Et si la réconciliation passait par le retour, dans les Prairies canadiennes, des bisons, qui ont été massacrés massivement au 19e siècle ? Et si ce retour au mode de vie ancestral redonnait espoir et vie aux peuples dont la spiritualité et le mode de vie étaient basés sur cet animal emblématique ?

Lima Nanai dirige l’organisme Loko Koa1 (qui signifie « cœur courageux » en samoan2), dont le siège se situe dans les Prairies canadiennes, plus précisément en Saskatchewan. En 2013, après avoir entendu parler à répétition, au cours des années, de la souffrance vécue par les autochtones depuis le massacre des bisons à la fin du 18e siècle et dans l’optique de favoriser la réconciliation, la pensée lui est venue de redonner l’espoir à ces peuples en ramenant ces animaux aujourd’hui. En décembre 2014, Loko Koa a pu offrir un premier troupeau de vingt-deux bisons composé de vingt femelles et de deux mâles à la Première Nation crie de Peepeekisis, en Saskatchewan.

À l’automne 2019, ce troupeau comptait plus de 100 bisons. L’heure était venue pour ce peuple de passer au suivant en donnant vingt-deux bisons à la Nation Anishinabek Zagime. En décembre dernier, cette nation a remis à son tour autant de bisons à la Première Nation Ojibwayde Brokenhead. À la fin de 2024, huit troupeaux de bisons avaient été introduits sur les terres de huit Premières Nations, habitant les territoires couverts par les Traités 4 et 6, qui s’étendent de l’Alberta jusqu’au centre ouest du Manitoba. L’instauration de chaque troupeau est le fruit d’une collaboration entre Loko Koa, une Première Nation, l’organisme Tearfund3, un groupe formé d’églises et d’individus œuvrant à restaurer l’identité de chaque peuple et à nouer des relations d’amitié en guise d’acte concret de réconciliation, et des allochtones.

 

Le Grand Massacre des bisons

En 1800, les Prairies canadiennes et les plaines américaines étaient habitées par plus de 50 millions de bisons dont se nourrissaient et s’habillaient les peuples autochtones. À la fin du siècle, il en restait moins que mille. À cette époque aux États-Unis, et plus tard au Canada, les colons cherchaient à s’établir définitivement dans ces vastes territoires en vue de développer l’agriculture et l’élevage des bovins. De plus, les peaux de bison étaient en grande demande dans le pays et sur les marchés internationaux, et l’arrivée des fusils facilitait la tâche des chasseurs.

C’est aussi en ces années-là que les gouvernements se sont approprié les terres et ont construit les premiers chemins de fer vers l’océan Pacifique. Pour ceux-ci, les relations avec les peuples autochtones n’avaient pour but que de restreindre leur autonomie. Aux États-Unis, les soldats pratiquaient la tuerie de bisons afin d’affamer ces peuples et de réduire leur nombre. Au Canada, par le moyen des traités, les Premiers Peuples ont été confinés dans des réserves. Il va sans dire que le mode de vie millénaire des autochtones a été largement restructuré. Avant cette époque, le bison était au cœur de l’économie et de la spiritualité traditionnelle de ces premiers peuples.

 

Le projet Ramenez le bison

L’organisme chrétien Loko Koa a comme mission d’accompagner les Premières Nations afin qu’elles puissent cheminer vers la guérison sur les plans spirituel, émotionnel, physique et social. Loko Koa promeut une vision holistique de la « rédemption chrétienne » en œuvrant au développement des communautés par le biais d’interventions culturelles et d’initiatives relationnelles. C’est là aussi l’essentiel de la vision et de la dynamique à la base du projet Ramenez le bison qui, en plus de contribuer à guérir les communautés et à leur permettre de retrouver leur mode de vie ancestral, répond aux objectifs de la Commission canadienne de vérité et de réconciliation4.

Pour pouvoir participer à ce projet, les Premières Nations participantes doivent fournir les terrains et les clôturer. Il est entendu avec chacune que, lorsque leur troupeau atteindra une centaine d’animaux (ce qui prend en moyenne cinq ans), elle remettra le même type de troupeau de départ formé de vingt-deux bisons à la prochaine nation. L’objectif est ainsi d’implanter vingt troupeaux sur le territoire de vingt Premières Nations pour l’an 2035.

Le projet comprend en plus la formation et le mentorat des leaders autochtones dans les soins et la gestion des troupeaux, la reconnaissance de l’identité culturelle des Premières Nations, le soutien et les soins des aînés, la sécurité alimentaire par l’agriculture et l’élevage d’animaux, la rénovation des maisons dans les réserves ainsi que la sensibilisation des allochtones aux enjeux vécus par les Premières Nations afin de construire de nouvelles relations conduisant à la réconciliation.

Pierre LeBel

 

Pour aller plus loin, nous vous invitons à écouter cette entrevue avec l’historien James Daschuk, auteur de l’ouvrage ‘La destruction des Indiens des Plaines.

Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone’ (Presses de l’Université Laval, 2015).

https://creators.spotify.com/pod/show/confluents/episodes/EP-119–James-Daschuk-e30elos/a-abrg4sc

 

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