Un entretien avec Claude Meynckens conduit par François Sergy. 

Sa propre  expérience,  très émouvante, est  l’explication personnelle de la démarche illustrée dans son ouvrage « les dialogues de Jésus apprendre à écouter l’autre »…un cheminement qui l’a conduit de la mort de son père à la découverte de ce que DIEU l’accepte  comme responsable,  et à la possibilité d’être un adulte valable.
Jésus crée une relation de reconnaissance où les individus se découvrent avoir de la valeur. Pour un dialogue vrai, il faut savoir être vrai, être un écho ressenti par l’autre. L’ entraide  est un partage et non un jugement.

F.S.  Claude Meynckens, comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux rencontres de Jésus dans les évangiles, au point de publier un ouvrage à ce sujet – Les dialogues de Jésus. Apprendre à écouter l’autre ? (1)

C.M.  La problématique qui se posait à moi, au moment où j’ai entrepris cette démarche, était celle d’être un chrétien engagé dans l’écoute du souffrant. J’avais déjà entrepris des études de théologie et exercé un ministère pastoral, notamment auprès de la jeunesse. Et à quarante-huit ans, je me suis formé pour être psychothérapeute. Je me suis demandé comment Jésus écoutait. Cette démarche n’avait rien d’un éloignement de la foi. Je constatais que même dans l’église il n’existait pas grand-chose à l’époque en terme d’accompagnement.

Une honte indue

F.S. Ce besoin d’écoute était-il particulièrement criant parce que vous-même aviez besoin d’être écouté sur un point particulier ?

C.M.  Oui. J’ai subi un manque d’écoute dans ma jeunesse et cela m’avait profondément perturbé. Mon père s’était suicidé. Or, je me trouvais dans un milieu ? c’était l’époque qui voulait ça certainement ? où l’on ne savait pas écouter, en particulier ceux qui, comme moi et mon frère, étaient atteints par ce que je pourrais appeler le syndrome du manque de parents, le syndrome de l’orphelin. S’est greffé à cela une attitude de condamnation par le milieu parental, ce qui a activé chez moi un besoin d’écoute compréhensive. J’éprouvais le besoin de rencontrer quelqu’un qui comprenne, entende ma douleur causée par le manque de papa.

F.S. Votre père est mort alors que vous aviez quatre ans. A cet âge-là, réalise-t-on vraiment ce qui se passe ?

C.M.  Non, je n’ai rien réalisé. Restent quelques souvenirs. Je ne souffrais pas consciemment à cet âge-là d’un manque de père. Ce dont j’ai eu conscience, en revanche, c’est de la souffrance de ma mère, la voyant pleurer. Ce dont j’ai eu conscience aussi, c’est du regard que l’on posait sur mon frère et moi. Nous portions sur les épaules la responsabilité d’un père qui n’avait pas eu, nous disait-on à l’époque, le courage de faire front aux événements. Sans référence paternelle, nous avons fait une grosse crise à l’adolescence. Mon père me manquait, sans en avoir conscience. Je peux même dire qu’aujourd’hui encore les genoux paternels me manquent. Les dialogues d’un père avec son fils, je ne sais pas ce que c’est. Et mes propres enfants ont failli à leur tour manquer de cela. Il a fallu que j’apprenne à tenir mon rôle de père, à leur transmettre l’image d’un père aimant. Or, j’étais passif, je ne savais pas m’y prendre. Je ne savais pas jouer avec les enfants, leur apporter la tendresse nécessaire, parler avec eux. Je remercie Dieu d’avoir eu l’épouse que j’ai eue, car elle m’a accompagné avec patience.

F.S. Jusqu’à l’approche de la cinquantaine, vous n’allez absolument pas parler du suicide de votre père. Etait-ce tabou ?

C.M. Presque ! J’en ai parlé peut-être avec ma mère une ou deux fois, mais j’ai vite compris qu’il ne valait mieux pas aborder le sujet, parce que c’était à chaque fois des torrents de larmes. J’avais tellement honte que lorsque mes propres enfants me posèrent des questions sur leur grand-père, j’étais incapable de leur dire quoique ce soit de vrai sur la question. Je leur expliquais qu’il était décédé accidentellement. Il m’a fallu un moment de friction avec l’une de mes filles pour que je supplie le Seigneur de m’éclairer. J’ai compris alors que la mort de mon père était ma honte. A partir de ce moment-là, j’ai pu, non sans souffrance, mais librement, parler du suicide de mon père. J’étais libéré de cette honte.

F.S. Est-il important de ne pas cacher la vérité°?

