Notre existence quotidienne dépend de notre environnement social. Notre vie en société dépend du bon fonctionnement des institutions. Dans ces différents contextes, l’harmonie dépend de la qualité des relations. Et cette qualité repose sur la confiance que les êtres humains manifestent les uns envers les autres. Nous en avons l’expérience. Dans tel contexte, parce que la confiance prévaut, nous nous sentons reconnus, à l’aise, capables de donner et de recevoir. La convivialité se manifeste et engendre le bonheur.

 Et lorsque nous sommes engagés dans une organisation, notre satisfaction et notre efficacité dépendent du degré de confiance que nous pouvons avoir dans les relations.

          Le climat social qui règne dans une société dépend de multiples expériences qui, elles-mêmes, sont influencées par la confiance ou la défiance. On peut s’interroger aujourd’hui sur le climat social qui règne en France. Des observateurs font ressortir le pessimisme et le mal-être qui s’y expriment et qui dépendent d’un manque de confiance dans les autre, en lien avec une défiance vis à vis des institutions. Des enquêtes internationales confirment cette perception et montre que la France se caractérise aujourd’hui par une forme de défiance largement répandue. Les représentations correspondantes compromettent le dynamisme français. Nous sommes là en présence d’un problème de mentalité qui est au cœur même de la crise que nous traversons dans ses différents aspects, y compris la vie économique. Ainsi peut-on apprécier que des économistes abordent ce sujet dans des recherches qui se révèlent particulièrement éclairantes. 

Ainsi, Yann Algan, professeur d’économie à Sciences-Po, s’est engagé dans cette voie depuis plusieurs années et il publie aujourd’hui, avec des collègues chercheurs, Pierre Cahuc et André Zylberberg, un livre intitulé : « La fabrique de la défiance et comment s’en sortir » (1).

         Yann Algan met ainsi en évidence un lien étroit entre des représentations empreintes de défiance et le mal-être français. Il attribue cette défiance à un dysfonctionnement général des institutions. « Il y a des relations systématiques entre le fonctionnement de l’école, celui des entreprises, de l’état et l’harmonie sociale. Cela nous aide à comprendre ce qui doit changer et comment… Il s’agit de repérer tout ce qui mine le lien social, mais aussi tout ce qui peut le renforcer pour nous redonner le goût de vivre ensemble » (p 12) . Les données rassemblées et présentées dans ce livre font apparaître clairement la  nature du mal, dont, pour beaucoup d’entre nous,  nous n’avons pas suffisamment conscience. Ce diagnostic peut être le point de départ des réformes indispensables et de la mobilisation,en ce sens, de tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs qui s’expriment dans la confiance.

 

Un climat de défiance

 

         Y a-t-il en France un climat de défiance ? Incontestablement, il y a problème.  En effet, « Lorsqu’on demande aux français : « D’une manière générale, peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? », ils apparaissent particulièrement méfiants par rapport au reste de la planète. En 2007, 22% des français font confiance aux autres… Au sein de l’OCDE, nous avons avec le Portugal et la Turquie, la plus faible confiance. En revanche,dans les pays scandinaves, elle est trois fois supérieure à la nôtre. Mais elle est également inférieure à celle des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne et même de l’Espagne et de l’Italie » (p 16). Cette défiance a pour conséquence une moindre coopération.

         De plus, elle s’accompagne d’une perception de la société « marquée par de fortes distances sociales et une faible réciprocité. « Deux français sur trois considèrent que leur société est organisée de façon pyramidale… Parmi les habitants des pays occidentaux, nous sommes les seuls avec les portugais à avoir une vision si affirmée d’une société hiérarchique » (p 22). La défiance ne s’exprime pas seulement de façon globale. « Le sentiment de ne pas appartenir à une même communauté se manifeste également dans la vie professionnelle » (p 24). Et elle se traduit dans une défiance envers les institutions (p 25). Plus généralement, le manque de confiance induit davantage de pessimisme et de mal-être.

 

L’enseignement : une fabrique de défiance.

 

         Quelle peut être l’origine de ces représentations si négatives ? Yann Algan et les chercheurs avec lesquels il travaille estiment que le dysfonctionnement des institutions est une cause majeure de ce mal-être. Ils mettent en évidence les responsabilités de l’enseignement français. Ils peuvent s’appuyer aujourd’hui sur les données issues de grandes enquêtes internationales.  Les résultats sont impressionnants.

         « A la question posée dans quarante pays différents : 

« Vous sentez-vous chez vous à l’école, », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire situation de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, méditerranéenne ou dans les pays anglo-saxons » (p 107). Ainsi les auteurs peuvent écrire : « L’école est un milieu anxiogène, une machine à trier, à classer et à diviser » (p 107).

