Prêcher la miséricorde
Le 25 janvier 2025, dans la cathédrale de Washington, les personnalités se pressaient pour participer à un culte de bénédiction à l’intention du nouveau président élu des Etats-Unis, Donald Tromp ; Et le déroulement de cette célébration étant télévisé, il nous parvenait en direct et il a ensuite été abondamment reproduit. La plupart d’entre nous ont donc pu assister à un épisode qui a marqué l’opinion. L’évêque anglicane (épiscopalienne) de Washington, Mariann Edgar Budde, qui assurait la prédication, a osé, un moment, évoquer la peine des groupes humains menacés par l’attitude répressive prévue à leur encontre par le nouveau pouvoir : les immigrés et les LGBT. Au nom de l’amour du Christ, elle a osé implorer la miséricorde pour ces vies menacées. Quelque douce qu’en ait pu être la forme, cette interpellation a provoqué l’irritation et la colère du nouveau président.
Fidèle à l’Évangile
Mariann Edgar Budde est une femme courageuse. Quelques années plus tôt, alors qu’une grande protestation se déployait après l’assassinat, par un policier, de l’afro-américain Georges Floyd, celle-ci se heurta à une répression, sous l’égide du président de l’époque, déjà Donald Trump. Le 1er juin 2020, celui-ci prétendit cautionner l’ordre étable au nom de la Bible en brandissant celle-ci devant l’église Saint Jean. Il revint à l’évêque Mariann Budde de dénoncer cette usurpation de la Bible par le pouvoir établi.
Apprendre le courage.
A la suite de cette expérience, Mariann Budde écrivit un livre : ‘Apprendre le courage’ (1), une réflexion appuyée sur les Écritures et sur des témoignages. Ce livre a été traduit en français, cette année 2025, à la suite de cette nouvelle manifestation de courage que fut la prédication de Mariann Budde pour une culture évangélique du respect, alors qu’elle était confrontée à un président se voulant tout puissant. Ce livre a été bien accueilli en France comme en témoigne son interview sur France-Inter (2) et un commentaire sur Campus protestant (3).
Les moments décisifs
Dans ces confrontations marquantes avec le pouvoir, Mariann Budde a vécu ce qu’elle appelle ‘des moments décisifs’. Elle est habilitée à nous en parler. « La plupart de ces moments sont personnels, certains sont privés. Néanmoins, tous modèlent nos vies, faisant de nous les personnes que nous sommes et que Dieu nous appelle à devenir. Ces moments décisifs impliquent un choix conscient. Ils gravent en nous leur importance quand nous sommes en train de les vivre parce que nous savons que ce que nous choisissons entraine des conséquences potentielles. Dans un tel instant… nous estimons avoir le pouvoir d’agir… Nous jetons toutes nos forces dans la bataille. Nous sommes maîtres et cocréateurs avec Dieu de notre destin. Car, comme le mot le suggère, dans un moment décisif, nous décidons ».
Dans ce livre ‘Apprendre le courage’, Mariann Budde explore tout un spectre de moments décisifs qu’on peut rencontrer dans sa vie, afin de mieux saisir leur importance, d’en tirer des leçons et de comprendre comment s’inspirer de leur lumière pour vivre. « En tant que croyante, c’est Dieu que je vois à l’œuvre en ces moments comme dans tous ceux qui les précèdent ou qui le suivent. En prenant des exemples dans ma vie personnelle, dans les Écritures, dans l’histoire, dans la culture, j’espère souligner à la fois l’universalité de ces expériences et l’appel particulier auquel chacun de nous doit répondre quand notre moment décisif advient » (p 21-22).
Ces ‘moments décisifs’ ne sont extraordinaires que dans la mesure où ils inscrivent dans la continuité d’un ordinaire. « Le courage d’être brave lorsque cela compte vraiment requiert une vie de petites décisions dont chacune nous fait avancer sur le chemin de la connaissance de soi, de l’attention, de l’acceptation du risque d’échouer en défendant ce que nous croyons juste. C’est aussi une expérience profondément spirituelle, à travers laquelle nous sentons que nous faisons partie de quelque chose de plus grand. Et que, d’une façon ou d’une autre, nous sommes guidés par un Esprit plus vaste à l’œuvre dans le monde et en nous » (p 22).