C.M. Oui. En se taisant, on pense se protéger, alors qu’on se précipite dans une absence de vérité qui va manquer dans la construction de soi. Il est inévitable que tout enfant incorpore, lors de sa construction, les carences familiales. Lorsque l’on en prend conscience, il ne faut pas les éviter, ou les taire, mais y faire face et les corriger, et donner un sens à son parcours de vie.

F.S. Et si on ne dit rien ?

C.M. On court alors le risque de voir cette absence, ce vide, et de faire naître de la mésestime, de la non confiance en soi. Chez moi, ce manque se manifestait par une forme de complexe et de honte de moi (mais pas de mon père).

Un père qui n’en peut plus

F.S. Comment en vient-on à ne plus pouvoir supporter de vivre au point de se donner la mort ?

C.M. C’est ma mère qui m’a aidé à comprendre cela. Elle a pu m’éclairer sur l’authenticité de ce que mon père vivait dans sa relation avec Dieu. Il était d’une très grande sensibilité. Il s’était engagé à dix-huit ans pour défendre la patrie. C’était la guerre 14-18. Monté au front, il s’est trouvé face à un jeune allemand de son âge ? et les anciens sauront ce que cela veut dire ?, baïonnettes au canon. Il fallait que l’un deux meure, c’était la règle du « jeu ». C’est mon père qui l’a embroché. Il n’a jamais pu supporter d’avoir été obligé de monter sur le ventre du jeune allemand pour retirer la baïonnette. Cette image l’a toujours poursuivi. Il y a eu ensuite d’autres événements. Il s’est marié à une jeune fille dont les parents avaient réussi dans la vie, ils avaient des magasins, ils étaient riches. Il s’est senti disqualifié par son travail de mineur. Mon père a certainement été trop pris en charge par son beau-père. Résultat : il ne s’est pas épanoui dans le mariage et a choisi de disparaître.

F.S. Quels souvenirs vous en reste-t-il ?

C.M. Deux souvenirs me font du bien et me raccrochent à lui. La chaleur de ses derniers baisers avant de partir au travail, puis de le revoir… dans un cercueil. A l’époque je ne savais pas que c’était un cercueil. J’avais réussi à passer entre les jambes des adultes. Je le vois encore dans cette caisse de bois comme dormant, avec à la tempe une petite pièce toute rouge, la marque du coup de révolver qu’il s’était donné. Je n’avais ni épouvante, ni tristesse. Ça reste un souvenir positif.

F.S. Aviez-vous compris qu’il était mort°?

C.M. Non, je ne m’en suis rendu compte que progressivement. Il y avait un réel fossé entre l’image que je gardais de mon père et l’opinion que l’on en avait. Je me souviens que suite à une conférence une dame m’a posé cette question°: « Avez-vous pardonné à votre père ? » Si je m’étais écouté, j’aurais été capable de la bousculer ! Pouvais-je en vouloir à mon père parce qu’il avait trop souffert ?! Il a été écrasé par la souffrance. Je ne dis pas que le suicide est la solution. Mais j’ai compris son geste. A tel point qu’il m’est arrivé, il y a quelques mois, de lui écrire une lettre posthume. C’était la première fois que je lui disais mon amour. A quatre-vingt-trois ans !

F.S. En avez-vous jamais voulu à Dieu ?

C.M. Je n’ai jamais eu à l’égard de Dieu une révolte quelconque. Pour moi, la situation de mon père était le fait non pas de Dieu, mais des hommes. Les jugements hâtifs, le manque de considération, les regards en coin, c’était le fait des hommes, pas de Dieu ! J’avais pris connaissance des nombreux passages de la Bible qui parlent de la veuve et de l’orphelin. (2) Ça m’avait toujours interrogé. Et je me suis dit : « Donc Dieu pense à moi. Il ne me rejette pas. » En revanche, j’en ai voulu aux hommes, en particulier au milieu dans lequel j’étais. Si j’y étais resté, je serais certainement devenu un anarchiste, opposé à tout ce qui est religieux et bourgeois.

F.S. Comment êtes-vous devenu chrétien°?

C.M. D’une façon très curieuse ! C’était la période de Noël. J’étais seul. Je me chauffais auprès d’un poêle à bois. Je rêvassais. A un moment donné, mon regard a été attiré par une Bible qui se trouvait sur l’appui de la fenêtre. Je l’ai prise et, machinalement, je l’ai ouverte. J’ai lu ce qui se présentait : les Dix Commandements ! Ce sont bel et bien ces paroles qui ont été un déclic. Dieu me disait à travers elles qu’il me considérait, qu’il m’acceptait comme responsable, que je pouvais diriger ma vie, être un adulte valable. Il m’ouvrait un nouvel horizon. Il se révélait comme un Père, comme un guide. Il me disait : « Mais courage, jeune homme, il y a toute la vie devant toi ! Et de toi tu peux faire quelque chose de valable ». Bien entendu ensuite il y a eu tout un cheminement, puis l’appel de Dieu à le servir, chose que depuis j’essaie de faire le mieux possible.

