Dans une banlieue de la région parisienne est née, en 2012, l’association « Da m’a dit ». Son objectif est de partager avec l’Afrique les bienfaits de la médecine préventive au service de la mère et du petit enfant en ouvrant au Togo l’équivalent d’un centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI), cette belle institution qui, en France, a vu le jour en 1947.

Pourquoi et comment est née « Da m’a dit » ? Françoise répond à nos questions

1- Tu as participé à la création de « Da m’a dit » en 2012. Dans quel contexte l’association est-elle née ?

Da m’a dit est née sous l’impulsion d’Emilie Jiminiga, une amie que rien, au départ, ne destinait à venir vivre en France. D’origine togolaise elle a fait ses études secondaires au Sénégal et, son bac en poche, a obtenu un poste dans une école maternelle protestante à Dakar. Quand la directrice a vu son « feeling » avec les petits elle lui a proposé de passer le diplôme d’Educatrice de jeunes enfants (EJE) et, grâce à une bourse de l’église protestante, elle a pu venir étudier à Strasbourg. Mais, son diplôme acquis, le mariage l’a retenue en France où, plus tard, elle a été engagée comme EJE dans un centre de PMI en Essonne. Là, Emilie a vu combien la prévention médicale et sanitaire serait bénéfique pour son pays et la conviction de rendre à l’Afrique ce qu’elle avait reçu de Dieu, cette chance d’avoir pu se former en France, s’est alors imposée à elle. Elle avait été bénie par Dieu et voulait, en retour, devenir une source de bénédiction pour d’autres, un canal au service de plus d’humanité. C’est ainsi que pendant 10 ans, elle porté et partagé avec ses collègues, ses amis, sa famille, son église, le rêve d’ouvrir un jour, à sa retraite, un centre de PMI au Togo, son pays.

Or, en 2012 la convergence de plusieurs facteurs ont permis de ne pas attendre l’âge de sa retraite : le don d’un terrain qu’Emilie possédait à Yokélé (une zone rurale très peuplée, en périphérie de Kpalimé, à 130 km de la capitale) ; un héritage donné en partie pour ce projet ; la rencontre avec l’ONG Médecins d’Afrique qui, voyant l’initiative portée par une africaine, l’a encouragée de ses conseils et de son aide dans la constitution des dossiers de demandes de subventions ; et surtout l’engagement d’amis, de collègues, de proches d’Emilie et de membres de son église qui l’ont accompagnée et l’accompagnent encore dans la réalisation de ce rêve car, dit un proverbe africain « Un seul bras ne fait pas le tour du Baobab ».

 

2- Que signifie « Da m’a dit » ?

Au Togo « Da » veut dire “maman” en langue Ewe et « grande sœur » en Mina. « Da » sert aussi à nommer toute personne ayant un rôle d’éducateur. Les institutrices, par exemple, sont appelées des Davis (petites mamans). « Da m’a dit » c’est, en franco-togolais, « Maman m’a dit ». Le « dit » de Da m’a dit rappelle que dans le développement du petit enfant, l’échange avec sa mère (par le regard, les gestes ou la parole) est essentiel et souligne que dire c’est mettre des mots sur ce qui se fait ou va se faire pour mieux le saisir et l’intérioriser.

 

3- A partir de quoi et comment as-tu été associée à cette initiative ?

Emilie et moi fréquentions alors la même église. Nous sommes devenues amies. Le jour où elle m’a partagé son rêve il m’a touchée car la prévention médicale englobe la vaccination. Or en 1950, peu avant la découverte de son vaccin, j’ai attrapé la poliomyélite. J’avais 2 ans. Si j’étais née quelques années plus tard je ne l’aurais pas attrapée…

 

4- Comment cette association a-t-elle pris son essor ?

