A une époque qui se caractérise par l’intensité du changement culturel et social, des réalités nouvelles apparaissent dans tous les domaines. Le mode et le rythme de ces apparitions peuvent varier. A cet égard, le terme d’émergence nous paraît caractériser un mouvement en profondeur. Plus généralement, il traduit aussi une manifestation de nouveauté. C’est à ce titre que Jean-Luc Gadreau, rédacteur en chef du magazine : « Construire ensemble », met en scène le mot « émergent » : « S’il est un mot à la mode, celui d’ « émergent » se glisserait actuellement en bonne placer dans un top cinquante linguistique possible. On parle de société émergente, de maladie, de musique, de démocratie et, depuis peu, même d’Eglise. Pour chacune de ces catégorie, cela conduit toujours à de vifs débats, la notion d’Eglise émergente n’y échappant guère ».
De la Genèse à l’éclosion des premières communautés chrétiennes, le récit biblique nous présente lui aussi des émergences où l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. Que ce même Esprit nous donne aujourd’hui d’être attentifs aux signes des temps. Et, comme l’écrit Jean-Luc Gadreau, dans son introduction au dossier sur l’Eglise émergente présenté dans « Construire ensemble », « Puissions-nous nous pencher sur la question de ce dossier en invitant le Saint Esprit à souffler sur nous un air qui puisse nous élever, nous donner de comprendre et d’émerger … ».

Un dossier dans « Construire ensemble ».

« Construire ensemble » est un magazine bimestriel qui se donne pour mission de « favoriser une foi active et réfléchie ». Qui ne voit l’importance d’une telle démarche à une époque où le discernement est particulièrement nécessaire ! Saluons cette initiative d’autant qu’elle se trouve ici mise en œuvre dans une forme éditoriale moderne et inventive. « Construire ensemble » s’inscrit dans une mouvance chrétienne évangélique et est publié par le groupe éditorial : « Croire-publications » d’origine et d’inspiration baptiste. (*).
Dans son présent numéro (mars 2007), « Construire ensemble » présente donc un dossier sur l’Eglise émergente. « Le concept d’Eglise émergente suscite bien des discussions. Mais de quoi s’agit-il vraiment ? Parmi les auteurs des articles, certains considèrent que cette perspective peut aider à transformer les Eglises actuelles, alors que d’autres pensent qu’elle ne peut s’appliquer qu’à des projets radicalement nouveaux ».
Effectivement, les contributions publiées dans ce dossier apportent des éclairages différents. Tandis que Thierry Keiflin met en perspective la post modernité comme époque de transition, Jean Hassenforder présente le courant de l’Eglise émergente à partir de l’expérience britannique. Henri Bacher met l’accent sur la spécificité du phénomène : « Les émergents veulent sortir dans le monde et recréer des communautés qui soient adaptées culturellement, mais aussi théologiquement à l’évolution de nos contemporains ». Jean-Pierre Civelli, pasteur à Valence, s’interroge sur le renouvellement des églises actuelles. Et, à partir de son expérience, il présente un ensemble de principes d’action permettant d’induire un fonctionnement plus communautaire et plus dynamique. Enfin Pierre de Mareüil, en conclusion, cherche à faire le point : se garder des effets de mode, mais accepter les interpellations : « A l’instar du Christ, aller à la rencontre de l’autre… dans une relation authentique où l’écoute précède la prédication, où on s’intéresse à la personne de l’autre pour ce qu’il est… ». Dans cette démarche, « repenser les grandes affirmations de la foi en lien avec le désir d’une rencontre authentique », dans un esprit « d’orthodoxie généreuse, ouverte qui favorise la rencontre à tous les niveaux ».
Pour notre part, nous estimons utile d’introduire ici le concept d’innovation qui permet, nous semble-t-il, d’apporter une clarification. En effet, face aux dysfonctionnements qui appellent, pour être corrigés, des changements en profondeur, les innovations prennent des formes différentes. Dans certains contextes, en prenant en compte la composition et la culture dominante des églises concernées, elles introduisent des changements jusqu’à un certain point et dans certaines limites. Dans d’autres cas, l’objectif est plus ambitieux : incarner l’Evangile dans des communautés émergentes immergées dans une culture nouvelle. Ces deux démarches ne sont pas en opposition. Toutes deux répondent à des besoins. Elles sont simplement différentes et méritent d’être distinguées. C’est dans cette perspective que le Groupe de recherche de Témoins prépare une journée sur « l’innovation dans les Eglises » avec une attention particulière pour le courant de l’Eglise émergente. Retenez, des maintenant, la date du samedi 6 octobre 2007.