Pierre : l’amour réhabilite

F.S. Parmi les dialogues de Jésus, prenons en trois : avec Pierre, avec la femme samaritaine, et enfin avec Marie sa mère. Le disciple qui a renié s’en est repenti, mais lui aussi a connu le sentiment de la honte…

C.M. Oui, tout son univers s’est écroulé. Pierre s’appelait Simon Barjonas, c’est-à-dire fils de Jonas. Dans la société juive de l’époque, on était situé socialement par rapport au père. La première fois que Jésus le rencontre, il le nomme Pierre. Dans l’Ecriture la désignation fait sens, nommer c’est identifier, donner une identité, indiquer une orientation de vie. On n’appelle pas l’un de ses enfants du nom d’une tante acariâtre. Avant sa rencontre avec Jésus, Pierre n’est encore que le fils de son père. Il le sera toujours, mais Jésus ne le situe pas en fonction de son statut social ou familial : Pierre est une personnalité à part entière, créé à l’image de Dieu,, appelé à être responsable, au service du Maître. « Viens et suis-moi, je te ferai pêcheur d’hommes. (3) Ce devait être formidable pour Pierre parce que Jésus avait déjà une certaine renommée. On ne suit pas Jésus pour en être l’esclave, mais pour l’accompagner et être avec lui dans une relation d’amitié (4). Jésus crée une relation de reconnaissance où les individus se découvrent avoir de la valeur. Jamais il ne condamne. A la femme adultère, il précise : « Moi non plus, je ne te condamne pas; va, et désormais ne pèche plus. » (5) Autrement dit : Va, tu as la liberté de ne plus pécher. Va, tu peux construire autre chose…

F.S. Pierre renie son Maître. Quelle est l’attitude de Jésus par rapport à ça ?

C.M. Il ne fait pas de reproche. Il demande à Pierre : « M’aimes-tu ? » C’est phénoménal ? celui-ci vient de le renier ! Cet épisode est très signifiant. Jésus lui pose la question par trois fois. La première fois, il emploie le verbe agapè. Pierre lui répond par un verbe moins fort, phileo : « j’ai de l’affection ou de l’amitié pour toi. » La troisième fois, Jésus emploie lui aussi phileo : il est dans une démarche très compréhensive. Il ne lui dit pas : « il faut que tu m’obéisses… » Non, il replace Pierre dans la perspective d’une relation d’amour. Jésus lui offre un amour qui peut être reçu par celui qui a fauté d’amour. Le dialogue a été ajusté à la personnalité de Pierre. Jésus s’adapte toujours à la situation et à la personne. Il déclenche une dynamique de vie et révèle les talents de chacun.

F.S. Il ne culpabilise pas, mais c’est toujours un dialogue de vérité…

 C.M. Jamais il ne gomme la faute. Il ne dit pas à la femme surprise en délit d’adultère qu’elle a bien fait. Il ne s’institue pas en juge (6), il rétablit un fonctionnement aisé de la personne.

La femme samaritaine : La vérité libère

F.S. Le dialogue avec la femme samaritaine n’est-il pas tout d’abord un dialogue de sourd°? (cf. Jean 4)

C.M. C’est vrai. Remarquons que c’est l’un des seuls dialogues où c’est Jésus qui prend l’initiative. En général, on vient à lui et on formule une demande. Là, il nous est dit que Jésus s’est arrêté et reposé parce qu’il était fatigué.

F.S. Jésus fait état d’un besoin : il a soif.

C.M. Jésus dit toujours vrai, sur l’autre mais aussi sur lui. Sa demande déclenche une incompréhension de la part de la femme samaritaine, elle est même proche de la vindicte. « Comment toi, qui es juif, peux-tu me demander à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? » C’est du domaine de l’anormal. Elle ne peut pas comprendre car elle est dans un état de repli volontaire, de protection, elle est sur la défensive. Défensive religieuse et vis-à-vis des hommes. Si elle vit avec un sixième homme, c’est parce qu’elle a dû en baver°! Mais elle a de tels besoins qu’elle essaie toujours de trouver quelque chose qui la satisfasse.

F.S. Il est intéressant de relever que Jésus fait émerger son désir en exposant son propre besoin. Qu’est-ce que cela nous enseigne ?

