« Vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Eternel » lit-on dans l’Ancien Testament (Isaïe 55, 8) ; c’est bien ce que nous dit encore cette parabole, qui oppose clairement la justice de Dieu à celle des hommes, la gratuité de la grâce à l’équité des rétributions.

Si l’on s’en réfère à la définition du dictionnaire sur l’équité, que lit-on ? « Qualité consistant à attribuer à chacun ce qui lui est dû par référence aux principes de la justice naturelle ».

Les choix du maître de la vigne sont-ils équitables dans ce sens ? On a du mal à les considérer comme tels si on part d’un principe qui semble incontournable, en particulier dans notre monde économique moderne, ou l’on pointe du doigt toute inégalité subsistante (entre hommes et femmes par exemple) : « A travail égal, salaire égal ». Et la revendication des ouvriers de la première heure (« ces derniers –les ouvriers de la onzième heure- n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous  ») paraît on ne peut plus « naturelle ». Car il est vrai, comme ils le disent ensuite, qu’à la différence des derniers arrivés, ils ont, eux,  « supporté la fatigue du jour et de la chaleur ! » (verset 12) 

 

A vue humaine, il paraît « naturel » d’être récompensé en fonction de l’importance du travail effectué, des « œuvres » accomplies, que ce soit dans le domaine spirituel ou non, d’ailleurs ; logique  quantitative qui ne semble pas, en tout cas, être celle d’un Dieu qui ne mesure pas lui, quand il donne le  soleil aux justes comme aux injustes, quand il nourrit les oiseaux et habille somptueusement les fleurs des champs ! (Matthieu 6, 26-29)

Justice de Dieu, Justice des hommesAu fond, quel est notre but quand nous travaillons dans la vigne du Seigneur ? Bien sûr, on peut répondre: « je n’ai qu’une âme, et il faut la sauver » ; mais cela doit-il nous amener à être en fait un « bon élève » soucieux avant tout de comptabiliser les + et les – dans sa vie dans le but d’obtenir des faveurs ? Ou à œuvrer pour le bien commun par amour pour Dieu et pour les autres ?

Ce qui peut alors nous amener à discerner ce qui est le plus urgent, si l’on veut « porter du fruit » : s’occuper des autres, ou laisser Dieu faire en nous son travail, développer notre vie personnelle ? L’œuvre personnelle consiste alors, non à « faire », mais à croire et recevoir, à avoir l’humilité de se laisser aimer et aider ; et la récompense pourra être dans ce cas une grâce telle qu’on vivra en plénitude avec Dieu.

Trop souvent, les œuvres compensent le manque de foi, que l’on fasse le minimum ou que l’on en fasse beaucoup d’ailleurs ! Il ne s’agit pas d’être un activiste, qui cherche son bonheur de façon illusoire, mais de développer notre capacité à recevoir ce que Dieu veut nous donner, directement ou par les autres ; et nous aurons alors la joie de mettre en valeur nos talents, nous ne les enfouirons plus, comme ceux qui sont attachés à la loi.

N’est-il pas vrai, pourtant, que nous avons souvent bien du mal à recevoir cette puissance de vie ? Comme le maître de la vigne, nous sommes appelés à sortir vers les autres (verset 1), mais aussi de nous-mêmes, dans un mouvement qui met fin à nos paralysies, quand nous acceptons de ne plus nous réfugier dans nos excuses, comme le paralysé de la piscine de Bethesda ; parfois, l’aide des autres peut être néanmoins nécessaire, quand il faut aller jusqu’à défoncer un toit pour nous en sortir ! (Marc 2, 4)

Comme dans la parabole du banquet (Luc 14, 15-24), tous les hommes sont appelés, mais un grand nombre néglige l’invitation : Dieu se résout alors à appeler les « aveugles et les boiteux », ceux qui n’ont pas voulu (ou pas pu ?) au départ ; était-ce le cas de ces journaliers qui sont restés d’abord à l’écart ? Est-ce que le maître ne les a pas vus, ou sont-ils restés passifs (versets 3 et 6) alors que les premiers ont fait l’effort de venir et de se présenter dès la 1° heure ?

Dans ce cas le maître de la vigne ne s’est pas découragé, il les a tous invités, les déterminés comme les indolents ! Ceux qui sont embauchés à la troisième, puis à la sixième heure, doivent pourtant se contenter d’un contrat moins avantageux, plus vague, vu leur arrivée tardive : le maître ne leur promet pas de leur donner un denier (le salaire normal d’une journée de travail), mais « ce qui est raisonnable » (verset 4) : une rétribution au prorata du  nombre d’heures effectuées dans cette journée, pensent-ils peut-être ? Mais le calcul, si calcul il y a, est laissé à l’appréciation du maître ; et pour les ouvriers qui arrivent à la onzième heure, c’est encore plus vague : aucune précision sur le montant, même qualitative ! « Syndicalement »inacceptable !

On peut penser que ces ouvriers, venus plus tardivement, n’acceptent ces conditions que parce qu’ils n’ont pas le choix ; en tout cas, ils manifestent, notamment les tout derniers, une confiance dans le maître que les premiers n’ont pas besoin d’avoir, ou pas autant, protégés comme ils sont par un contrat précis ! Confiance qui sera honorée au-delà de toute attente « légitime », ce qui permettra au maître d’éprouver la générosité des ouvriers de la première heure, exposés au même genre de situation que le frère aîné du fils prodigue, à qui le père aurait pu dire aussi : « vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ? » (verset 15)

Comme eux, nous ne pouvons que compter sur la générosité de notre maître, Jésus, qui nous appelle lui aussi à lui faire confiance, manifestant ainsi notre foi, « une ferme assurance des choses qu’on espère » (Hébreux 11, 1) ; comme dans la parabole, nous sommes invités à passer avec lui d’un rapport contractuel et juridique à une véritable relation, fondée sur cette confiance et sur l’amour, qui nous amène à nous montrer généreux avec les autres à notre tour.

Alain Bourgade
Sur la base des notes prises par Gisèle McAfee

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