Dieu est un homme politique
Pour une présence chrétienne en démocratie
de Jean-Luc Pouthier

Une politique chrétienne est-elle concevable ? Jean-Luc Pouthier le suggère dans son livre « Dieu est un homme politique » au sous-titre moins provoquant : « Pour une présence chrétienne en démocratie ». Il y avoue en préambule sa nostalgie, mêlée d’admiration, d’un parti de la 4éme République aux valeurs chrétiennes déclarées : le MRP (Mouvement républicain populaire). Mais sa réflexion, assez documentée, s’appuie sur l’étude des textes bibliques et l’histoire politique de l’Eglise.

L’autorité divine peut-elle être en phase avec un gouvernement humain ? Si, pour les peuples de l’antiquité l’autorité impériale ou pharaonique s’enracine dans une « filiation divine », ce qui rend ses décisions égales à celles des dieux, l’Ancien Testament montre que chez les hébreux la royauté s’instaure contre la volonté de Yahvé et que Celui-ci, par la voix de ses prophètes, exerce plutôt un contre-pouvoir en stigmatisant l’injustice et les dérives des rois. Dans les évangiles, Jésus révèle, Lui, le Royaume des cieux et invite avant tout à « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » et plus tard, à cause de cette « filiation divine » de l’empereur, l’Eglise primitive, persécutée pour cela, refusera de le vénérer.

Par contre, quand l’empereur tolère une forme de liberté religieuse, les épîtres de Paul invitent à s’y soumettre. A dater de la conversion de Constantin et de l’émergence de la chrétienté, cette « globalisation européenne » de tous les pays où le christianisme est devenu religion des monarques, on s’interroge sérieusement sur les rapports entre politique et christianisme. Des penseurs (de saint Augustin à saint Thomas d’Aquin ou plus tard Machiavel etc) élaborent des thèses théologico-politiques pour définir les domaines respectifs de compétence du prince et du pape : pouvoir temporel pour l’un, spirituel pour l’autre et les qualités morales (droiture, honnèteté etc) ou politiques (réalisme, idée que la fin justifie les moyens etc) requises pour ces fonctions.
Or, malgré un contexte de prime abord favorable à la conception puis à la mise en oeuvre d’une politique chrétienne, l’histoire de cette longue période monarchique en révèle plutôt les difficultés, voire les impasses.

Est-ce différent en République ? L’Eglise juge d’abord celle-ci contraire au modèle biblique (du Christ roi) et, trop liée à l’ancien régime, tarde à se désolidariser de la monarchie. C’est en 1892 que le pape Léon XIII invite enfin les catholiques français à se rallier à la République. Par la suite nombre d’intellectuels vont débattre longuement des apports et des risques de la démocratie (Maurice Blondel, Emmanuel Mounier, Jacques Maritain etc) et les expériences d’engagements politiques ne seront pas toujours heureuses (cf. le mouvement de Charles Mauras que finira par condamner le Vatican en 1926).
Quoiqu’il en soit, en démocratie, chrétiens et non chrétiens sont appelés à faire entendre leurs voix. Doivent-ils le faire uniquement par l’engagement dans l’action sociale (comme habituellement) et le vote (pour le meilleur ou le moins mauvais des candidats) ou également en constituant un parti politique représentant au plus près leurs valeurs ? Même si la politique oblige à faire souvent le grand écart entre les théories « idéalisantes » et la réalité, il faut savoir mettre les mains dans le cambouis. Et l’auteur de saluer le discernement du MRP, premier à avoir vu venir les régimes totalitaires. Mais comment la parole religieuse se fait-elle parole politique ? Le Vatican demeure réservée face à l’engagement d’un parti car il pourrait être perçu comme l’expression de l’église officielle. Aujourd’hui, s’il prend ouvertement position sur des questions de société, il a dû prendre ses distances avec la démocratie chrétienne italienne depuis les opérations « mains propres »
La solution au dilemme du chrétien face à la politique ne s’avère donc ni simple ni définitive.

Dense et riche d’informations malgré sa taille, moins de 90 pages, l’ouvrage de Jean-Luc Pouthier, s’il n’offre pas véritablement de réponse, éclaire sur l’arrière plan historique de la question et propose de la rouvrir. Il incite à scruter davantage le programme des partis à la recherche des valeurs qui comptent. La réponse reste à inventer et à adapter à chaque contexte historique. Celui de la post-chrétienté hyper sécularisée n’est pas forcément la moins favorable à cette créativité.

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