« Aimer sans dévorer », c’est le titre du dernier ouvrage de Lytta Basset (1), c’était le thème d’une session, qu’elle a animée en février 2009 à Fondacio ** Voir le site ** , et à laquelle nous avons assisté.

Est-il encore besoin de présenter Lytta Basset ? Je reprendrai une des nombreuses présentations éditées : « Philosophe et théologienne protestante, professeure à  l’Université de Neuchâtel en Suisse (2), Lytta Basset est fascinée par la personne du Christ : en lui, le mal injustement souffert est entendu sans aucun esprit de jugement et la vie (re)devient possible. »
Au-delà de ces mots, j’ai été frappée par la personne, et voilà les mots qui me viennent quand je pense au contact qu’elle a eu avec nous : simplicité, vérité, synthèse de connaissances humaines et théologiques mises généreusement à notre disposition, foi incarnée.

Je n’ai pas l’intention, ici, de reprendre ses enseignements, qui nous ont entraînés dans un parcours progressif jusqu’à toucher du doigt ce que peut être « l’agapè », et ce qui en nous lui fait obstacle. Mais revenir sur ce qui a fait écho en moi, ou en l’un ou l’autre des 150 participants qui s’est exprimé au cours du week-end.
Tant pis si cela peut paraître un peu pauvre et décousu, le livre de Lytta remet de l’ordre et tellement de matière dans tout cela !

Comment accéder à un amour viable ? Comment apprendre à aimer sans dévorer, à se laisser aimer sans crainte d’être dévoré ? Comment sortir du cœur de pierre, cet état d’anesthésie des sentiments ? Ou de l’overdose d’amour, l’amour envahissant de « l’agresseur dévoué » ? Comment trouver un chemin vers l’amour d’amitié, qui nous ouvre à l’amour inconditionnel ?

Une première idée force : je ne suis ni la source (l’alpha), ni l’aboutissement (l’oméga) de l’Amour. Seulement un canal de l’Amour qui me traverse, que je le sente ou pas. Ma responsabilité n’est pas d’aimer, ni d’avoir des sentiments pour l’autre, encore moins de m’obliger à aimer. Je n’ai pas à me culpabiliser de ne pas avoir assez aimé. En revanche, ma responsabilité est de désencombrer le canal de tout ce qui empêche l’Amour de circuler librement : mes blessures d’enfance, dont celle de ne pas avoir été cru,  ou bien la faute d’autrui que je porte à mon insu, ou encore mes images d’Epinal d’un amour idéalisé,…

L’agapè auquel Jésus nous appelle, nous est inaccessible par nos propres forces. Personne ne le mérite. Dieu en est la source.
Don et accueil de l’Amour : même mouvement.

Au fond de chaque être humain, tout au-dedans de lui, il y a un espace où Dieu réside, espace totalement inviolable, qui échappe à tout jugement, toute agression, qui garantit sa dignité d’enfant de Dieu, quoi qu’il fasse, quoi qu’il subisse. C’est ce que nous dit Osée (chapitre 11 verset 9) « au milieu de toi /en tes entrailles je suis Saint / Autre ». Quelle espérance ! Alors retentit la promesse : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta force, et tu aimeras ton prochain comme toi même ». Dieu nous promet que cet Amour là nous traversera.

Mais en attendant, l’amour ne va pas de soi. Désencombrer le canal passe par tout un processus de différentiation, de reconnaissance que l’autre est autre, qu’il ne peut combler mes manques, ma solitude. Que j’aurai à accueillir sa pauvreté, comme j’accueille la mienne, son incapacité à aimer.

« Que j’aurai à… » ? Je n’éviterai pas la colère, peut être même la violence, la haine. Il y a une violence dans ce processus de renoncement, de détachement de l’autre, comme une violence d’accouchement.
Mais cette haine est féconde, si elle est présentée à Dieu, telle qu’elle est, car Il l’accueille. N’a-t-il pas accueilli celle de Job ? Et Sa Parole viendra éclairer, restaurer, apaiser, fortifier. Renoncer à la haine en la remettant à Dieu, c’est finalement renoncer à une toute puissance, qui empêche le Souffle de circuler.

Alors « aimer vos ennemis » prend sens. Il ne s’agit pas de mettre un couvercle sur le mal qui m’a été fait, de faire comme si… et dans un grand élan de morale chrétienne, appeler « frère » ou « sœur » l’auteur de ma blessure.
Il s’agit d’être vrai, de nommer le mal qui m’a été fait, de faire reproche, au bon temps, à l’ennemi que j’ose identifier, même (et surtout) s’il est mon tout proche. Et c’est une condition pour que le terrain de la relation ne soit pas abandonné au diviseur. Et que l’amour puisse circuler.

Et pour conclure avec les mots de certains participants :
–    « il y a un temps pour tout, pour aimer, pour haïr, pour lier, pour délier, … et pour Vivre »,
–    « décongeler les cœurs de pierre, déboucher les tuyaux, délier, et s’assurer que Dieu seul est la source »,
–    « prendre soin de moi pour aider l’autre. Me demander ce que je fais pour me faire du bien ».

Marie-Thérèse Plaine

(1)    « Aimer sans dévorer » de Lytta Basset est publié chez Albin Michel
(2)    Lytta Basset est aussi Directrice de “La Chair et le Souffle”, revue internationale de théologie et de spiritualité   ** Voir le site  **

Share This