Je suis né à Argenteuil dans une famille marocaine. Mon père est mort trois mois après ma naissance. Ma mère travaillait en usine. J’ai été élevé par ma grand-mère. Mes grands-parents, ma mère, trois oncles, une tante et moi, nous avons habité ensemble dans la même maison. L’Islam jouait un rôle important dans notre vie. La mosquée était à deux pas. On pourrait dire que mon grand-père était l’un des anciens. Avec un oncle, d’un âge proche du mien, j’allais au cours coranique tous les week-ends. On priait cinq fois par jour. Le tissu familial était très fort. Quelque part, c’était une vie assez saine.

La dérive
J’avais six ans lorsque ma mère s’est remariée. La famille s’est concertée. Je suis resté chez mes grands-parents pendant huit ans, jusqu’à ce qu’ils décident de rentrer au pays et vendent la maison. Pour moi, la situation a commencé à se gâter. Adolescent, je n’ai pas trouvé de gîte familial. J’ai commencé à ruminer, à fumer du haschich. J’allais de moins en moins au lycée. J’étais arrivé jusqu’en classe de première. Mes résultats scolaires ont commencé à se dégrader. J’ai été mis sous la tutelle d’un juge pour enfant. Mais l’appartement dans lequel j’ai été placé était mal famé. À la suite d’une menace de violence, j’ai dû le quitter en pleine nuit. Je me suis retrouvé dans un foyer de jeunes travailleurs où personne ne se parlait.

La galère
La drogue douce entraîne les gens dans des abîmes incertains. Pour moi, elle commençait à jouer le rôle d’écran protecteur en provoquant une distorsion de la réalité. Après des résultats catastrophiques, mes études se sont complètement interrompues. J’ai commencé à toucher à la drogue dure. L’argent, gagné dans le travail en intérim, me servait uniquement pour trouver un coin pour dormir et pour passer d’un moment de défonce à un autre. Bientôt, j’ai eu l’impression d’être menacé de mort. J’avais perdu des amis morts d’overdose. Une de mes connaissances a été tuée d’un coup de couteau. Un ami vietnamien qui avait un problème hépatique s’est suicidé à l’héroïne. Je sentais que j’étais en danger, soit parce que j’irais trop loin, soit à cause d’une intervention extérieure.
J’avais un ami un peu protecteur, un réfugié politique venant du Bangla Desh. Il fumait autant que nous mais il était assez bienveillant, suffisamment pour m’accueillir chez lui, me faire à manger. Il est parti en Italie. J’ai fui la menace en cherchant à le rejoindre.

