Éric Callcut a créé et anime une petite maison d’édition associative : Luc éditions ** Voir le site ** à Luc sur Mer (Calvados). Il y développe un programme innovant. Nous avons demandé à Éric de nous faire part de ses premières réalisations et des projets en cours.   

 

1 Éric, peux-tu nous dire, dans ses grandes lignes, quel a été jusqu’ici ton itinéraire de vie ?

Je suis de double-nationalité, né en Angleterre, bilingue. Je ne suis arrivé en France qu’à 23 ans. J’ai fait plusieurs métiers : traducteur technique dans l’aéronautique civile, formateur en langue anglaise, vigneron « bio » et « sans soufre », danseur contemporain en Israël, animateur sportif pour enfants, enseignant niveau collège-lycée, chômeur (non, ce n’est pas un métier, c’est plutôt un désert à traverser) et écrivain-éditeur… Effectivement, cela semble beaucoup !

Je suis marié avec Orit, une israélienne, danseuse et professeur de Taï Chi et Qi Gong, et nous avons 3 enfants âgés entre 1 et 8 ans.

 

2  Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours spirituel ?

Je proviens d’une famille catholique « tiède ». Je n’ai jamais compris : tant que nous avions un prêtre ennuyeux et rébarbatif nous allions à la Messe régulièrement. Suite à un déménagement, nous avons retrouvé un prêtre pétillant, humain et drôle, et nous avons cessé d’y aller… La 1e fois que j’ai quitté la maison à 18 ans, je suis retourné à la Messe régulièrement pendant plusieurs mois – mais je me suis rendu compte qu’en y entrant, j’étais de bonne humeur et en y repartant, j’étais déprimé. Alors j’ai cessé de fréquenter l’Eglise pendant de nombreuses années. J’ai fait partie du PCF, je me disais anti-clérical et athée, mais je ne l’étais pas réellement, je n’ai jamais été indifférent ni à l’Eglise ni à Dieu, j’étais fâché après les deux !

Plus de 15 ans plus tard, un médecin-thérapeute alternatif que je consultais pour un souci de santé m’a dit : « Si tu n’arrives pas à faire quelque chose avec ta colère (générale), tu vas mourir jeune ». Je me suis mis à méditer. Cela m’a emmené assez rapidement vers le Bouddhisme, surtout le Zen. J’ai pratiqué pendant plusieurs années, dans un Temple en Ardèche, sans vraiment y trouver tout ce que je cherchais. J’ai abandonné.

Puis un jour je me suis dit : « Je vais retourner voir chez les chrétiens, l’on ne sait jamais… » (ce furent vraiment mes mots !). Puisque je suis un « book-worm » j’ai choisi un premier livre sur Amazon d’un moine bénédictin australien… il m’a plu. J’ai continué. J’ai commencé à chercher un lieu de culte parmi les catholiques, puis les protestants que je ne connaissais pas du tout. J’ai eu la bonne chance de découvrir les Diaconesses de Reuilly, petit monastère protestant à quelques kilomètres de chez nous : j’y allais 2-3 fois par semaine. J’ai aussi découvert un magnifique vieux Jésuite qui officiait la Messe nu-pieds et qui animait des retraites composées de danses en rondes, clown, peinture, terre-glaize…

Je me sentais très bien dans ces deux lieux, mais un autre déménagement m’a planté dans un « désert » spirituel : je n’arrivais pas à me retrouver ni chez les catholiques, ni chez les réformés, ni chez les évangéliques. Je me suis rapproché petit à petit des Quakers, l’une des « historic peace churches » : église sans pasteur, sans hiérarchie, ayant une pratique très approfondie du silence…

Désormais, je fais partie avec Orit des Quakers – mais je suis aussi conseiller presbytéral et prédicateur laïc à l’Église Protestante Unie de France, tout en allant à la Messe de temps en temps !

 

3 Dans quel contexte et pourquoi as-tu créé Luc éditions ?

J’écris. Je crois à mon écriture. Le monde de l’édition est terriblement bouché et me semble-t-il ne fonctionne pratiquement que par piston. Dans un premier temps, j’ai créé Luc Editions afin de mettre en œuvre un grand roman en anglais que j’ai écrit. Mais je souhaitais aussi – quoi qu’à toute petite échelle – ouvrir ma maison à des personnes qui écrivent selon une éthique certaine : la non-violence, l’éducation alternative, le développement durable, la fiction (interdit aux tueurs en série et aux couvertures sanguinolentes).