         De fait, l’école française reste également un « archétype de l’enseignement vertical » (p 71). « Chez nous, plus d’un élève sur deux déclare consacrer la totalité du temps passé en classe à prendre des notes. Deux élèves sur trois disent ne jamais travailler en groupe… La France est le seul pays avec le Japon à présenter un tel déséquilibre dans les pratiques pédagogiques. Nous sommes les champions de l’absence de travail de groupe… » (p 72).

         Pour tous ceux qui , au long des années, ont œuvré pour le développement de nouvelles formes d’éducation dans l’enseignement français, ce constat traduit un immobilisme surprenant. Yann Algan et ses collègues voient dans le manque criant de méthodes coopératives une situation dans laquelle  la défiance se construit : « Fondée sur un enseignement essentiellement vertical, notre école n’arrive pas à créer suffisamment de lien social… L’évaluation et l’orientation de nos élèves sont aussi responsables de leur malaise et de leur socialisation défaillante » (p 81). Il y a là un chantier prioritaire de transformation sociale.

 

Pesanteurs hiérarchique dans les entreprises et les institutions de l’état.

 

         Cette culture hiérarchique se retrouve dans la vie des entreprises.

Différentes recherches mettent en évidence cette réalité.

« Dans son classement, la France a le plus fort indice de distance hiérarchique parmi les pays industrialisés comparables ». Dans l’entreprise française, « l’autonomie des salariés et leurs opportunités de coopération sont limitées plus que partout ailleurs » (p 86) . Les managers français eux-mêmes sont limités dans leurs initiatives : « L’autonomie des managers français se situent nettement derrière celle des managers suédois, allemands, américains et anglais, mais aussi derrière l’Italie et le Portugal » (p 87).

         Yann Algan et ses collègues mettent en évidence les effets fâcheux du « culte du diplôme » et de la « reproduction sociale des élites » . « L’organisation hiérarchique 

et les frustrations qu’elles engendrent ont des coûts humains considérables. Elles s’accompagnent d’une forte conflictualité. La France apparaît comme le pays où les relations entre employés et managers sont les plus conflictuelles parmi l’ensemble des pays de l’OCDE » (p 93). Bien entendu, cette situation a également des effets très négatifs sur la satisfaction au travail.

         Les attitudes des français vis-à-vis des institutions de l’état participent au climat de défiance. Yann Algan et ses collègues proposent un ensemble de réformes visant à instaurer une plus grande exemplarité dans le fonctionnement des pouvoirs publics.

 

Appel à une transformation en profondeur.

 

         Ce livre fait ressortir l’ampleur de la tâche pour remédier à des représentations profondément ancrées dans des pratiques sociales . Mais Yann Algan et ses collègues propose des stratégies pour changer cette situation : « Un  état libéré des logiques clientélistes, une école moins obsédée par les classements, une renonciation aux statuts de toutes sortes sont autant de moyens de sortir du déclin qui nous menace… Le changement ne passe pas forcément par l’ambition de tout changer tout de suite. Il n’y a pas de fatalité au mal français, au contraire. La confiance aussi se fabrique. C’est la bonne nouvelle de ce livre ! » (page de couverture)

         Dans un  autre article : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » (2), nous avons envisagé la recherche de Yann  Algan dans une dimension plus large. Il nous paraît en effet que les travers des institutions françaises actuelles, et particulièrement de l’école, sont également le produit d’une histoire longue qui est également à considérer. Nous sommes engagés dans une transformation à long terme.

         Si nous nous sentons engagés avec les auteurs dans un mouvement pour susciter la réforme des institutions, ajoutons que, pour nous, la transformation des mentalités requiert également une mobilisation spirituelle. La minorité active qui, dès maintenant,manifeste une confiance vis-à-vis des autre, a pour dénominateur commun, une culture où l’attention à autrui et le respect de l’autre s’appuient sur de valeurs. Comme chrétiens, nous participons à cette culture pour autant que nous ayons conscience que les églises, pour une part, ont été également affectées par un héritage hiérarchique et une communication verticale, et donc que nous puisons la source de notre confiance dans l’inspiration  de l’Evangile, dans l’amour généreux de Dieu et dans la dynamique fraternelle qui en résulte.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylberberg (André). La fabrique de la défiance… Et comment s’en sortir. Albin Michel, 2012. Voir aussi : Algan (Yann), Cahuc (Pierre). La société de la défiance. Ed Rue d’Ulm, 2007. ** Voir sur un site ** un article consacré à ce livre.

(2)           ** Voir sur le blog : Vivre et espérer ** : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système solaire. Les pistes ouvertes par Yann Algan » :

 

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