Une ouverture vers la vie
Dans un camping de Monte Cassino, j’ai réalisé que l’angoisse m’avait suivi et je me suis dit: “C’est en toi que ça se passe”. Là, j’ai commencé à prier. Il y a quelques années de là, lorsque la maison de ma famille avait été vendue, j’avais un ami, Franck, dont la mère était chrétienne. Elle m’avait emmené dans une réunion évangélique où j’avais entendu l’Évangile pour la première fois.
J’avais une opinion réservée à propos de certains religieux que j’avais fréquentés à la mosquée: des gens que j’admirais lorsque j’étais gamin mais dont j’avais pu voir les œuvres par la suite. Lorsque je suis arrivé dans cette réunion je me suis demandé: “Mais qui a raison? Est-ce Jésus ou Mahomet?” En plein milieu de son message, le prédicateur a lancé une interpellation: “Jésus est mort pour toi. Mahomet a tué des gens”. Ce jour-là, il y a eu chez moi une barrière idéologique qui est tombée. J’ai répondu à l’appel. J’ai refermé ensuite ce chapitre mais j’avais ressenti une impression forte.
Dans ce camping en Italie, je me suis adressé à Jésus: “Donne-moi un signe de ta présence. Aide-moi à retrouver mon ami du Bangla Desh”. À la poste, j’ai eu la réponse. Finalement je suis rentré en France et je suis retourné voir la mère de Franck. Elle m’a d’abord écouté, puis elle m’a emmené à l’église. Et là, j’ai compris que dans le message de l’Évangile, il y avait un appel à la vie et une mise en garde vis-à-vis de tout ce qui peut aboutir à la mort. Je savais ce que je vivais. Je connaissais ma nature puisque je la subissais. En lisant la Bible, je sentais qu’il y avait une force de vérité qui m’interpellait. J’allais de temps en temps à l’église mais sans vraiment m’engager.
Un groupe de musique
À la même époque, je suis entré dans un groupe de musique. Depuis le début du lycée, j’avais fait de la musique comme batteur, puis comme chanteur. Cette activité comptait pour moi. C’était une espèce de refuge, un lieu où l’on se retrouvait et qui nous appartenait. Dans ce groupe, on travaillait sérieusement. Nous avions un répertoire et il y avait un auteur qui écrivait pour nous. On faisait de la musique d’influence afro-américaine. Il y avait des musiciens qui désiraient monter un véritable projet. J’ai pris un peu de distance par rapport à la drogue et j’ai commencé à travailler pratiquement tous les jours. En même temps, je suis entré dans un deuxième groupe où j’étais aussi chanteur. Bientôt, on a commencé à faire des concerts qui ont eu un retentissement très fort sur le plan local.

Le choix
Parallèlement, il y avait un travail qui se faisait en moi. De temps en temps, j’allais chez la maman de mon ami Franck. Parfois, j’y suis allé ivre. Elle ne me posait aucune question. Elle me préparait un lit et le lendemain matin, elle m’offrait le petit déjeuner sans aucun reproche. J’allais avec elle à l’église. Je n’étais pas attiré par le style de vie mais par la profondeur des choses qui étaient dites.
En lisant la Bible, j’ai pris conscience de ce qu’était mener une vie de colère, une vie de rebelle. Et, en même temps, il y avait l’appel de la vie. D’une façon de plus en plus pressante, j’ai senti que je devais faire un choix. D’un côté j’atteignais une qualité de travail musical que je n’avais jamais réalisée. Mes compagnons comptaient pour moi d’autant plus que j’avais plus ou moins rompu les liens avec ma famille. Pourtant, j’entendais Dieu me dire: “Il faut que tu abandonnes tout cela: celui qui voudra garder sa vie la perdra. Celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera”.
Je sentais que je ne pouvais pas obéir à Dieu en restant dans ce milieu, non pas parce que les gens y étaient fondamentalement méchants, mais parce que la manière de penser, le sens dans lequel on allait, par exemple la recherche de la gloire, n’étaient pas compatibles avec ma vision de Dieu. Je ressentais la séparation par rapport à ces groupes comme un sacrifice terrible. J’ai dit à Dieu: “Voilà, Tu as dit qu’on doit d’abord s’occuper de ton Royaume et Toi, Tu t’occupes du reste. Moi, je prends la décision de quitter ces groupes après la série de concerts prévus. Maintenant, puisque Tu t’occupes de tout, j’ai besoin d’un travail”. Dans les jours qui ont suivi, j’ai trouvé un emploi de bureau dans des circonstances qui m’ont permis de percevoir la main de Dieu.
Puis j’ai quitté mes collègues. J’étais très malheureux et je suis allé boire toute la journée. Mon ami Franck, que j’avais appelé au téléphone, m’a dit, en sentant mon état: “Jésus est venu guérir ceux qui étaient malades. Viens me rejoindre”. Sur le chemin, j’ai eu la révélation de la Croix. J’ai vu Jésus mourir pour moi. C’est comme si j’avais pénétré ses souffrances et j’ai compris que j’en étais la cause. Cela m’a déchiré le cœur. J’avais cette conviction de péché et en même temps la conviction de l’amour de Dieu. Je pleurais. J’ai vécu une illumination totale. C’est comme si on pouvait tout comprendre sans les mots pour le dire. Je suis tombé dans les bras de Franck et je me suis endormi.