Depuis la création de Luc Editions, il y a un an, il m’est venu l’inspiration de la « Banlieue Bible » (voir ci-dessous) – et pour l’instant ce sont deux œuvres de cette collection qui sont parues en premier.

 

4 Quelles sont les caractéristiques originales de cette maison d’édition (entre autres, bilingue (franco-anglaise) et interconfessionnelle)

Effectivement, cette maison est bilingue. Nous sommes sur le point de publier un livre passionnant de John Martin Sahajananda, moine bénédictin indien. Pour ceux qui connaissent Jules Monchanin, Henri Le Saux et Bede Griffiths (tous moines bénédictins), John Martin est leur successeur et directeur spirituel de l’ashram en Inde qu’ils ont créé ou continué.

Nous espérons publier quelques œuvres en français des Quakers, et pourquoi pas des Mennonites, autre église de la Paix.

Sur le site de Luc Editions, je fais mention de « Ethical Publishing » : nous ne publierons que des œuvres respectueuses de l’étranger, de l’enfant, de la planète…

 

5 Plusieurs pistes se dégagent déjà. Tu commences à publier de petits livres dans lesquels tu présentes les Evangiles dans un français actualisé. Dans quel esprit réalises-tu cette traduction, transposition ?

En réalité, l’idée m’a été parachutée un jour de je ne sais où… En plus, c’était précis, c’est le Sermon sur la Montagne que je devais traduire ! Ce n’est guère le plus facile… Je m’y suis mis très rapidement.

Après coup, je l’ai analysé : la Bible peut être dure d’approche pour ceux qui ne la connaissent pas, et facilement « mythifiée » par ceux qui la connaissent « trop »… Jésus, Paul, ont parlé ou écrit à leurs contemporains dans un langage contemporain de choses contemporaines. J’ai voulu m’imaginer ce que Jésus aurait dit à une bande de français s’il se retrouvait ici, maintenant. Pour le coup, je me suis aussi imaginé quelles pourraient être les personnes qui suivraient Jésus ici, maintenant – et ces personnes seraient forcément bien différentes de ceux d’il y a 2000 ans en Palestine : notre contexte urbain, matériel, technologique, multi-culturel, l’athéisme/agnosticisme, etc…

Un deuxième point : par exemple à la Nativité, les bergers ont été totalement mythifiés : je voulais rappeler que les bergers étaient des marginaux, des mal vus, des exclus, toujours soupçonnés d’être des voleurs. Il me semble plus juste aujourd’hui de les traduire par « les Roms » que par les sympathiques bergers avec leurs jolis moutons cotonneux. Je voulais rendre son éclat aux images et aux mots de la Bible, simplement en les adaptant à notre vie et notre société contemporaines.

Dernièrement : la Bible est longue, lourde, il y a des passages très ardus. Il est difficile de savoir où commencer, où s’arrêter ; je pense que cela peut être décourageant pour certains. J’ai voulu produire des petits volumes, jolis – évidemment ils sont « hors contexte » – mais qui soient vraiment dans l’essence et la profondeur du message biblique. Je n’ai rien « simplifié » (quelle horreur !), j’ai voulu rendre les textes incisifs et franchement « enseignement oral », en conservant justement leur sens profond.

 

6 Dans cette entreprise, tu viens de publier un livre : « Banlieue Bible ». Peux-tu nous le présenter ? Comment cette initiative est-elle reçue ?

Il existe pour l’instant deux volumes de Banlieue Bible :

– Le Sermon sur la Grande Butte

– Noël dans le Nord-Pas de Calais

Le troisième est en préparation.

A sa parution, « Le Sermon sur la Grande Butte » a été très bien reçu, surtout par la presse… laïque ! Pour l’instant, à quelques exceptions, les médias confessionnels en ont peu parlé… Par contre, Rue89, Quoi.info, Libération, Liberté (grand journal régional) en ont écrit des très jolis éloges.

J’ai déjà reçu des messages d’un petit nombre (oui, petit) de personnes énormément enthousiastes, parfois jusqu’aux larmes – cela m’émeut bien évidemment. Mais je ne cache pas qu’il semble très difficile de « percer » à une échelle plus large, même les libraires protestants ne semblent pas prêts à me soutenir.

 

7 Quels sont tes projets dans le secteur anglophone ?

Autre que le livre « What is Truth ? » de John Martin Sahajananda dont je parle ci-dessus et d’autres livres de John qui sortiront par la suite, nous comptons publier les 3 tomes de « Jude », qui est mon grand saga de Science-Fiction, écrit sur 11 ans, et qui fait plus de mille pages en tout. Les deux premiers volumes devraient sortir à l’automne, le dernier en début d’année prochaine, j’espère. C’est un roman « initiatique » si l’on veut – il est très structuré, puissant – très marqué pas le cheminement humain et spirituel du personnage central.

