La salle était pleine. J’ai dû m’asseoir à l’avant dernier rang devant pour voir « Ida », un film polonais sorti ce 12 février 2014 (1) en France, déjà largement primé (2) et pour lequel les louanges de la critique (3) sont grandement justifiées. Tourné en noir et blanc Ida nous plonge dans l’austère beauté d’une histoire qui va se dire en des mots rares et justes et des scènes simples et sobres. Dans la Pologne des années 60 Anna, une jeune nonne orpheline, visite sa tante et découvre son identité et le tragique secret de sa famille juive.

 

La scène initiale s’ouvre sur un symbole à décrypter : Anna et trois autres nonnes restaurent une statue du Christ, la portent comme on porte sur les épaules un cercueil, sortent sous une fine pluie de neige, la redressent et la replacent sur son socle…

Quelques séquences plus tard, à la demande de la mère supérieure, Anna, avant de prononcer ses vœux définitifs, part à la rencontre de son unique parente. Ainsi va-t-elle découvrir sa judéité, sa véritable identité, Ida, mais aussi se heurter à cette « vie du dehors » dont elle ignore tout.

Entre Ida et sa tante Wanda il y a un fossé que relie, plus qu’un lien du sang, le pont d’une souffrance commune. Ida, élevée dans un orphelinat puis dans un monastère, découvre peu à peu ce tragique secret de famille que Wanda la rouge, procureur zélé contre « les ennemis du peuple », a tenté d’oublier dans le sexe et l’alcool. Raison qui, jadis, l’a retenu de recueillir sa nièce enfant.

Ce retour vers le passé, vers les origines, vers le lieu du meurtre et la fosse sans sépulture où « reposent » les parents d’Ida s’accompagne de la douloureuse confrontation de deux chemins de vie. Au-delà du but de leur voyage dans la grisaille de la Pologne des années 60, Wanda rêve d’arracher sa nièce à l’avenir qu’elle s’est tracée ou qu’on a tracé pour elle.

Dans ce but elle en appelle même à Jésus « l’ami des prostituées » dit-elle.

Mais cette confrontation n’est pas une joute verbale. Wanda espère surtout que les yeux de sa nièce vont s’ouvrir d’eux-mêmes sur la vie dite réelle et lui donner le goût d’y entrer. Ida lui oppose beaucoup de silences et sa pratique religieuse. Autre forte image une scène à l’hôtel où Ida prie à genoux au bord du lit tandis que Wanda s’y écroule sur le dos, la tête vers le pied du lit. Les deux femmes sont aux antipodes, aux extrêmes.

Car ce n’est pas la vie ordinaire que découvre Ida sur cette route hors les murs du couvent mais l’existence « désordonnée » de sa tante, la misère matérielle et morale des gens et un nouveau drame. Certes, elle croise aussi un beau garçon musicien de jazz, et c’est à lui qu’à la fin elle posera la question clé qui la tenaille : « et après ? ». Pour elle, avant, l’horreur ; ensuite le rythme silencieux d’années monacales ; maintenant son identité retrouvée. Mais pour quel avenir ? Celui-ci ? Et après ? Cela ? Et après ? Et après ?

Dans la dernière longue scène Ida marche résolument et d’un pas vif sur une route. Et l’on se demande : est-ce pour rejoindre ou pour fuir un type existence ?

Ce film admirable l’est aussi grâce au jeu puissant et délicat des deux actrices principales : Agata Kulesza et Agata Trzebuchowska.

Françoise Rontard

(1) Réalisé par Pawel Pawlikowski

(2) Prix Fipresci 2013 au festival de Toronto
     Prix Flèche de Crystal 2013 au festival des Arcs
     Grand Prix au festival de Londres 2013
     Grand Prix au festival de Varsovie 2013

(3) Exemple : « un chef-d’œuvre de spiritualité » écrit l’Humanité, « Nonne stop » titre Libération…

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