Aujourd’hui, nous sommes tous frères à Bamako ou la rencontre de deux artistes, Habib Koité et Eric Bibb dans l’album : « Brothers in Bamako », un CD flamboyant et symbolique puisqu’il vient de paraître, tel un clin d’œil à l’espérance, dans la situation encore un peu incertaine que traverse le Mali. Leurs textes chantent et leurs musiques dansent une vie fraternelle. Alors allons à Bamako ! Bamako : une ville africaine qui, peut être, passait inaperçue.

 

La voici aujourd’hui, en ce début de l’année 2013, au centre de l’actualité. L’attention du monde se porte sur le Mali.


Certes, depuis un an, des groupes islamistes avaient conquis une partie du pays. Le fanatisme religieux se répandait en exactions et imposait sa loi. En regard, on voit maintenant le prix de la dignité humaine, du respect de l’homme, de la liberté, de la tolérance. On saisit la valeur concrète de ce qui, dans certains contextes, peut apparaître comme des banalités, voire de grands mots. Les populations de Gao et de Tombouctou, qui ont accueilli dans la liesse les armées françaises et maliennes, ont témoigné, par leur enthousiasme, de l’importance existentielle de ces valeurs. Pour des français, cet événement évoque la mémoire de la libération vécue en 1944.

 

Mais, on le sait, les batailles se gagnent dans les esprits et dans les cœurs. Comment une qualité de vie peut-elle s’exprimer, attirer, mobiliser ? Le Mali est un pays où les artistes sont nombreux et actifs. Quelques mois avant le paroxysme de la crise politique et militaire au Mali, un événement était intervenu dans le registre de la culture. C’était la production commune d’un CD par deux chanteurs musiciens, l’un Malien, l’autre Afro-Américain. Habib Koité et Eric Bibb ont donné à cette expression, une portée symbolique en l’intitulant : « Brothers in Bamako » (1). « Frères à Bamako », ils témoignent ensemble de l’amitié, de la fraternité, de la beauté. A travers ces deux itinéraires, des courants culturels convergent et portent du sens. On trouvera sur internet toute l’information souhaitable concernant les chemins parcourus par Habib Koité et Eric Bibb (2). L’un et l’autre s’enracinent dans un riche héritage culturel. L’un et l’autre ont parcouru et parcourent aujourd’hui le monde. Ainsi, « Brothers in Bamako » témoigne à la fois d’une rencontre authentique, d’une harmonie entre deux courants musicaux, mais aussi d’un véritable universalisme. Nous recevons cet universalisme comme une victoire sur le clinquant et la superficialité d’une société tournée vers le paraître et sur la barbarie engendrée par le fanatisme religieux.

 

Ainsi pouvons-nous lire le descriptif de cet album : « J’ai regardé mes parents et cela a déteint sur moi ». C’est ainsi qu’Habib Koité trace les origines de son métier mais aussi de son talent de griot du XXè siècle. Eric Bibb peut en dire autant, lui qui, non content d’avoir un père chanteur, est le filleul de Paul Robeson. Habib est héritier d’un savoir ancestral utilisé au profit d’une chanson qui le place parmi les voix les plus influentes de l’Afrique contemporaine. Eric s’est imposé dans la nouvelle génération des bluesmen sans pour autant renier les héritages du folk song et du gospel. Quoi de plus naturel alors pour ce Malien et cet Afro-Américain que de faire rimer leurs guitares et leurs voix pour partir dans un blues trans-Atlantique ? Deux chanteurs populaires, deux chanteurs enracinés dans une tradition ancienne et ce qu’elle transmet : un savoir-faire, un répertoire exemplaire, une manière d’utiliser la chanson pour jouer un rôle citoyen. Les deux ont acquis, humblement, le sens d’une chanson qui peut imprégner la société ».

 

Dans ce descriptif, Etienne Bours nous raconte également comment Habib et Eric se sont rencontrés voici une dizaine d’années. Ils ont sympathisé. Ils sont restés en relation. L’amitié était là. Peu à peu, se revoir devint d’abord un rêve, puis un projet. Et récemment, les deux chanteurs se sont rencontrés. « Ils se sont assis, face à face, guitares en main pour aborder le répertoire possible ». Ensemble, ils ont produit cet album. « C’est sans directive précise que s’élabore alors le répertoire commun. Les langues se délient au rythme des guitares et c’est avec un naturel évident que le chemin se trace. Habib regarde et chante l’Afrique, mais une Afrique affectée, transformée peut-être par le reste du monde. Eric est sensible à cette démarche dans laquelle il se retrouve ». Sensible aux aspirations sociales, il reprend une chanson de Bob Dylan des années 60 :

 « Blowin’ in the wind ». « Cette chanson mérite d’être chantée par un Africain et un Afro-Américain qu’aucun vent ne sépare ». « Tous deux regardent l’être humain dans un miroir : l’homme qui a l’habitude de se servir en premier en se moquant des conséquences, mais aussi l’homme inquiet qui a besoin de temps, de lumière, de foi, de solidarité, de respect. Puis les guitares partent ici ou là dans des évocations poétique et très personnelles d’airs anciens et immortels »

 

Eric Bibb et Habib Koité nous prouvent, avec beaucoup de talent, que la chanson la plus simple est souvent la plus efficace et que chanter comme ils le font est une nécessité universelle. « Nous avons besoin de ce type de rencontre par delà les frontières, les modes, les dictats économiques, conclut Etienne Bours, parce que cette chanson est vivante, franche et profondément humaine ».

 

En naviguant dans l’univers des médias, sans être expert dans le champ musical, on apprend et on fait des découvertes. Et ainsi, de fil en aiguille, nous avons rencontré cet album avant que l’actualité mette le Mali sur le devant de la scène. Dans la conjoncture récente, cet album a pris toute sa dimension : non seulement un événement artistique dans les retrouvailles de deux « songwriters » aux univers complémentaires : le blues de Memphis et le folk mandingue de Bamako, mais aussi un événement spirituel : une affirmation conjuguée du Bien et du Beau, l’expression d’une amitié et d’une harmonie, le plaisir joyeux d’être ensemble, un message de fraternité.

Aujourd’hui, rétrospectivement, dans la foulée de la libération de Gao et de Tombouctou, nous pouvons voir aussi dans cet événement, une portée politique. Un moment dans l’histoire, un président américain 

(JFK), face à une menace d’invasion, avait proclamé sa solidarité avec les habitants de Berlin en proclamant : « Nous sommes tous des berlinois ». Nous savons bien que chaque situation est complexe. Les divisions et les fragilités qui existent à l’intérieur du Mali sont connues. Mais, selon le fil conducteur que nous venons de suivre, dans la reconnaissance des grandes valeurs africaines que sont l’hospitalité et la solidarité et dans la conscience de ce qui nous élève et nous unit face à la barbarie, nous pouvons dire, nous voulons dire, comme une affirmation universaliste : « Nous sommes tous frères à Bamako ! ».

 

         Jean Hassenforder

Le présent texte est partagé par le blog: "Vivre et espérer" : ** Voir le blog **

 

(1) Brothers in Bamako. Habib Koitè. Eric Bibb. Dixiefrog. ** Ecouter l’album ** .

Présentation ** Voir Eric Bibb **  et ** Voir Habib Koité ** sur wikipedia. 

 

 

 

 

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