Lorsque, sur un sentier de montagne, on rencontre un éboulement de pierres, on est tout désorienté. A partir de cette expérience, Henri Bacher invite les chrétiens à s’interroger sur les changements profonds de la société et de la culture et il nous introduit dans son expérience de cultes expérimentaux.

 

L’église sur un pierrier

La majorité d’entre nous a sûrement eu l’occasion de se promener en montagne, sur un sentier bien balisé, nettoyé des pierres encombrantes ou des branches tombées durant l’orage. Il nous est arrivé aussi, de temps en temps, de tomber sur un pierrier. Un pan de montagne qui a glissé vers le bas de la pente emportant avec lui le sentier. Les panneaux de signalisation se retrouvent une centaine de mètres plus bas et à l’envers.
Le groupe de promeneurs, qui auparavant suivait tranquillement les premiers sans se soucier de la direction à prendre, ni des obstacles à contourner ou à éviter, se trouve tout à coup stoppé. L’insouciance de la ballade fait place à l’incertitude. Comment traverser le pierrier? Surtout s’il s’est constitué récemment. Certains proposent de rebrousser chemin jusqu’à la bifurcation précédente. D’autres, surtout ceux qui étaient tout près du but et du gîte en montagne, sont désespérés. Plusieurs téméraires proposent de tenter la traversée et voilà le groupe dans une nouvelle progression bien différente de la précédente.

Le terrain a été raviné de l’intérieur

Aujourd’hui l’église se trouve devant ou sur un pierrier. Le scandale de l’esclavage, les colonisations, deux guerres mondiales, la Shoa et j’en passe ont raviné le sous-sol de la culture occidentale et une partie de notre "montagne" socio-culturelle et spirituelle se retrouve dans le ravin. Ce ne sont pas les immigrés, les jeunes des banlieues, la délinquance qui en sont la cause, mais bien au contraire nos aînés. Nous avons sous-estimé les dégâts qu’ont laissés durablement nos parents et grands-parents et que nous laisserons sûrement à nos descendants. Le terrain a été raviné de l’intérieur et il a cédé en surface.

La danse du pierrier

Mais inutile de se lamenter sur ce constat. Nous sommes dans le pierrier! Comment aller plus loin et spécialement pour nous les chrétiens. Certains responsables d’église continuent comme auparavant, avec un discours appris sur les bancs de leur faculté ou institut biblique. Ils professent une vue "idéale" de la marche chrétienne, sans voir que les gens devant eux ont déjà glissé sur le pierrier, sans que personne ne les rattrape. Que veut dire confiance en Dieu pour une personne qui meurt de trouille à l’idée de finir dans le ravin? Certains ont rebroussé sur le chemin de l’orthodoxie, du sentier bien nettoyé qu’ils ont connu auparavant, sans se rendre compte qu’ils marchent à l’envers de l’histoire. Il y a ceux qui veulent absolument traverser l’obstacle, surtout que le soir approche. Ils sont pressés, mais oublient de délester les marcheurs de leur barda inutile qui ralentit la marche ou qui carrément représente un obstacle supplémentaire. C’est la génération des "go, go!", des performeurs, des surfeurs d’existence. Ces nouveaux pasteurs qui font la fête sur le pierrier prédisant des lendemains qui chantent. Ce sont ces musiciens qui "louent" Dieu et dansent sur une pente glissante. Loin de moi de croire que le chant est inutile dans les temps de difficultés. Les « negro spirituals » sont un exemple percutant. Mais ces grands rassemblements musicaux plus liés à « l’entertainment », aident-ils mieux à traverser le pierrier? Petit bémol dans cette argumentation: j’écris cet article avec des écouteurs collés sur les oreilles. Comme quoi…

Parabole du pierrier dans le cadre d’un culte

La question suivante, c’est comment faire passer ce message à la communauté sans se cantonner dans un discours académique? Nous l’avons expérimenté d’une manière simple, lors d’un culte.

Première partie et mise en scène: la porte d’entrée de l’église a été bloquée par un monticule de pierres ramassées dans les champs. J’en ai encore un tour de rein aujourd’hui!  Les participants au culte ouvrent la porte et se retrouvent à devoir passer un "pierrier" instable et casse-gueule. Une ou deux personnes donnent un coup de main pour aider dans la traversée.

Deuxième temps: les personnes s’assoient autour d’une table, prennent un café et un croissant. La discussion est ouverte par un des animateurs du culte. Sur chaque table il y a un questionnaire. Quelles ont été vos réactions, en arrivant ce matin? Que s’est-il passé, lors de ce passage hasardeux, etc…? L’animateur donne une conclusion où il reprend l’argumentaire du début de l’article.

Troisième partie: c’est le temps cultuel; Moment de louange, St Cène et mini-prédication axée sur la notion d’aimer son prochain (croyant). Sur le passage du pierrier il faut développer d’autres comportements que sur le sentier nettoyé de tout obstacle. Il faut surtout mettre en route l’amour-action et non l’amour-sentiment : s’aider mutuellement à passer le pierrier de l’existence.

Des cultes expérimentaux

Ce type de culte est le sixième dans notre communauté. Au début on les a appelés "cultes expérimentaux", actuellement, ils se nomment cultes "Take Away". Histoire de sacrifier à la norme évangélique qui veut que l’anglais soit plus "spirituel" que nos expressions franchouillardes.

En général, dans les communautés évangéliques classiques ou les églises réformées, l’accent a été mis sur le chant, grand générateur d’émotion. Le reste est resté dans le moule du raisonnable, de l’analytique, du systématique, liturgie et prédication comprise.

Par exemple avec ce sixième culte, nous avons voulu travailler la participation du public, l’impliquer dans la réflexion. Dans un autre culte nous lui avons fait explorer un texte biblique avec du sable, de la peinture à doigt, du tissu, des ficelles ou du scotch de carrossier. ** Retrouver trois extraits filmés des premiers cultes **

Travailler avec l’émotion ne signifie pas mettre les neurones en mode veille, mais c’est mettre en route des "technologies" de l’intelligence qui font appel à notre cerveau droit.

Perspectives et limites de ces cultes

Ils sont en premier lieu destinés aux personnes qui s’ennuient dans les cultes classiques où l’on privilégie le cerveau gauche au détriment du cerveau droit. Ces cultes ont fait revenir des personnes qui s’étaient éloignées ou qui étaient des "intermittents" et qui venaient de sept en quatorze. Mais il y a aussi eu des réactions très dures et certains nous ont signifié qu’ils ne viendraient plus lorsque ce genre d’activité serait proposé. Ils sont sur un "pierrier" et en plus on leur propose un culte déjanté qui ne ressemble plus à ce qu’ils connaissaient auparavant. A l’incertitude ambiante on rajoute encore de l’insécurité liturgique et on envoie le croyant dans le ravin, sous prétexte de vouloir rejoindre les gens d’aujourd’hui.

En guise de conclusion, je dirais que ce type de cultes est intéressant pour faire évoluer des mentalités, mais ne pensez pas renouveler la communauté à partir de cette activité. Faites quelque chose en parallèle. Vous aurez vraiment beaucoup plus de liberté. Ne cherchez pas à ramener ces nouveaux paroissiens dans le culte dominical classique, mais créez des liens organiques entre les deux expériences cultuelles qui ne soient pas d’ordre liturgique.

Henri Bacher
** Voir le site www.logoscom.org
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