Interview d’André Pownall réalisé par Jean Hassenforder

Dans un monde en pleine transformation, de plus en plus interdépendant, de nombreuses cultures sont maintenant en situation de se rencontrer dans chaque pays, et, en France notamment. Dans cette société multiculturelle, comment envisager la mission de l’Eglise ? C’est le thème d’une rencontre organisée le 9 et 10 février 2009 par le département de missiologie urbaine de l’Institut Biblique de Nogent. Cette rencontre s’inscrit dans un parcours de recherche engagé depuis dix ans et ponctué par des rencontres successives. Professeur à l’Institut Biblique de Nogent, André Pownall (1) inspire et anime ce processus. Il a accepté de répondre ici à quelques questions sur cette dynamique.

André, tu as organisé, à plusieurs reprises, des rencontres entre praticiens, sociologues et théologiens sous le terme de”consultations” Peux tu nous dire comment tu conçois cette approche? Quels ont été les effets de ces consultations? Quels ont été les nouveaux savoirs acquis tant pour la compréhension des phénomènes que pour l’action ?
Dans ces rencontres, il ne s’agit pas seulement d’écouter des spécialistes et de s’enrichir d’apports théoriques, mais d’avoir l’occasion d’échanger avec eux en atelier, et d’entrer en relation avec des collègues de la région venant de toutes les cultures, et de développer des réseaux.
Il n’est pas possible de mesurer l’impact des consultations sur le terrain de manière précise, mais j’aimerais croire que l’essor de la pastorale multiculturelle du CNEF en Seine-Saint-Denis (touchant une soixantaine d’églises du département), par exemple, leur doit quelque chose. En attendant d’engranger davantage de savoirs il serait plus prudent aujourd’hui, cependant, de parler de progrès dans la sensibilisation de responsables d’églises, et dans la construction de partenariats inter-culturels.

     Ton attention se porte particulièrement sur la diversification culturelle qui s’effectue en France. Au fil des années, comment as-tu perçu la montée de cette diversité culturelle? Y a-t-il eu pour toi des étapes dans cette prise de conscience ?
En prêchant de temps en temps au cours des années 1970 à une assemblée de Haïtiens dans une blanchisserie de la Goutte d’Or, j’étais loin d’imaginer le développement des églises issues de l’immigration que nous voyons depuis une vingtaine d’années, loin encore d’imaginer que ces églises deviendraient plus nombreuses encore que les églises évangéliques autochtones (si ce n’est pas déjà fait, cela ne tardera pas !). Combien ce serait dommage si nous vivions côte à côte sans nous intéresser les uns aux autres, et sans devenir partenaires dans notre mission commune.

     Peut-on dire que cette diversification culturelle est particulièrement présente et sensible dans les églises évangéliques? Si oui, pourquoi et comment ?
Il n’y a pas que les églises évangéliques des grandes métropoles qui sont touchées par cette diversification. Elle frappe à la porte de toutes les églises de France et de Navarre ! En assistant à Noël 2006 à la messe de minuit d’une église catholique d’un chef-lieu de canton de la Creuse, j’ai été frappé de voir que l’animatrice de l’office était d’origine africaine ! Le dynamisme au cours de la deuxième moitié du 20e siècle des missions évangéliques en général, et du mouvement pentecôtiste en particulier, cependant, fait que la présence de minorités ethniques est surtout sensible dans les églises évangéliques.

     La prochaine consultation a pour thème: “La mission de l’Eglise dans une société multiculturelle”. Des livres récents traitent du brassage de cultures dans le” nouveau monde” qui se dessine sous nos yeux (6). Comment perçois-tu le développement de cette société multiculturelle en France, les difficultés, les potentialités, les enjeux ?
J’ai l’impression que l’accélération de la mondialisation et de la “colonisation en retour” a surpris tout le monde, dépassé toutes les prévisions et même échappé à un certain nombre d’instruments de mesure. Si l’école républicaine était en bon état, si des emplois se créaient et si “l’ascenseur social” fonctionnait bien dans notre société, cela ne poserait pas trop de problèmes. La concentration de minorités ethniques dans des quartiers excentrés (et laissés un peu à l’abandon par les pouvoirs publiques), le fort taux de chômage parmi les jeunes qui y résident, et la tendance à stigmatiser ces minorités font planer des menaces sur la paix sociale. Nos églises sauront-elles être présentes auprès de ces populations ?

