Interview de Guy AurencheInterview de Guy Aurenche

Guy Aurenche a présidé l’ACAT, puis le CCFD-Terre Solidaire. A plusieurs reprises, nous avons publié quelques uns de ses articles sur le site de Témoins . Guy vient de publier un livre aux éditions Temps Présent ( Paris 2018) : « Droits humains. N’oublions pas notre idéal commun. La déclaration universelle des droits de l’homme a 70 ans ».  Nous lui avons posé quelques questions à ce sujet.

Comment s’est développée l’idée que l’homme avait des droits ?
Quelles valeurs ont fondé le respect de ces droits ?

GA/ Diverses civilisations très anciennes ont écrit des textes (code d’Hammourabi ; cylindre de Cyrus ; Décalogue de la Bible ; textes chinois ou égyptiens…) qui montrent que leurs auteurs souhaitaient organiser « la vie commune ». L’idée d’une règle s’impose : elle prévoit des obligations, des interdits ou des autorisations, des conseils ou des ordres … pour permettre la coexistence. Ainsi à côté de l’idée d’obligations apparait en filigrane celle que des droits seraient reconnus à certaines personnes, voire au groupe humain dans son entier.

La Bible et la révélation d’un Père aimant les êtres humains, les sagesses bouddhistes ou confucéennes dotent la personne de « dignité » ou de valeur qui s’imposent à tous (même au chef) et qui limitent les possibilités d’emprise sur tous et sur chacun. Selon les cultures, cet individu doté de droits et de devoirs, existe plus ou moins en dehors du groupe et s’individualise peu à peu. L’amour, la dignité et la sagesse, le souci de la perpétuation de l’espèce, … constituent autant de références qui justifient, imposent le respect de « droits », même si le mot n’existe pas dans toutes les langues.

Quelle est l’originalité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclamée en France en 1789 ?

Quelle a été ensuite la trajectoire historique de cette affirmation à travers le monde ? Quels grands succès a-t-elle remporté ?

GA/ La naissance et la dynamique des droits humains s’inscrivent toujours dans un contexte historique précis. Bien sur, le mouvement des « idées » influe sur cette irruption de la proclamation des droits. Ainsi le 18ème siècle européen fit-il émerger l’idée de l’individu « raisonnable et libre », et donc respectable. Les Lumières en tiraient l’exigence du respect de ses libertés et de la quête d’égalité entre individus et groupes. La religion, et tout spécialement l’approche chrétienne de la personne a influencé souvent ces pensées même si, parfois, celles se retournèrent contre la religion ou davantage contre les « maîtres » de celle-ci.

L’apparition de textes, et tout spécialement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit beaucoup à ces courants de pensée mais ils ne furent rédigés qu’à l’occasion de « combats » historiques. Les textes de droits humains expriment d’abord un cri lancé lors d’évènements particuliers qui bousculent ou veulent bousculer l’ordre social. En 1789, les révolutionnaires qui réclamaient davantage de liberté et d’égalité aux pouvoirs installés, éprouvèrent le besoin de dynamiser et de « fonder » leurs revendications sur une déclaration solennelle qui ne précéda pas les évènements mais les suivit puisqu’elle n’est proclamée que le 23 Aout 1789 après que fut bien avancée la rédaction de la constitution. La suite montrera, hélas, qu’il est souvent difficile de rester fidèle aux idéaux proclamés ! L’on a parlé d’une raison « devenue folle » : ce qui n’enlève rien à l’importance de la raison mais rappelle les déviations toujours possibles de toute idéologie ou des religions elles-mêmes.

Le texte français fit le tour du monde en raison non seulement du rayonnement de la pensée française à l’époque mais du climat insurrectionnel qui régnait sur divers continents. La Déclaration fut copiée, adaptée et servit souvent de référence pour inspirer des modèles politiques nouveaux que des peuples voulaient adopter. Selon les pays, elle permit d’abolir l’esclavage, de supprimer les privilèges, d’affirmer l’égalité entre les citoyens, de développer des libertés concrètes, de justifier le droit à la révolte contre toute tyrannie et d’établir un régime démocratique . 