Da m’a dit a donc vu le jour en 2012, le 31 mars en Essonne, le 6 août à Lomé, au Togo. Elle s’est ensuite fait connaître par sa présence aux Fêtes des associations de Viry Chatillon, ses Journées Portes Ouvertes, ses inoubliables Galas, son site http://www.damadit.com/, sa page Facebook https://www.facebook.com/damadit/, ses animations dans des établissements scolaires et en MJC pour sensibiliser les jeunes à la solidarité internationale et à la prévention etc… Et en déposant, grâce à Médecins d’Afrique, des dossiers de demandes de subventions qui nous ont été accordées. L’association compte une quarantaine d’adhérents. Elle est animée par une équipe (composée de chrétiens et de non chrétiens) dynamique et toujours heureuse de se retrouver lors de réunions conviviales et fructueuses. Par ailleurs, Janine, d’origine togolaise, médecin pédiatre en retraite qui a travaillé en PMI, a ouvert le 31 août 2016 une antenne « Da m’a dit 54 » en Meurthe et Moselle.

 

5- Quand et comment cette action a-t-elle débouché sur une réalisation au Togo ?

Depuis 2012 Emilie consacre la plupart de ses vacances à des séjours au Togo. Elle y va seule ou accompagnée d’un membre appartenant au corps médical (Marie Louise, médecin pédiatre ; Maryse, Florence et Marylène, infirmières) ou non (Sylvie, Bertrand et moi-même). Des adhérents togolais effectuent aussi des missions là-bas lors de leurs visites au pays (Sylvana, Janine, Aline).

Au fil de ces missions Da m’a dit a d’abord réalisé une enquête pour cerner les besoins de la population, pris contact avec les autorités locales et régionales pour obtenir leur aval et constitué une équipe de terrain. C’est le résultat de ces études et démarches qui, ajoutées au fond propre de l’association, lui ont permis d’obtenir des subventions publiques et privées.

Il a fallu ensuite creuser un forage, trouver un architecte et surtout une entreprise de construction. Or, coïncidence miraculeuse, Laila, une amie franco-gabonaise, nous a fait connaître une entreprise d’exécution de travaux dirigée par un chrétien togolais qui s’est impliqué personnellement dans le projet, prenant même à sa charge quelques frais imprévus. Le chantier a démarré fin août 2015.

L’été 2016 Emilie a pris un congé sans solde de 3 mois pour suivre la finalisation des travaux et le 10 septembre 2016 les trois bâtiments du Centre Médico-Social de Prévention du Couple Mère/Enfant étaient inaugurés en présence du préfet, des autorités locales, de Médecins d’Afriques, de l’entreprise ForManagement Afrique, des amis de Da m’a dit Togo, des villageois de Yokélé et de quatre membres venus de France (dont moi-même).

En 2017 Emilie a pris un nouveau congé de 2 mois pour poursuivre la formation sur le tas de l’équipe, faire aboutir la demande d’agrément du Ministère de la Santé et lancer des activités génératrices de revenus (AGR) qui permettront au Centre d’assurer sa pérennité (activités agricoles pour lesquelles des terrains ont été acquis, locations des 3 chambres et de la salle de conférence du Centre, boutique etc…).

J’ajoute que par souci de l’environnement et pour réduire des coûts le forage a été équipé d’une pompe à énergie solaire et le bâtiment principal de panneaux à énergie solaire.

 

6- Quel est le champ actuel de cette œuvre ? Comment fonctionne-t-elle ?

Le Centre est sous la double responsabilité du conseil d’administration de Da m’a dit Togo, dont le siège est à Lomé, et de Da m’a dit France qui, les ressources des AGR n’étant pas encore suffisantes, continue à soutenir partiellement les salaires. L’administrateur du Centre réside à Lomé. Il se rend une à deux fois par mois à Yokélé. Un jeune, très motivé, s’y rend également au cours du mois pour vérifier si tout va bien et faire remonter les besoins. Tous deux le font bénévolement contre une simple indemnité de déplacements.

