Etienne Comar, le scénariste « Des hommes et des Dieux » dit avoir conçu le projet du film en 2006, à l’occasion du tragique anniversaire, 10 ans, de Tibhirine, pour approfondir un point que les média, polarisés sur la recherche des auteurs du massacre, n’abordaient guère à l’époque : pourquoi les moines, malgré les risques énormes encourus, n’ont-ils pas quitté leur monastère ? Au delà de l’engagement religieux il y a, dit-il, dans leur décision, une dimension éthique, humaine et politique (au sens noble de vie en société) qui rejoint les préoccupations du XXIième siècle. 


La clef judiciaire du drame l’intéressant peu il se contente d’évoquer deux pistes potentielles, l’une pouvant avoir son origine dans le serment d’Hippocrate et les béatitudes enseignées par Jésus que Luc, le moine médecin, respecte en soignant sans distinction tous les malades et blessés qui sollicitent son aide.

 

Le cœur du film c’est le cœur des moines : la quête, non d’une vérité de justice, mais de ce qui anime ces hommes de l’intérieur et fonde leur choix de vie et de mort. Des interviews soulignent leur absence de prosélytisme et le fait que les valeurs qu’ils portent (la fidélité, l’amour) avant d’être chrétiennes sont d’abord humaines. Toutefois, en se voulant au plus près du vécu des moines le scénariste, le cinéaste et les acteurs (invités à partager quelques temps la vie du monastère de Tamier) approchent, me semble t-il, comme peu de films auparavant, la beauté et la force de l’évangile incarné. Il est des scènes qui montrent à quel point, au delà des doutes et de la peur, ces hommes sont plus que tout attachés au Christ. Bien que pour la plupart non croyants les acteurs ont en effet su admirablement traduire l’intériorité et l’expérience spirituelles de leurs personnages. Si la séquence où Christian prie seul dans la chapelle peut sembler légèrement sur-jouée par Lambert Wilson celle, si brève, jouée par Olivier Rabourdin, où Christophe murmure sa joie de sentir la présence de Dieu, m’a véritablement touchée.

 

En 1996, lors du massacre, j’avoue ne pas avoir voulu comprendre pourquoi ces chrétiens s’étaient enracinés en terre ouvertement hostile en simple témoins silencieux de l’évangile, ni pourquoi la montée du terrorisme ne les avait pas incités à quitter prudemment les lieux. A qui, à quoi cela servait-il ? Ce film m’a ouvert les yeux et montré qu’il y a plusieurs façons de rendre compte de l’espérance qui habite les chrétiens. Celle proclamée par le quotidien des moines dans ce film m’a touchée. Elle exprime vraiment, de manière humble et puissante, l’amour divin qui les déborde. Et leur existence, lumineuse quoiqu’obscure, qui sait si, dans le cœur de quelques villageois du Maghreb elle n’a pas, un moment, éclairé d’une façon nouvelle leur image du Christ ?

 

Il y a diverses façons de recevoir une œuvre, de s’identifier ou non aux personnages, d’entrer dans l’histoire ou le thème abordé selon que l’on partage ou non un peu de ce qui y est vécu. L’expérience monastique m’est totalement étrangère mais quelque chose de la relation de ces hommes à Dieu et aux êtres humains m’a rejointe et je remercie le cinéaste, Xavier Beauvois, de la justesse avec laquelle il a voulu et su pénétrer leur intériorité.

Il nous fait d’abord découvrir, dans la splendeur des paysages, leur quotidien, le déroulé de leurs jours simples et limpides : offices nourris de psaumes, étude, travaux domestiques, rencontres avec les villageois et particularité de ce monastère devenu aussi dispensaire grâce aux soins que Luc procurent à tous. Des paroles, des scènes sont saisissantes et inoubliables : la rencontre entre Christian, le prieur, et le chef des terroristes le soir du 24 décembre, leur nomination croisée du Christ : coranique par le chrétien (Sidna Aïssa), biblique par le musulman (Jésus), l’échange de leurs regards et de leur poignée de mains finale, hésitante puis acceptée par Christian. Acceptée au nom de quoi ? De leur commune humanité par delà tout ce qui les sépare ? De la paix qu’offre Noël ?

Il y a aussi le tour de table pour voter le départ ou le maintien de la communauté dans les lieux, le dernier repas où passe sur les visages l’intensité de la joie et de l’effroi prémonitoire.

 

Dans son approche du vécu et du ressenti des moines le film va crescendo vers la montée de la terreur ambiante. On y décèle même quelque pointe d’humour et, face à la menace croissante, l’attitude de ces hommes interroge, bouleverse, fascine. A proprement parlé ils ne marchent pas en martyr puisque nul n’exige d’eux qu’ils renient leur foi. Cependant, tous, parents, amis, autorités politiques, les prient instamment de quitter les lieux pour sauver leur peau. Mais leur vie est plus que leur peau. Elle est le tissu humain qu’ils forment ensemble et avec leurs amis algériens, elle est quelque chose l’indéfinissable que tente d’abord de rejeter Christophe : « Je ne suis pas venu ici pour participer à un suicide collectif », elle est un chemin, étrange à tant de personnes, pris des années auparavant, dont Luc, Michel ou Amédée acceptent sans broncher qu’il puisse les conduire à présent à subir une violence absurde, elle transparait enfin, pour Christian, dans son texte testament que cite le film. ** Voir le texte **

 

 

Le film « Des hommes et des Dieux » ne s’achève pas sur une réponse claire et carrée à la thématique qui en est le fil conducteur. Face au générique de fin il laisse plutôt ouverte au cœur de qui veut la recevoir la grave et naïve question : et moi, où est la source de ma vie ?  

Françoise Rontard

** Lire aussi, sur ce site l’article sur la conception, et les coulisses du tournage, de ce film. **

  « Des hommes et des Dieux » a obtenu au festival de Cannes 2010 le Grand prix du jury et l’on envisage qu’il représente la France aux Oscars.

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