Dans un pays où le manque de pertinence de certaines pratiques d’église ressort de l’examen de différents indicateurs alors que l’héritage du passé entrave bien souvent les transformations nécessaires, il apparaît aujourd’hui, à partir du lieu d’observation qu’est le Groupe de recherche de Témoins et des demandes qui lui sont adressées, une montée de la prise de conscience de la nécessité de changements profonds (Cf sur ce site à la rubrique : recherche, bibliographie : « Un appel à l’innovation dans les Eglises »).
A cet égard, on se réjouira de l’ouverture que traduit la publication de ce dossier en permettant la diffusion des idées nouvelles dans un milieu chrétien dynamique. Nous publions ci-dessous la contribution qui nous a été demandée pour cet ensemble en remerciant les responsables pour leur attention.

(*) Construire ensemble. Pour une foi active et réfléchie. Mensuel publié par Croire-Publications 47, Rue de Clichy 75311 Paris Cédex 09 www.construireensemble.com
Secrétariat de rédaction : Tél 01 45 14 23 75
Débat sur ce dossier avec la rédaction : samedi 24 mars 2007 à 10h
10, rue de Musset. Paris 75016. Contact : 01 46 47 78 38

Le courant de l’Eglise émergente.

Une mutation culturelle.

Le monde se transforme sous nos yeux. Les sociétés occidentales en particulier sont entrées dans une mutation technique, économique et culturelle. Les historiens et les sociologues peuvent nous aider à en comprendre l’étendue lorsqu’ils parlent de post-chrétienté, de post-modernité et d’ultra-modernité. Un porte–à-faux s’est développé entre les manières nouvelles de sentir, de penser et d’agir et les pratiques des églises traditionnelles. Leur déclin, leur manque de pertinence peuvent être attribués pour une bonne part à cet écart . Aujourd’hui le désir de participation s’oppose à la culture du contrôle ; le désir d’expression, de créativité, de mobilité, interpellent les formes rigides, stéréotypées, répétitives ; le développement de l’autonomie appelle en retour initiative, personnalisation, et, en compensation de l’individualisme grandissant, des propositions conviviales répondant à l’immense désir de relation et de socia bilité.

Les Eglises interpellées.

Toutes les Eglises sont interpellées par cette évolution, au premier chef les églises traditionnelles fortement hiérarchisées, mais également les églises plus récentes. Comme le fait remarquer Stuart Murray, un pasteur alliant une double compétence : une expérience pratique dans la création de nouvelles églises en Grande-Bretagne et une solide réflexion théologique, les églises évangéliques et charismatiques sont très dynamiques, mais elles sont aussi confrontées à la mutation culturelle (1). Comme le chercheur français, Sébastien Fath (2), Stuart Murray met en valeur les atouts de ces églises : prise en compte de « l’autonomie croyante », valorisation de l’initiative, créativité dans l’expression de la foi. Mais il y a aussi dans cette culture un héritage du passé. « La spiritualité des églises charismatiques s’inscrit souvent dans un « éthos » qui est mal perçu dans la culture contemporaine (et qui manque aussi de références théologiques). Des structures hiérarchiques d’autorité, des attitudes sexistes, l’activisme et le triomphalisme n’encouragent pas de nombreuses personnes ayant un intérêt spirituel à poursuivre leur quête dans ces églises ». En regard, Stuart Murray suggère quelques orientations majeures à la fois théologiques et pratiques.

Le courant de l’Eglise émergente.

Face au défi du changement, des voies nouvelles sont en voie de s’ouvrir. Auteur d’un livre mobilisateur traduit en français sous le titre : l’Eglise autrement (3), expert en prospective, théologien, Michael Moynagh décrit ainsi plusieurs vagues d’innovations qui se sont succédées depuis le grand tournant des années 60 et 70. Depuis quelques années, un courant nouveau est apparu sous le vocable d’Eglise émergente. Ce terme recouvre une multitude d’expériences. On ne peut demander aux églises classiques, ancrées dans des réalités sociales encore traditionnelles, de changer au delà d’un certain seuil. Par contre, là ou la culture nouvelle se répand, des communautés chrétiennes d’un type nouveau, commencent à apparaître (4).
Moynagh présente une variété d’initiatives et de parcours. Les innovations peuvent germer dans des milieux ou des subcultures spécifiques (églises de jeunes, communautés insérées dans un milieu de travail ou correspondant à des activités de loisirs). Elles peuvent se développer dans des espaces nouveaux (cafés, centres commerciaux, internet). Elles peuvent mettre en œuvre une dimension communautaire, de nouvelles formes de culte.