 

8 Sur le site de Luc éditions, tu nous présentes également une autre piste prometteuse : la transposition en français d’une approche éducative présentant les textes bibliques aux enfants dans une approche inspirée de la pédagogie de Maria Montessori, très respectueuse du cheminement des enfants : 

« Godly play ». Peux-tu nous dire comment tu as fait connaissance de cette méthode et en quoi elle consiste ?

J’ai assisté à une animation Quaker au sujet d’Hiroshima et des armes nucléaires qui utilisait la pédagogie « Godly Play » ; nous étions une quarantaine, enfants et adultes, c’était très poignant, cela m’a fait pleurer ! J’ai appris par la suite les origines du Godly Play : c’est un pasteur presbytérien, inspirée de Montessori, qui l’avait développé afin de transmettre, premièrement aux enfants mais aussi aux adultes, les histoires bibliques et le sens des liturgies – pas pour gaver les oies, mais pour permettre un vrai cheminement personnel et spirituel à chaque participant.

Une session de 90 minutes se divise en 4 parties : en premier, l’animateur présente l’histoire biblique (de la Bible hébraïque ou du NT), en la démontrant avec des petits personnages en bois, des jolis objets épurés et simples, en utilisant assez peu de mots. A ce moment, l’animateur ne regarde pas les participants mais sa petite « pièce de théâtre » devant lui ; il n’y a que lui/elle qui parle.

Ensuite il/elle lève les yeux vers les enfants et pose 3 ou 4 questions très simples, souvent les mêmes d’une fois à l’autre : Dans quel personnage vous voyez-vous ? Y a-t-il un élément de cette histoire qu’on pourrait enlever et toujours conserver le sens de l’histoire ?…

Puis, chaque participant est libre de restituer ce qu’il vit à travers cette histoire, par le dessin, la pâte à modeler, l’origami, la lecture, jouer avec le matériel de présentation, ne rien faire…

Pour conclure, nous partageons un « festin » : un petit bol chacun de raisin secs, de noisettes, d’amendes, un jus de fruit (pas de gâteaux bourrés de sucre ni de coca !)

 

9 Tu apprécies cette approche que tu présentes sur le site de Luc éditions. Quels sont tes projets et tes souhaits en ce domaine ?

En quelque sorte, j’ai vraiment envie de présenter ces histoires aux enfants qui ne font pas partie d’une église (et peut-être présenter le conte sur Hiroshima dans les écoles ou au Mémorial de la Paix à Caen). La France n’est pas simple : d’un côté, les églises sont souvent frileuses, le « caté », on l’a toujours fait de telle ou telle manière, pourquoi est-ce qu’on changerait ? En plus, il existe parfois une certaine méfiance envers une personne (moi) qui ne fait pas partie de son église. Et de l’autre côté, l’église de la laïcité semble aussi intolérante que l’église chrétienne l’a été dans son passé – et l’on ne prête pas de salles municipales à des activités dites « confessionnelles »…

Je vais tâcher de m’implanter petit à petit, mais je crains que cela prendra beaucoup plus de temps que cela ne devrait ! D’autant plus que le Godly Play a été formulé et modelé dans une volonté résolument œcuménique ! (Lors de ma formation en Angleterre, il y avait des anglicans, des catholiques, des presbytériens, des baptistes et un quaker…)

 

10 Comment souhaiterais-tu participer au dialogue dans le réseau de Témoins ?

L’autre jour, je discutais avec une connaissance musulmane : et lors de notre échange, j’ai utilisé ce mot bienséant et très à la mode : « Tolérance ». Il m’a repris : « Je ne suis pas du tout tolérant, je ne veux pas l’être. L’on tolère la maladie, l’on tolère la pauvreté et l’injustice, l’on tolère l’insuffisance, le manquement et l’échec… L’on ne doit pas « tolérer » l’autre – de notre haut-lieu moral… L’on doit prendre le chemin de la fraternité entre les hommes et les femmes, non se piéger dans un faux-idéal de la tolérance ».

Je connais peu le réseau de Témoins pour l’instant – mais si je peux participer à ce cheminement vers la fraternité à travers votre réseau, j’en serais bien heureux.

 

 Interview d’Éric Callcut
Questions de Jean Hassenforder

 

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