     Dans cette perspective, avant même le débat qui permettra d’examiner la mission de l’Eglise dans cette société, quelle sont les orientations qui se développent actuellement? Quelles sont celles qui te paraissent les plus pertinentes?
Les actions se multiplient. Le Département Africain de Théologie (DépAf) de l’Institut Biblique de Nogent, proposant une formation le samedi aux responsables d’églises issues de l’immigration, était une initiative pionnière à la fin des années 1990, suivie par la création plus récente de CARA-IBN pour des églises haïtiennes. Le partenariat entre la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine et la Communauté d’Églises d’Expression Africaine a permis d’établir des relations de confiance entre un des principaux instituts de formation théologique et une nouvelle dénomination dynamique. Le projet “Mosaïc” de la Défap est un autre pas dans la bonne direction. Deux unions d’églises issues de l’immigration (l’ECOC et l’UEEHACF) sont en train de s’intégrer dans le Conseil National des Évangéliques de France. La pastorale CNEF du 93 pourrait servir de modèle à d’autres départements de la banlieue parisienne. L’initiative en 2007 de mon collègue d’Agapé-France, Jean-Claude Girondin, de réunir des pasteurs issus de l’immigration avec des pasteurs français afin de construire des partenariats dans la mission locale était prometteuse, et mériterait d’être poursuivie. Le chantier est immense, et les perspectives sont passionnantes !

Notes

(1) André Pownall est professeur à l’Institut Biblique de Nogent. Depuis dix ans, il explore le nouveau contexte social et culturel dans lequel l’Eglise est appelée à annoncer l’Evangile. A cette fin, il participe à l’association: “Initiatives urbaines chrétiennes” et il a soutenu une thèse de doctorat “en ministère” sur “les besoins en formation pour les responsables d’églises des grandes villes“.

A plusieurs reprises, il a suscité des “consultations” dans lesquelles praticiens, sociologues et théologiens ont partagé leurs expériences et leurs connaissances. La première a porté sur “L’Eglise dans la Ville” et s’est déroulée à Paris les 5 et 6 avril 2000 avec le concours de Ray Bakke, professeur de ministères urbains aux Etats-Unis (2). Cette rencontre a permis de mettre en valeur des courants innovants comme le développement des cours Alpha et la multiplication des églises dites ethniques. Depuis lors, la mondialisation se poursuit et se traduit par une diversification croissante des cultures présentes sur le territoire français, particulièrement dans les banlieues des grandes villes. Aussi, le 5 et 6 février 2007, une nouvelle consultation a porté sur le thème: “Viv(r)e la diversité culturelle de l’Eglise !” (3). Quelles sont les difficultés et comment y répondre? Quelles sont les potentialités et comment en faire un atout? (4)

     Aujourd’hui, le département de missiologie urbaine de l’Institut Biblique de Nogent prépare une nouvelle consultation, le 9 et 10 février 2009, sur le thème: “La mission de l’Eglise dans une société multiculturelle” (5). Les objectifs sont les suivants: ”
a) Sensibiliser les Eglises et chrétiens évangéliques aux défis de la mission dans une société multiculturelle
b) Leur fournir des outils pour leur engagement sur le terrain, pour les échanges interculturels et interreligieux et pour le service de leurs prochains
c) Préparer ensemble l’évangélisation de la région parisienne multiculturelle de demain ».(2) Bakke (R),  Pownall (A) et Smith (G). Espoir pour la ville. La Clairière, Québec, 1994.

(3) Une remarquable synthèse des travaux de cette consultation, de la plume de Thierry Huser, peut être téléchargée sur Une société multiculturelle. Quelle mission pour l’Eglise ? **Voir le site dmu2009.ibnogent.org**
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(4) Au niveau de l’intégration des Antillais, voir les textes de “Chrétiens antillais en Métropole”. Cahiers de l’École Pastorale, Hors série no. 9, décembre 2007 **Voir sur le site dmu2009.ibnogent.org**. Voir aussi l’article « Stratégies pour l’intégration des minorités ethniques dans les Églises,  Cahiers de l’École Pastorale, no 55, 2005/1.

(5) ** Informations sur le site dmu2009.ibnogent.org**

(6) Lévy (Jacques), dir. L’invention du Monde. Une géographie de la mondialisation. Sciences Po. Les Presses, 2008. **Présentation sur ce site**  : recherche, études. Jean-Claude Guillebeau, auteur d’une série de livres où il aborde de grandes questions de fond avec une intelligence nourrie par les sciences humaines et une réflexion éthique, vient de publier un livre sur ce thème : Guillebeau (Jean-Claude). Le commencement d’un Monde. Vers une modernité métisse. Seuil, 2008.

 

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