Les grandes décisions
Dans son introduction, Mariann Budde présente aussi les étapes du livre. « Le premier chapitre aborde ce qu’on peut considérer comme le moment le plus dramatique et notoire, celui où on décide de partir, de quitter un endroit ou une manière d’être soi-même pour aller autre part. C’est l’étoffe d’un voyage héroïque et de la différenciation de soi. Le chapitre deux explore l’expérience opposée, le moment beaucoup plus discret où l’on décide de rester et où l’on choisit d’approfondir les engagements pris. Le troisième chapitre se focalise sur le moment où l’on décide de commencer un long processus ou un parcours vers un idéal qui mettra des années à aboutir. Dans le chapitre quatre, je me tourne vers les moments décisifs nés d’une souffrance lorsqu’on décide d’accepter ce que l’on n’a pas choisi et qu’on fait l’expérience d’une transformation personnelle à travers un amour sacrificiel. Le chapitre cinq explore les moments qui adviennent inopinément, sous la forme d’une occasion ou d’un défi que l’on décide de relever, que l’on se sente prêts ou pas. Les chapitres six et sept traitent du contexte émotionnel qui entoure ces moments décisifs : l’inévitable désillusion qui suit et l’importance de la persévérance. De fait, sans persévérance, nos moments décisifs n’auraient guère le pouvoir de transformer les choses » (p 23-24).
Décider de partir
‘Décider de partir’, tel est le titre du premier chapitre du livre.
La manière dont ce chapitre est rédigé est aussi celle qui prévaut dans ce livre. La citation de départ est emblématique : « L’Eternel dit à Abram : Va-t’en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père dans le pays que je te montrerai » (Genèse 12.1).
On retrouvera cette inspiration biblique au cours du chapitre. Mariann Budde commence par un témoignage personnel. Le contexte est celui d’une famille recomposée. Mariann a suivi son père divorcé dans le Colorado. Mais la vie de sa nouvelle famille est peu propice. Mariann compense cette situation par sa participation à un milieu de jeunes où elle trouve une satisfaction affective. Cependant, lorsque son groupe familial éclate, dans sa toute première jeunesse, elle décide de partir rejoindre sa mère dans le New-jersey, la condition de cette dernière s’étant améliorée. Ce fut une décision qui n’allait pas de soi, car elle était attachée au milieu de vie qu’elle avait développé. C’était partir vers un inconnu. Cependant, rétrospectivement, Mariann pense aujourd’hui que cette décision fut fondatrice et libératoire. Sa vie spirituelle elle-même en a profité, car ayant pris conscience de l’étroitesse d’une pratique d’église, elle s’est retrouvée à l’aise dans l’ouverture de l’église épiscopalienne de son enfance.
Aujourd’hui, avec le recul, Mariann Budde peut reconnaitre l’importance fondatrice de sa décision. « Cela fait plus de quarante ans que je suis monté dans cet avion au Colorado. De bien des façons, je suis devenu ce que je suis aujourd’hui en grande partie parce que j’ai su trouver en moi – ou peut-être me l’a-t-on donné – le courage de partir. M’en aller m’a permis de profiter de la stabilité d’un parent aimant, d’explorer et d’approfondir une vie dans la foi au sein d’un christianisme généreux et expressif, et de me frayer un chemin dans le monde en trébuchant au fil de ma progression, mais forte de l’expérience marquante de ce que j’avais ressenti en faisant confiance aux injonctions de mon âme » (p 34).
Mariann Budde rapporte ensuite qu’en 2020, « elle fut invitée à participer à une table ronde interconfessionnelle en ligne pour parler avec Bruce Feiler de son dernier livre ‘Life is in the transitions. Mastering change at any age’. La thèse de Feiler est simple : dans la vie, les transitions ne sont pas aussi linéaires et prévisibles qu’elles sont souvent décrites. Elles surviennent souvent quand nous nous y attendons le moins… Ce qu’il nomme ‘un séisme existentiel’ est une transition d’une telle magnitude qu’elle modifie en substance le sens de ce que nous faisons, notre objectif ou notre cap… Au moment de conclure, Feiler a demandé à chacun d’évoquer un séisme émotionnel tiré de son passé… » (p 35-36). Mariann a accepté de s’exprimer : « J’ai pris une grande inspiration et je me suis lancée la première, relatant comment, à dix-sept ans, je m’étais sentie appelée à quitter une vie que j’adorais » (p 36).