Pourquoi, il y a 70 ans, a-t-on rédigé une déclaration universelle des droits de l’homme ?  Quelles ressemblances et quelles différences avec la déclaration française ?

Quelle influence cette déclaration a-t-elle eu jusqu’à maintenant ? Quels obstacles et quelles résistances ? Quels succès ?

GA/ La Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée par les Nations Unies le 10 Décembre 1948 à Paris s’inscrit dans un double contexte historique. Plus jamais cela ! 60 millions de morts, les camps de la mort, la Shoah, la bombe atomique… autant de « barbaries » dont il fallait à tout prix éviter la répétition. Et puis l’étape nouvelle de « mondialisation » que connut alors notre Humanité. Le « faire ensemble » s’imposait à l’échelle mondiale, même si 58 pays seulement composaient cette organisation tandis qu’ils sont 196 aujourd’hui. De plus s’affirma le désir d’ajouter aux grandes libertés de la Déclaration française, des droits économiques et sociaux qui expriment d’autres besoins fondamentaux de la personne.

Ce texte à vocation universelle fut complété par plus de 150 documents internationaux ou continentaux. Certains d’entre eux organisent des contrôles de l’application effective des textes (ex. le comité des droits de l’enfant) ou organes de jugement contraignant (ex. la cour européenne des droits de l’homme ou la Cour pénale internationale qui sanctionne les crimes les plus graves). Beaucoup reste à faire, mais l’un des effets les plus positifs de ce texte est la naissance d’une société civile mondiale qui organise l’action et l’internationalise sur la base de cette référence commune. Celle-ci s’impose, vue la diversité des références culturelles, philosophiques ou religieuses qui séparent les peuples. Je pense tout spécialement à l’action et la pensée de Liu Xiao Bo, chinois, Prix Nobel de la paix (2010) que les autorités laissèrent mourir en prison. En 2008 il écrivait ; « Le peuple chinois se rend compte plus clairement chaque jour que la liberté, l’égalité et les droits de l’homme sont des valeurs universelles de l’humanité». Les dictateurs affirment que les droits humains n’auraient pas une valeur universelle. Les résistants du monde entier affirment le contraire et en paient le prix !

Des nuages s’accumulent aujourd’hui dans le ciel des droits humains. La destruction des lieux où peut se développer le multiculturalisme est très grave. Il permet des échanges entre les peuples et invite à pratiquer la solidarité plutôt que l’affrontement. Par ailleurs la force des sociétés multinationales, qui ont fait du superprofit leur credo et leur seule finalité, imposent aux autorités politiques des choix qui ne correspondent pas à la volonté des peuples. La démocratie est en crise à travers le monde et de nouvelles formes d’engagement citoyen doivent être inventées. Les nouvelles croisades de certains idéologues politiques ou de croyants en Dieu déploient des violences aveugles et terrifiantes. Enfin les moyens scientifiques et technologiques dont nous disposons pour changer la cellule humaine, prétendre faire de la personne un robot ou détruire définitivement les équilibres écologiques, mettent en cause l’idée même de dignité. Sur quelle base commune appuyer notre réaction face à ces défis très menaçants ? La dynamique des droits de l’homme, sans formuler des réponses techniques mais en affirmant le primat de la dignité inaliénable de toute personne humaine, peut nous servir de boussole.

Face aux oppositions, quelles sont actuellement les forces qui soutiennent la mise en œuvre de cette déclaration ? Sur quelles sources d’inspiration peut-elle s’appuyer ? Quelle est la contribution de la pensée chrétienne ?

Pourquoi as tu écrit un livre sur cette question ?