C.M. C’est une loi psychologique importante : Pour un dialogue vrai, il faut d’abord soi-même être vrai. Si l’on dit ce que l’on ressent dans ses tripes, l’interlocuteur est touché, même s’il ne le manifeste pas ou ne le perçoit pas intellectuellement. De chacun émane une certaine présence, et dans la rencontre on réagit par mimétisme. On a constaté, par exemple, que souvent dans une situation conflictuelle, si l’une des personnes fait état de son ressenti, cela éveille quelque chose chez l’autre. Un ami m’a dit un jour : « Ce qui m’a fait le plus de bien dans nos relations, c’est ce que vous avez dit de vous-même. Cela a eu chez moi un effet révolutionnaire. Ça a fait écho. »

F.S. Ça réveille quelque chose en l’autre : qu’est-ce que ça révèle ?

C.M. Nous sommes des êtres créés à l’image de Dieu, ce que nous oublions souvent, même les chrétiens parfois quand ils évangélisent. Les gens sont bien conscients d’une souffrance qui les a conduit à fauter, d’ailleurs souvent ils se condamnent eux-mêmes et n’osent pas en parler de peur de se sentir jugés. En revanche, quand on rencontre quelqu’un qui ne juge pas, alors on ouvre plus facilement la fenêtre de son cœur.

F.S. Cette femme de Samarie est dans une situation que Jésus ne juge pas : comment la met-il en lumière ?

C.M. Il encadre son aveu par deux expressions dont l’une est traduite généralement par tu as raison ou tu dis bien et l’autre par tu dis vrai. Autrement dit, la femme samaritaine a bien fait de dire ce qu’elle a dit. Mieux, elle a dit vrai. Pourtant, elle n’a pas tout dit ! Mais Jésus pointe ce qu’elle a pu dire, et il le met en évidence et l’encadre. Ainsi cette femme se sent entendue. Elle est mise en confiance. Elle s’ouvre. Une femme qui-a-eu-cinq-maris-et-qui-vit-avec-un-sixième-homme-qui n’est-pas-son-mari, pensez donc, ça fait jaser, elle a mauvaise réputation. Après la rencontre, elle s’empresse de dire aux gens du village°: « Venez voir ! Il y a là un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait !°» Elle ne se cache plus ! Elle n’est plus là pour jouer la femme condamnable qui se protège. Elle a pu s’ouvrir, et en ouvrant sa vie se raconter.

F.S. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait ». Mais, en réalité, Jésus l’a fait parler, elle, non ?

C.M. Absolument ! Jésus a su l’écouter. Et en l’écoutant, elle a pu se dire. C’est ce qu’on appelle une écoute active qui déclenche un changement formidable dans la vie de cette femme ! Selon moi, c’est du domaine de la thérapie.

Jésus en dé-prise familiale

F.S. Qu’est-ce que les propres relations familiales de Jésus ont à nous dire ?