Un nouvel état d’esprit.

Comme l’affirme Michael Moynagh dans un livre de synthèse : Emergingchurch. intro (5), l’Eglise émergente, c’est, avant tout, un état d’esprit (mindset).
L’Eglise émergente, c’est une vision théologique. Michael Moynagh et Brian Mclaren, un autre pionnier de l’Eglise émergente (6), s’entendent sur la générosité de l’amour de Dieu, créateur et sauveur, qui crée l’Eglise comme une communauté en mission pour sauver le monde et restaurer la création, accueillant ceux qui veulent s’y joindre et recherchant pour tous le bien, la bénédiction, la paix.
L’Eglise émergente, c’est aussi une approche participative. Il y a là une dynamique nouvelle : faire église dans la culture du groupe concerné, une église qui vient d’en bas et non d’en haut. Des chrétiens engagés vont accompagner les gens dans leurs questionnements et dans leurs cheminements, selon une attitude de respect et d’amour « inconditionnel ». Dans beaucoup de ces groupes, une bonne partie des participants évolue vers la foi chrétienne. Les pratiques des églises existantes leur apparaissant étrangères, c’est à eux d’inventer les modes de fonctionnement et les formes d’expression qui leur conviennent. Ainsi naissent des communautés chrétiennes nouvelles qui, à terme, auront tous les traits d’une église locale . Comme l’écrit Michael Moynagh , le nouvel état d’esprit se répand et engendre un processus.
De fait, cette approche nous paraît bien correspondre au paysage religieux que nous décrit la sociologue française, Danièle Hervieu-Léger dans son livre : Le pèlerin et le converti (7). Les cadres religieux traditionnels sont de moins en moins pertinents, mais les aspirations spirituelles sont bien là et suscitent, de la part des intéressés, une recherche pour « valider » leurs croyances, notamment à travers une expression partagée dans de petits groupes. Ainsi, il y a bien en France aussi un terrain propice à une Eglise émergente.

Pour une Eglise émergente en France .

Le courant de l’Eglise émergente se développe à l’échelle internationale. Selon les contextes nationaux, il se développe plus ou moins rapidement en fonction de la force relative des facteurs favorables et des résistances (8). A cet égard, la Grande-Bretagne est un terrain privilégié qui, tout près de nous, nous permet d’accéder à une expérience féconde et concrète (9). En France, on peut observer les prémices d’une Eglise émergente. Ainsi, Evangile et Culture, un groupe de travail de l’Alliance Evangélique (10), et Témoins, association chrétienne interconfessionnelle (11), elle même issue de deux groupes émergents, ont organisé plusieurs rencontres sur ce thème avec des leaders expérimentés comme Stuart Murray, Michael Moynagh, Brian McLaren. La vision de l’Eglise émergente se diffuse dans différents milieux chrétiens. Ce dossier, publié aujourd’hui dans « Construire Ensemble », en est une illustration. C’est un appel à aller plus loin, à expérimenter, à innover .

Jean Hassenforder
Groupe de recherche de Témoins.

(1)Murray (Stuart).Church planting. Laying foundations. Paternoster, 2000
(2)Fath (Sébastien). Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France. 1800-2005. Labor et Fides, 2005.
(3)Moynagh (Michael). L’Eglise autrement. Les voies du changement. Empreinte Temps présent, 2003. (evangile@notreculture.fr)
(4)Ward (Pete). Liquid church. A bold vision of how to be God’s people in worship and mission. A flexible, fluid way of being church. Paternoster, 2002.
(5)Moynagh (Michael). Emergingchurch.intro. Monarch books, 2004.
(6)McLaren (Brian). Generous orthodoxy. Zondervan, 2004.
(7)Hervieu-Léger (Danièle). La religion en mouvement. Le pèlerin et le converti. Flammarion, 1999.
(8)Hassenforder (Jean). Une perspective comparative sur l’Eglise émergente : La Grande-Bretagne en mouvement. La France en attente. Perspectives Missionnaires, 2006/1, p.42-51.
(9)A propos des nouvelles formes d’Eglise. Dossier paru dans : Perspectives Missionnaires. N° 51, 2006/1.
(10)www.evangile-et-culture.org.
(11)Le site Internet de Témoins comprend un espace de recherche ou on trouvera une analyse de la plupart des documents cités dans cet article : www.temoins.com

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