations de nos contemporains ? La théologie de Moltmann est remarquable et éclairante parce que son auteur a toujours été de l’avant, ouvrant des perspectives nouvelles, et fondant ces avancées sur une approche œcuménique, rapprochant ce qui était séparé (4). Une telle pensée trouve naturellement une audience internationale. La théologie de Moltmann est très appréciée en Extrême Orient, en Corée, au Japon et bien sûr, en Chine.

Théologien, professeur à l’Université Baptiste de Hong Kong, Kwok Wai-Luen nous fait part de la situation actuelle du christianisme en Chine face à un pouvoir politique en volonté de contrôler au maximum les expressions de la société chinoise, et très particulièrement la vie des Églises chrétiennes qui lui apparaissent comme issues de l’étranger. Kwok Wai-Luen s’interroge sur la manière selon laquelle les chrétiens peuvent le mieux faire face à ce défi. Et, dans cette entreprise, il trouve son inspiration dans la théologie de Moltmann. C’est dans une espérance eschatologique que l’Église pourra échapper à l’emprise d’une idéologie se réclamant de progrès. Et c’est comme une Église de l’exode qu’elle pourra garder quelque recul vis-à-vis du pouvoir impérial. Ce sera une Église animée dans la communion trinitaire, inspirée par l’espérance eschatologique et en solidarité avec le peuple chinois dans ses souffrances et ses aspirations.

Kwok Wai-Luan rappelle les difficultés de l’acculturation du christianisme en Chine en les interprétant comme un effet d’une ecclésiologie élitiste et d’une théologie dualiste : le privilège des sauvés, une division entre chrétiens et non chrétiens, une méconnaissance de la culture chinoise. En regard, Kwok Wai-Luen propose ‘une ecclésiologie eschatologique animée par l’Esprit’.

Moltmann a articulé la mission de l’Église dans l’Esprit avec un cadre trinitaire, établissant que ce n’est pas l’Église qui a une mission de salut à accomplir dans le monde, mais c’est la mission du Fils et de l’Esprit à travers le Père qui inclut l’Église, créant une Église en ce sens.

Dans l’Esprit, l’Église se donne elle-même et sert les autres dans l’amour et dans les souffrances et il y aura la joie de la communion. L’Église vivant dans la puissance du Saint Esprit ne se voit pas seule… Dans le principe de la relationalité, l’Église est dans une vie communautaire en compagnonnage avec les êtres humains. Pour l’Église chinoise, l’unité communautaire ne signifie pas seulement l’unité entre les chrétiens. Elle signifie aussi la solidarité avec le peuple chinois. La mission de l’Église n’est pas de sauver la culture déchue d’un monde du dehors, mais d’être en solidarité avec la communauté et sa culture dans l’esprit de l’espérance messianique.

C’est redire ici combien Kwok Wai-Luen est engagé dans la recherche d’une relation étroite entre l’Église et la société chinoise. Cette relation dépend aussi d’une reconnaissance des apports originaux de la culture chinoise. Or, justement Kwok Wai-Luen rappelle la considération de Moltmann pour la sagesse d’une culture vénérable dont la vision d’un équilibre naturel harmonieux constitue une ressource face à la crise écologique et peut entrer en dialogue avec une théologie de la création. La ‘transcendance immanente’ permet d’éviter des oppositions ruineuses.

Au total, cet article nous montre combien une approche théologique, en l’occurrence celle de Moltmann, peut être bénéfique et libératrice. Cette étude s’applique à la Chine, c’est-à-dire à une situation singulière. Mais on y découvre des enseignements théologiques qui peuvent nous concerner en d’autres lieux. Comment entretenir un message chrétien face à des pressions politiques totalitaires ? Comment annoncer un Dieu communion, un Dieu qui inclut au lieu d’exclure, qui rassemble au lieu de diviser ? Comment proposer une vision du monde où l’humanité se reconnait comme une composante de la création dans la vision d’une ‘transcendence immanente’ ? Comment participer à la vision libératrice d’un dynamisme eschatologique ?

 

Jean Hassenforder

 

  1. The way of life : https://vivreetesperer.com/the-way-of-life-un-film-sur-la-vie-et-loeuvre-de-jurgen-moltmann/ Vivre la découverte théologique à l’échelle du monde. L’anniversaire de Jürgen Moltmann en Chine : https://vivreetesperer.com/vivre-la-decouverte-theologique-a-lechelle-du-monde/
  2. The chinese church and its mission. A dialogue with Moltmann’s ecclesiology (traduction non professionnelle) : https://repository.globethics.net/bitstream/handle/20.500.12424/4047964/03%20Ching%20Feng%2018%20%28Kwok%29%203e.pdf?sequence=1&isAllowed=y
  3. Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann : https://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/
  4. Pour une vision holistique de l’Esprit : https://vivreetesperer.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/
Share This