J’ai repris la lecture d’un livre acheté au Musée du Désert, dans les Cévennes, en 2008, ce musée retraçant l’histoire des premiers protestants : Mémoires d’un galérien du Roi Soleil, par Jean Marteilhe.

En 1700, un jeune homme de 17 ans, de Bergerac en Dordogne, décide de fuir les dragonnades avec un ami de son âge, et de quitter le royaume de France. Il est de la « religion prétendue réformée » (RPF), protestant donc.

En ce temps, le roi louis XIV a décidé de convertir de force ces hérétiques à la vraie religion, la catholique. Tous les moyens sont bons, y compris ces dragonnades qui autorisaient les dragons du roi à s’installer dans les familles, piller, voler, violer, tuer en toute impunité, jusqu’à la reddition du maître des lieux qui adjurait ou mourait. Les femmes étaient enfermées, souvent à vie, les enfants arrachés à leur famille, placés en orphelinat, pour « éradiquer le mal ».

Les tenants de cette nouvelle religion avaient réclamé auparavant la réforme du catholicisme, à l’époque critiquable avec l’achat des indulgences et autres trafics d’argent. En réponse à cette démarche, le Pape avait excommunié l’un de ses leaders, le moine allemand Martin Luther. Nous sommes au 16eme siècle.

Malgré cela, la nouvelle religion qui émerge donc, se répand avec son retour à la lecture de la Bible, et au dialogue direct avec Dieu, sans intermédiaire. Elle a gagné les élites qui quittent donc le pays en nombre, suite aux persécutions plus ou moins ouvertes, selon les époques. Elle s’est répandue aussi dans les classes populaires. Chacun se met à lire la Bible quotidiennement dans le texte, enfin accessible, imprimé, et traduit du latin en français ; on la médite et on prie en famille, s’instruisant mutuellement, y compris dans les campagnes, parmi les paysans illettrés jusqu’alors. Un million de Réformés en 1660 ; une bonne part a fui auparavant, accueillie par ses frères dans les pays limitrophes, jusqu’en Angleterre et au Canada ; bien accueillie donc.

En effet, ces réfugiés y apportaient leur savoir, leur culture, leurs qualités commerciales, leurs compétences artisanales ou maritimes.

Alerté sur le danger d’une hémorragie démographique, le roi Louis interdit donc brusquement à son peuple de quitter le royaume sans son autorisation, parallèlement aux persécutions.

Et c’est alors que Jean Marteilhe, qui nous en fait le récit 40 ans plus tard, est arrêté à la frontière des Ardennes. De prison en prison, il est envoyé aux galères avec son ami, d’abord à Dunkerque, puis à Marseille.

Ce récit est impressionnant de sobriété, de retenue, de courage et d’intelligence. Il a 17 ans et affronte toutes les épreuves, particulièrement ses juges, avec un sang-froid et une assurance qui donne à réfléchir…

A demi-mots, dans le langage fleuri de l’époque, et sans complaisance pour lui-même qu’il ne met pas en scène, on assiste à ses échanges avec les aumôniers chargés de le convertir. On comprend qu’ils peuvent être très enrichissants selon la qualité de l’interlocuteur, lequel peut pencher peu à peu vers la tolérance et l’estime, voire l’adhésion implicite. Les amitiés s’expriment sans fard.

Mais avec d’autres aumôniers sans argument (sans culture biblique), on devine que le dialogue tourne court, et peut donner lieu à des réactions très négatives. Pour y échapper, ces jeunes ont toujours la possibilité de rentrer dans le giron catholique, ce qu’a fait un certain nombre de protestants pour survivre, mais qu’ils se refuseront à faire. Ils seront délivrés après 12 ans de galère, sur intervention de la reine d’ngleterre. Certains d’entre eux y auront passé 30 ans, et dans quelles conditions !

Le narrateur relève cependant en toute fin que malgré tout, les réformés étaient respectés partout où ils se trouvaient, quoique enchaînés avec les petits et grands criminels, les déserteurs et vagabonds, et bien qu’ils aient été autant frappés que les autres, par des gardiens éduqués à la cruauté dès leur jeune âge.

On découvre dans ce récit que les communautés protestantes, hors frontières, et communautés françaises « souterraines », se cotisent pour leur faire passer secrètement de l’argent, ce qui leur permettra de ne pas mourir de faim, les rations étant très insuffisantes, ou ne pas mourir de froid sous leur seule cape sous les étoiles. La solidarité pour les accueillir après, est extraordinaire aussi : il semble que la générosité soit très différente de la nôtre. Encore une fois, quand ils en échappent, on leur permet de s’établir, avec des terres, de l’argent, etc.

A travers ces récits, on voit vivre une époque: comment la population se déplace, se nourrit, se loge, se soutient. Et les notes complémentaires en fin de narration donnent un aperçu détaillé sur le mode de vie en galère, et de la dureté inimaginable qui s’exerçait sur ces vauriens, condamnés quelquefois pour trois fois rien. Ce texte a peut-être inspiré le personnage de Jean Valjean, dans les Misérables de Victor Hugo, écrit plus tard : on y retrouve l’ambiance. Jean Marteilhe fait aussi une analyse étayée sur l’utilité des galères, et conclut qu’elles représentent une dépense somptuaire (le personnel de surveillance est nombreux et coûteux) pour le seul prestige du Roi.

On se frotte là à l’humanité sans fard, y compris celle des officiers, et l’acuité des analyses de notre narrateur est vraiment sympathique: il ne subit pas seulement, il observe, il analyse, avec un certain recul. On retourne aux racines du protestantisme huguenot, fondations que l’on voit fortes et bien construites : on résiste à l’oppresseur quoi qu’il arrive, avec intelligence.

Et si ces temps sont bien oubliés aujourd’hui, heureusement, ces hommes maintenaient le cap, en profondeur et en authenticité sans céder à toutes sortes de pression, avec une force morale et une conviction réconfortante. Il n’y avait ni mollesse, ni tiédeur (même chez ceux qui avaient fini par adjurer en apparence, sous la contrainte), Leur rejet de certaines doctrines était viscéral, avec la fougue de la jeunesse sans doute. Ce jeune exprime quelquefois un dégoût pour ce qu’on veut lui faire dire ou croire qui me rappelle certain proche en pleine maturité du 20ème siècle (mon père).

Dans notre contexte de paix, de tolérance et de fraternité chrétienne, ces valeurs sont-elles toujours aussi prégnantes, aussi vivantes par la foi, pour suivre Jésus, y compris dans certaine forme de persécution ? A-t-on progressé ? En tolérance et en ouverture, oui, en courage et en détermination, je l’espère.

Diane de Souza

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