GA/ Nombre de sociétés croient trouver la solution à leurs problèmes dans le repli sur elles-mêmes, la quête identitaire refusant l’altérité, ou dans la course à la consommation ! Nous savons qu’il s’agit là de fausses solutions manipulant nos peurs pour ensuite imposer un pouvoir injuste. Toute expérience humaine ne survit et ne grandit qu’à travers la rencontre de l’autre. Mais il faut pour cela respecter deux conditions. D’une part prendre le temps d’approfondir nos propres convictions et richesses culturelles, philosophiques ou religieuses. Qui suis-je, qui sommes nous dans cette interdépendance mondialisée incontournable ? Retrouver nos racines historiques, sans s’enfermer dans le passé mais pour les déployer dans l’éducation et la formation des générations nouvelles. Oui les droits de l’homme s’intéressent à la personne et celle-ci se doit de creuser en elle-même ses raisons d’espérer. Il ne s’agit pas de tomber dans l’individualisme revendicateur de droits égoïstes, mais de construire peu à peu sa propre joie intérieure.

Et d’autre part prendre le risque du dialogue, de la rencontre, de l’échange des richesses respectives. La dynamique des droits de l’homme invite au « partage des souffles » ! Dis-moi ce qui te fait vivre ? Ce qui est pour toi humain ou inhumain ? Comment l’autorité doit-elle être exercée ? Comment mets tu le partage au cœur de ta vie personnelle et sociale ? Confie moi en qui tu mets ta confiance et je te partagerai mes trésors d’espérance. Comment ouvrir le débat aujourd’hui ? La référence à la dignité de chacun et à ses droits et devoirs peut nous y aider. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste mais je tente de vivre ma vie aux cotés de ceux et celles qui autour de moi ou au loin n’acceptent pas l’inacceptable !

Pour moi la Bonne Nouvelle de Jésus se résume dans cet appel : « Ne crains pas ! Tu n’es plus seul ! Je n’ai aboli ni la violence ni la souffrance mais j’ai vaincu la mort et je chemine avec toi, avec vous ! »

Ce message est aussi exprimé à travers l’appel à l’engagement pour construire un monde moins injuste. Il n’y a pas la justice sur la terre qui serait coupée de celle qu’il faudrait attendre au ciel ! Les rendez-vous avec les plus fragiles sont aussi les rendez-vous avec Jésus, source et compagnon de vie.

Ce livre veut d’abord saluer le courage des milliers d’hommes et de femmes que j’ai rencontrés et pour lesquels la défense de la dignité humaine est un engagement de tous les jours…. Qui peut les mener très loin ! Et puis, examinant chaque 20 ans l’impact de cette Déclaration, j’ai souhaité montrer qu’elle était plus que jamais d’actualité pour nos contemporains. Avec sans doute davantage d’inquiétude que dans les ouvrages précédents, je souhaite montrer que ce texte peut être une boussole pour notre humanité désemparée.

Guy Aurenche

D’autres articles de Guy Aurenche sur ce site :

« Tout homme est une histoire sacrée. Les droits humains au service de la transcendance » 2008
https://www.temoins.com/tout-homme-est-une-histoire-sacree/
« Sauver les migrants » 2010
https://www.temoins.com/sauver-les-migrants/
« Notre monde a-t-il besoin de prophètes ? » 2012
https://www.temoins.com/notre-monde-a-t-il-besoin-de-prophetes/
« Une vision renouvelée des relations internationales » 2012
https://www.temoins.com/une-vision-renouvelee-des-relations-internationales-interview-de-guy-aurenche/
« La fraternité sauvera le monde » 2014
https://www.temoins.com/la-fraternite-sauvera-le-monde/
« Les Mayas. Une histoire au présent » 2017
https://www.temoins.com/mayas-histoire-present/

Présentation du livre de Guy Aurenche :
« Le souffle d’une vie. Quarante ans de combat pour une terre solidaire ». Albin Michel, 2011
https://www.temoins.com/guy-aurenche-de-lacat-au-ccfd-terre-solidaire-le-souffle-dune-vie/

Share This