Nouvelle étape
À partir de là, je suis allé à l’église. Cela a été difficile pour moi, car je ne me sentais rien de commun avec les gens qui s’y rendaient. Mais Dieu a commencé un travail de restauration. J’ai arrêté la drogue sans aucune difficulté. Je sentais une libération intérieure qui me remplissait de joie. Mais il y avait aussi des moments de dépression où je pleurais sans arrêt. Je n’osais pas en parler parce que j’avais l’impression que cela paraîtrait inconvenant. On arrive un peu dans un état de ruine et il faut faire bonne figure. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Aude. J’ai trouvé en elle une amie à qui je pouvais parler. Venant d’un milieu difficile, ayant connu Dieu à travers des chrétiens dans des groupes de maison, elle avait un itinéraire qui lui permettait de me comprendre. Nous sommes mariés maintenant depuis neuf ans et demi et avons trois enfants.

Les portes s’ouvrent
Après mon service militaire en 1991-92, j’ai dû changer d’emploi. Je suis entré à l’Assistance Publique comme brancardier. Puis j’ai repris des études. J’ai obtenu un diplôme d’accès aux études universitaires et, après avoir passé le concours, j’ai fait des études d’infirmier pendant trois ans de 1995 à 1998. Il y a quelques années, pendant les vacances, j’ai prié avec Aude au sujet de mes difficultés dans l’église. Au retour, j’ai demandé pardon au pasteur pour mon attitude d’opposition. Assez rapidement mon état d’esprit a changé. J’ai commencé à aimer l’église et à vouloir servir. Je me suis senti vraiment libre. Nous avons reçu une parole prophétique d’un pasteur étranger. Dieu nous disait: “Voilà, maintenant je vais ouvrir les portes pour vous”.
Cette promesse s’est réalisée en l’espace d’un an et demi. J’ai obtenu mon diplôme d’infirmier. Grâce à un petit héritage pour Aude, nous avons pu acheter un appartement. Avec l’aide de beaucoup d’amis, j’ai pu réaliser mon premier C D “Où va le monde?”. Dieu a ouvert les écluses des cieux. Aujourd’hui, je travaille comme infirmier dans un service de psychiatrie. Je m’y sens reconnu et j’apprends beaucoup.

Compositeur et chanteur
Lorsque je me suis converti, j’ai acheté un petit piano électrique. Je suis autodidacte. J’ai une oreille un peu instinctive. Je plaçais des accords et j’y mettais tout ce que je voulais dire à Dieu: mes prières, des passages de la Bible qui me parlaient. Je travaillais quelques paroles. Petit à petit, j’ai commencé à avoir un répertoire de chansons. Des amis m’ont encouragé à les transmettre sur un CD. Il fallait se mettre en mouvement. Des musiciens sont venus. Finalement “Où va le monde?” est sorti chez Araunah Music. Un autre album est actuellement en préparation. Il sera plus scénique, plus musical et, je l’espère, plus abouti.
Grâce au soutien de l’association TTOU, je suis engagé maintenant dans la réalisation de concerts. Avec mes amis, nous voulons affirmer notre culture chrétienne et la faire connaître à un public aussi large et diversifié que possible. Avec une petite équipe de musiciens, j’ai réalisé un concert à Épinay sur Seine, puis à Chelles. À chaque fois les municipalités nous ont accueillis d’une manière vraiment très enthousiaste. Le message passe si toutefois on parle avec respect. Je pense qu’on est dans un monde qui est beaucoup plus disposé à recevoir la Parole de Dieu qu’on ne le croit. J’ai envie de dire que Dieu est accessible. Tâchons de rester accessible ou efforçons-nous de le devenir.

Propos recueillis auprès de Abderrahmane Nahed

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