Le Centre se compose de 3 bâtiments dédiés l’un à la prévention sanitaire, le second aux activités culturelles, le troisième à l’hébergement. Le personnel actuel comprend une responsable des AGR, Yvonne ; une aide-soignante (titre recouvrant une formation plus étendue qu’en France), Bernadette ; un animateur culturel, Jonas, et deux gardiens, messieurs Mayemba et Joseph. Durant plus d’une année une sage-femme et un assistant sanitaire en retraite y ont travaillé gracieusement deux jours par semaine. Nous espérons renforcer l’équipe en 2020.

Dans le secteur dédié à la prévention médicale les femmes viennent faire peser, mesurer leurs bébés (contre une très modique somme) et recevoir des conseils dans le domaine du soin, de la nutrition et de l’hygiène. On leur vend un carnet de santé. Bernadette fait parfois des visites à domicile et, avec Jonas, des présentations du Centre dans des écoles pour expliquer la prévention sanitaire et sociale.

Des actions ponctuelles de sensibilisation ont été menées : journées de prévention contre le VIH, contre le cancer du sein ; journées de vaccinations mobile sous l’égide du dispensaire, de dépistage du diabète en collaboration avec une association de Lomé…

Le Centre est également un espace d’écoute, de soutien à la parentalité, un lieu de paroles sur les questions qui préoccupent les femmes. Nous espérons ainsi mettre le doigt sur les préjugés, les « craintes enfouies » liés à la maternité et contribuer peu à peu à un changement des mentalités et des comportements. En effet, dans certains pays d’Afrique un bébé né par le siège ou par césarienne (« au couteau ») sera, pour son entourage, un enfant « maudit ». Autre exemple : par peur du mauvais œil, des malédictions, des jalousies, la femme enceinte vit souvent son état dans le secret. Pour cette raison, et par manque de moyens, les grossesses sont rarement suivies sur le plan médical. On dit là-bas : « C’est rentré, ça sortira dans neuf mois ! ». Cette peur des femmes à se dévoiler donne l’impression qu’elles ne vivent pas leur maternité avant le jour de l’accouchement. Or, la période prénatale a sa place dans le devenir de l’enfant. L’estime de soi, cette valeur sûre pour réussir sa vie, se construit dès le ventre maternel avant de se poursuit dans les échanges de regards entre la mère et son bébé et les discours qu’elle lui dispense avant même qu’il ne sache parler.

Ce lieu de paroles et de partages d’expériences est important car une maman qui vit bien sa maternité est à l’écoute de son petit et lui prodigue des soins adéquats et appropriés.

Quant au secteur dédié au culturel, animé par Jonas, il dispose d’une bibliothèque (le coût du prêt, annuel ou ponctuel, est modique) et d’une salle de jeux éducatifs et d’éveil. Ce lieu est très fréquenté. Cela nous réjouit puisque l’association souhaite prévenir très tôt les enfants contre les préjugés, les sottes idées reçues et les ignorances qui enferment dans la crédulité et la peur de l’inconnu.

Au Togo, Da m’a dit commence à être connue. Une association, KADODO, a sollicité l’expertise d’Emilie comme éducatrice de jeunes enfants pour organiser et animer un séminaire au Centre le 18 octobre 2018 sur un projet de création d’un jardin d’enfants dans le village de Yokélé et nous venons de signer un partenariat avec l’ONG Green Village Foundation (GVF) qui va nous aider à développer les AGR agricoles.

En France des activités se poursuivent dans des établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes à la solidarité internationale : Da m’a dit a un partenariat avec un collège de Viry Chatillon où des échanges épistolaires ont été mis en place avec un collège de Kpalimé et où, en 2018, des élèves ont organisé une kermesse au profit de l’association. A Corbeil des jeunes d’un lycée ont mené une réflexion sur les grossesses précoces (en France comme en Afrique) et réalisé des badges contre ce fléau, badges qui plus tard ils ont été remis aux ados fréquentant le Centre au terme d’une réunion-débat sur ce problème. A Evry, dans une classe de CE1 d’une école communale, Da m’a dit a fait un exposé suivi d’échanges où les enfants se sont montrés très réceptifs…