C.M. Je suis convaincu que le témoignage des Evangiles sur la vie de Jésus est plein d’enrichissements pour notre conduite, en particulier parentale. Il est vrai que son comportement à l’âge de douze ans a de quoi surprendre tout parent. (7) Si j’avais eu un fils ayant échappé à ma surveillance, j’aurais été tenté de le corriger°! Mettons-nous à la place de ses parents : c’est la fête de la Pâque, ils sont descendus à Jérusalem, il y a foule, et Jésus a disparu. Ils ne le retrouvent qu’au bout de trois jours ! Ce n’est pas rien. Ils expriment donc leur angoisse, leur mécontentement, leur inquiétude. Leur attitude est saine et normale. Pourtant, quand ils le retrouvent dans le Temple, Jésus a cette réponse étonnante°: « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que j’ai à faire chez mon Père ? » Enfant, il tient une parole d’adulte à des adultes. Quel sens des responsabilités ! Pourquoi cet épisode a-t-il été retenu par Luc ? Jésus a dû toujours avoir conscience de sa divinité ou de sa relation particulière à Dieu, de là à l’afficher d’une façon aussi péremptoire, du haut de ses douze ans ! Douze ans justement, ce n’est pas une mention anodine. C’est l’âge où en général un garçon peut devenir père, et une fille mère. Cette zone intermédiaire entre l’enfance et l’âge responsable n’existait pas du temps de Jésus. Il montre qu’à douze ans il est susceptible d’assumer une responsabilité adulte. Les changements physiologiques entraînent aussi une prise de conscience psychologique, une volonté d’assumer une responsabilité et de se détacher des parents. On rate le coche, en tant que parents ou éducateurs, en ne faisant pas confiance aux enfants pubères. Un jeune de douze ans en général ne dit pas que des bêtises, il dit souvent des choses très justes, il est capable de réfléchir. Or, on ne sait pas assez les écouter.? On ne peut pas non plus les considérer comme des adultes à part entière, ils sont en pleine construction ! ? Ils ne demandent pas à être considérés comme tel, mais il appartient aux adultes que nous sommes de savoir reconnaître leurs capacités et d’accepter le fait qu’ils aient grandi. Cette reconnaissance devrait peut-être passer par un événement particulier, un rituel – la bar mitzvah en contexte juif. Ils nous le font d’ailleurs remarquer°: « Je ne suis plus un gosse, lâche-moi un peu les baskets ! » Si on ne les accompagne pas correctement, leur besoin de liberté se transforme en une revendication de liberté, c’est ce qui fait que nos adolescents nous posent tant de problèmes. ? Jésus grandit et, devenu adulte, on le retrouve confronté à sa mère dans l’épisode des noces de Cana (Jean 2.1-11).? Oui, le vin vient à manquer et Marie se tourne alors vers Jésus pour résoudre le problème, mais celui-ci rétorque : « Femme, qu’avons-nous de commun en cette affaire ? Mon heure n’est pas encore venue. » Le professeur Jules-Marcel Nicole disait qu’il fallait traduire d’une façon assez cavalière par « ce n’est pas tes oignons°! ” (8) Marie sait que Jésus est l’homme de la situation°: « Faites tout ce qu’il vous dira » dit-elle aux serviteurs. ? On la voit donc bien s’effacer !? Elle introduit Jésus auprès des serviteurs, mais Jésus la remet à sa place. Elle est sa mère, elle n’a pas à être son coach. Ce n’est pas à Marie de lui dicter ce qu’il doit faire. Elle n’est pas sa conseillère. On pense parfois pouvoir passer par Marie ou par tel autre intermédiaire. Or, si on entend bien ce que Marie dit elle-même ? « Faites tout ce qu’il vous dira » ?, c’est bien Jésus qui doit agir, qui est au centre de l’attention, pas elle. Elle ne se prévaut d’ailleurs d’aucune prérogative. Elle veut, au contraire, lui laisser toute la place. Mais, même cela, Jésus le refuse. Pourquoi ? Il se conduit vraiment comme un homme, un adulte responsable. Il ne veut pas que sa mère soit l’initiatrice, l’inspiratrice, ou la conseillère de sa vie. Il est, lui, responsable de sa vie, pas sa mère. Ce qui ne veut pas dire que Jésus n’a pas d’affection pour sa mère puisqu’à la croix il la confiera à Jean.? Au final, la tâche ne nous incombe-t-elle pas de nous confier les uns aux autres ?? On néglige trop souvent les textes bibliques qui ont trait aux pauvres, aux déshérités, à la veuve, à l’orphelin. Il y a dans la Bible cette prise en considération de la peine de l’autre. La notion biblique d’entraide n’est pas une aide qu’on doit apporter, c’est un partage. Or le partage, comment le vit-on ? Ce que Dieu me donne ? et « qu’as-tu que tu n’aies reçu ? »(9) ? ne m’appartient pas.(10) C’est son bien, un bien à partager. Que Dieu nous aide à partager. Ce partage signifie aussi écoute, compréhension, et non pas jugement ou critique négative, attitude de méfiance, repli sur soi ou égoïsme. Nous sommes en marche avec des hommes et des femmes de tous horizons avec lesquels il est bon de savoir aimer, car c’est l’amour qui est la valeur suprême.

Propos recueillis par François SERGY

>© Radio Réveil et Paroles de Vie

NOTES

[1] Editions Empreinte -temps présent, Paris, 2009.
[2] Exode 22.21 ; Deut. 10.18 ; 14.29 ; 24.17 ;19-21 ; 26.12-13 ; 27.19 ; Psaume 146.9 ; Esaïe 1.17 ; Jérémie 7.6 ; 22.3 ; Zacharie 7.10 ; Malachie 3.5
[3] Luc 5.10.
[4] Jean 15.15.
[5] Jean 8.10-11.
[6] Cf. le chp. 7 de Matthieu ; Luc 12.14 ; Jean 3.17, 8.15, 12.47.
[7] Cf. Luc 2.41-52.
[8] Littéralement il est écrit : « Quoi à moi et à toi, femme ? » (Jean 2.
[9] 1 Cor. 4.7.
[10] Cf. Actes 4.32 ; Romains 14.8 ; 1 Corinthiens 6.19 ; 10.26.

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