D’autres participants suivirent dans la même veine. Un iman et un rabbin participérent à cette table ronde en faisant également part de leurs expériences. Cette présence a amené Mariann Budde à évoquer une figure commune aux trois religions monothéistes, la juive, la chrétienne, la musulmane, celle d’Abraham. « Tous ensemble, nous représentions les trois religions mondiales qui déclarent qu’Abraham, un chef de tribu nomade de l’antiquité, est leur ancêtre spirituel. Il y a plus de quatre mille ans, Abraham a entendu une voix intérieure qui lui enjoignait de quitter son foyer et d’aller s’installer dans une nouvelle terre. Là, il deviendrait le père d’une nation. Son destin est tellement au cœur du judaïsme, du christianisme et de l’Islam qu’on les appelle les religions abrahamiques… Au chapitre 12 de la Genèse, le récit se concentre brusquement sur un couple : Abraham et Sarah dont le voyage marque la naissance d’un nouveau peuple appelé et choisi par Dieu… » (p 38-39).
Le chapitre se poursuit par l’évocation du travail de Joseph Campbell universitaire spécialisé en religion comparée, qui a popularisé l’expression ‘Voyage du héros’. « Cette expression n’est pas réservée à de rares élus. ‘Les héros ont mille et un visages’, écrit-il ». « Décider de partir est le premier pas du voyage de héros » nous dit Mariann » (p 41). Le chapitre se poursuit avec des histoires de vie comme celle de Howard Thurman, pasteur et éducateur afro-américain.
Mariann Budde sait ce qu’est vivre un moment décisif. « Pour la première fois, c’était à 17 ans. Je peux compter sur les doigts de la main, les occasions où je l’ai ressentie. Grâce à l’empreinte psychologique de cette expérience initiale, soutenue par les exemples de courage trouvés dans les Ecritures, l’histoire et la littérature, ainsi que dans les vies des personnes que j’ai rencontrées. Quand le voyage héroïque se manifeste, je le reconnais et je sais ce qu’il faut faire. Je crois que nous le savons tous » (p 50).
Une vie engagée
Ce livre sur le courage témoigne de la vie engagée de son auteure. Il inscrit le courage dans le déroulement d’une existence à travers la ponctuation de moments décisifs. Mariann Budde nous apprend à reconnaitre ces moments et à en prendre conscience. Ce livre se fonde sur de nombreux exemples personnels au premier rang duquel le témoignage de l’auteure. Notons qu’en second, ces récits de vie nous apprennent également beaucoup sur la culture américaine et sur le mode de vie et de fonctionnement de l’église épiscopalienne où elle joue aujourd’hui un rôle éminent. La réflexion de Mariann Budde et également profondément inspirée par sa connaissance des Écritures et le sens qu’elle retire de sa méditation sur les épisodes bibliques. Dans un temps troublé comme le nôtre, le courage est une vertu particulièrement appréciable.
Mariann Budde nous apprend que ce courage ne se manifeste pas seulement dans des épisodes spectaculaires, il se nourrit et s’exerce au quotidien : « J’ai écrit ce livre pour rendre hommage à la profondeur et à l’ampleur qui caractérisent le courage dans les décisifs, lorsque nous sommes appelés à débuter, à aller de par le monde et à nous lever devant les gens ou à rester en place et à persévérer. Tout cela demande de la bravoure. Comme l’écrit David Whire, ‘Le courage est la mesure de notre implication dans la vie, envers une autre personne ou une communauté, dans un emploi, pour un avenir. Ete courageux, ce n’est pas nécessairement aller quelque part ou faire quelque chose, mais rendre conscientes ces choses que nous ressentons déjà au fond de nous, puis vivre avec les interminables faiblesses qui en découlent. Etre courageux, c’est rester proche de ce qui fait de nous ce que nous sommes’ ». Au terme de ce livre où le courage a été évoqué dans sa manifestation lors des moments décisifs de la vie, Mariann Budde prie pour que « par la grâce, nous ayons tous l’audace de nous appuyer sur la sagesse, la force, le pouvoir et la grâce qui nous sont accordés chaque fois que nous vivons un moment décisif. »
Jean Hassenforder
- Mariann Edgar Budde. Apprendre le courage. Les moments décisifs de la vie et de la foi. Flammarion, 2025
- Interview de Mariann Edgar Budde sur France Inter : https://www.youtube.com/watch?v=xdc5IrSDGHs
- Apprendre le courage. Campus protestant : https://www.youtube.com/watch?v=S28VlgtSyxE