 

8 Quelles perspectives d’avenir ?

Au cours de ses six années d’existence Da m’a dit a connu des moments forts et magnifiques mais aussi des difficultés. Aujourd’hui elle arrive à une conclusion (annoncée dès 2013 par le docteur Banzouzi de Médecins d’Afrique !) : pour qu’une œuvre prenne son plein essor le porteur du projet doit être sur place. Et c’est vrai que de France, malgré de bonnes personnes recrutées à Lomé et à Yokélé, les choses n’avancent pas aussi vite qu’on aimerait.

Une grande décision vient donc d’être votée, à bulletins secrets, à l’unanimité moins une abstention, lors de la dernière AGO : la prise en charge du départ d’Emilie au Togo en 2020 dans le cadre d’une demande de mise en disponibilité d’un an renouvelable. Ses missions seront multiples : poursuivre la formation sur le tas ; renforcer les collaborations avec les structures médicales ; insuffler la vision de la prévention par des conférences, des interviews dans les média, recruter des médecins pour faire des vacations au Centre, développer les activités génératrices de revenus, mettre en place des offres de stages pratiques pour les étudiants des écoles d’infirmières et d’éducateurs de jeunes enfants, etc…

Il est évident que Da m’a dit France va redoubler d’efforts pour poursuivre des actions ici et que plusieurs membres vont programmer des séjours au Togo en 2020 !

 

9 Durant ces années, tu as joué un rôle très actif comme secrétaire de l’association. Comment as-tu vécu cette expérience ? Qu’est-ce qu’elle t’a apporté dans ton vécu personnel ?

Participer à la création d’une association, la voir se développer année après année fut et demeure exaltant. Exaltant et parfois stressant. La période des montages de dossiers de demandes de subventions fut particulièrement ardue. Sans l’appui de Médecins d’Afrique nous n’aurions jamais pu les réussir. Pour le reste les tâches de secrétariats sont comparables à celles d’autres associations : courriers divers, rédaction des rapports d’activités etc.

Par contre, dès le départ, j’ai été surprise et émerveillée de voir tant de personnes rejoindre le projet et s’y investir. Par la suite, malgré quelques échecs et déceptions, j’ai pu voir, et je vois encore, la fidélité de Dieu. D’un côté des problèmes, des soucis (matériels, de santé…) nous ont secoués, de l’autre d’incroyables sources d’encouragements (belles rencontres, dons inespérés…) nous ont constamment revigorés. Et j’ai la conviction, avec Emilie et d’autres, que Da m’a dit est entre les mains de Dieu. C’est pourquoi je peux sincèrement dire que cette expérience a nourri et continue à nourrir ma foi en Jésus.

 

10 Quels sont les enseignements de cette collaboration franco-africaine ?

Elle m’a permis de découvrir un peu la culture africaine : sa convivialité, sa cuisine, ses coutumes, ses proverbes ou encore (sans toujours l’apprécier !) sa « temporalité »… Pour moi qui n’avais jamais mis les pieds en Afrique aller, une puis deux semaines, au Togo a changé mon regard sur les personnes d’origine africaine qui vivent en France. J’ai vu tout ce qu’elles perdent en quittant leur pays, espérant un meilleur avenir en France pour elles et leurs enfants. Immergée quelques semaines dans ce petit pays d’Afrique j’en ai ressenti les couleurs, la joie de vivre malgré les difficultés et une autre manière d’être au monde qui m’a touchée. Tant et si bien que, de retour en Ile de France, les premiers jours, tout me semblait terne, froid et gris. Faut dire que Yokélé c’est l’immersion dans une nature foisonnante, habitée de parfums, de chants et de bruissements divers… Pour conclure je dirai que cette collaboration franco-africaine a changé mon regard sur l’Afrique. Elle m’a libérée de mes idées reçues et m’a permis de rencontrer des personnes extraordinaires.

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