Manifestation éclatante, mais secrète de la gloire de Jésus, la Transfiguration, annonce du passage de  l’Ancienne Alliance à  la Nouvelle,  illustre bien la façon dont vient le Royaume de Dieu, qui est « déjà là », mais « pas encore » ; seuls, trois disciples sont alors admis  à contempler cette future gloire, indissociable de la croix, annoncée par Jésus quelques jours avant.

   Le contexte de l’évènement est en effet très éclairant : ce n’est que lorsque Pierre reçoit la révélation de la véritable nature de Jésus (« tu es le Christ de Dieu ») que celui-ci fait part, pour la première fois, à ses disciples tout à la fois de sa mise à mort et de sa résurrection, liant ainsi sa gloire divine et son sacrifice sur la croix : idée bien difficile à admettre pour des juifs ! Il exige donc le secret sur cette annonce si troublante. Il est à noter que les trois disciples témoins de la Transfiguration (Pierre, Jean et Jacques) garderont aussi le secret sur cet évènement extraordinaire, manifestant de façon visible cette gloire de Jésus ; ils n’en parleront même pas aux autres disciples « dans ce temps-là » (verset 36), c’est-à-dire jusqu’à la Résurrection.

Trois disciples admis à contempler trois hommes (image de la Trinité ?) ; mais parmi ces trois hommes, deux hommes « ordinaires », bien qu’associés à la gloire de Jésus ; des hommes tout de même remarquables, non seulement par leur rôle de témoins et de précurseurs dans l’ Alliance, mais aussi par les ressemblances entre leur histoire  et celle de Jésus : l’enlèvement mystérieux d’Elie au ciel, la « gloire »qui illuminait le visage de Moïse quand il s’était entretenu avec Dieu (gloire de « contact », il est vrai, et non gloire « d’origine », comme celle de Jésus).

Tout ceci montre bien la continuité entre la nouvelle Alliance et l’ancienne : Elie et Moïse parlent d’ailleurs avec Jésus de son départ prochain vers Jérusalem ; et Pierre, émerveillé par une vision qui semble le conforter dans son ancrage, encore très fort alors, dans l’ancienne alliance, ne peut s’empêcher de donner libre cours à son impulsivité spontanée en faisant à Jésus une proposition qui peut sembler naïve (mais peut-être inspirée tout de même) : «Maître,  il est bon que nous soyons ici, dressons trois tentes ! » (verset 33) Tant il voudrait éterniser ce moment béni, avant que Jésus ne se sépare des deux autres.

Un moment que les disciples n’ont pu vivre qu’en se réveillant d’un « sommeil écrasant » (verset 32) qui peut évoquer celui qu’ils ont subi à Gethsemané ; mais ici, ils ne se sont pas « endormis de tristesse » (Luc, 22, 45), bien au contraire ! Cette scène glorieuse devait pourtant être très  impressionnante, comme d’ailleurs ce qui a suivi ! (essayons de nous mettre à leur place !)  S’agirait-il ici d’un sommeil « spirituel », contre lequel Pierre et ses amis ont dû lutter avec force pour se mettre debout (au sens propre comme au sens spirituel) et pouvoir ainsi être réceptif aux manifestations du Seigneur ? vivant ainsi une sorte de résurrection ?

Mais la vie chrétienne ne consiste pas à rester continuellement sur la « montagne » de  la contemplation ! C’est un cheminement dont on ne voit pas obligatoirement le fil conducteur –en tout cas pas tout de suite – jalonné par une série d’étapes, qui peuvent être autant de ruptures (quitter une église par exemple, ce qui n’est pas quitter Dieu) ou d’engagements nouveaux (dans telle ou telle association) qui ne remettent pas en cause le sens général.

Jésus ne s’attarde pas non plus sur cette montagne, où ont été annoncées à la fois la continuité et la rupture entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle : la nuée (un rappel de l’exode) cache la disparition d’Elie et de Moïse, et laisse Jésus seul pour aller vers Jérusalem, c’est-à-dire en fait vers la croix, qui, elle,  va marquer la rupture avec l’Ancienne Alliance, tout en l’accomplissant.

Alain Bourgade

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