A partir de trois livres (L’Eglise autrement, de M. Moynagh ; Liquid church, de Pete Ward ; Generous orthodoxy , de B. McLaren (1)), Jean Hassenforder élabore une réflexion théologique intéressante. A travers les analyses et les démarches personnelles de ces écrivains, il voit se dessiner une image de Dieu et de l’Eglise susceptible de redynamiser des chrétiens enfermés dans l’enclos ecclésial où ils sont nés –ou qu’ils ont choisi au gré des circonstances. Voici quelques lignes de crêtes de ce document, exprimées au plus près des termes utilisés par l’auteur.

-L’Eglise émergente s’inscrit dans un contexte : elle requiert un nouvel état d’esprit, qui allie conviction missionnaire, ouverture culturelle, respect et amour des personnes rencontrées.

-L’Eglise émergente requiert aussi une réflexion théologique bien au-delà de la seule ecclésiologie. La vie du peuple de Dieu est intimement liée à l’Etre de Dieu. Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit en relation, Trinité dans la communion.
A l’image de cette Relation divine, l’Eglise est elle aussi réseau de relations et de communications. Elle est par essence « En mission » – plutôt que « missionnaire ». La missiologie n’est pas une simple branche de la théologie ; c’est plutôt la théologie qui s’inscrit dans la mission chrétienne. « La théologie est l’Eglise en mission qui s’interroge sur son message, son identité, sa signification ». « Jésus crée l’Eglise comme une communauté en mission pour que nous puissions nous joindre à Lui dans sa mission de sauver le monde » (P.4) En fait, la mission commence avec l’acte créateur de Dieu, quand l’univers vient manifester le débordement de sa vie trinitaire (p.2). L’Eglise émergente est signe de bénédiction pour toutes les nations (cf la bénédiction donnée à Abraham).

Elle est bénédiction dans la mesure où elle est « orthodoxie généreuse » : expression paradoxale qui inclut d’une part l’attachement à une pensée juste, une vérité déjà saisie pour une part, mais sans crispation sur des éléments qui seraient identifiés à LA vérité unique, intangible et suffisante,- et d’autre part une poursuite de la recherche et un partage (p.4, col 2). On pense au verset de St Jean « L’Esprit de vérité vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 15,13). Mais ça prendra du temps et des détours !

Réaligner notre religion et nos vies sur Jésus Christ est vraiment au cœur de la foi chrétienne. Orthodoxie et orthopraxie ne peuvent et ne doivent être séparées. A partir de là, chaque confession chrétienne donne du visage de Dieu un reflet particulier, une facette qui, bien comprise, enrichit notre contemplation de l’icône du Christ :
-Jésus, sauveur mourant sur la croix, ouvre à une vraie communion avec Dieu. (protestantisme conservateur)
-Le Saint Esprit est la présence réelle de Jésus vivant et actif aujourd’hui. (pentecôtisme)
-Jésus sauve l’humanité en ressuscitant d’entre les morts. Il ouvre une brèche par delà le terrestre. (catholicisme)
-Le Jésus de l’orthodoxie orientale nous sauve simplement en naissant, en venant parmi nous. (orthodoxie)
-Les paroles et les actes de Jésus ouvrent la voie à un genre de vie capable d’apporter une bénédiction pour le monde entier. (Eglise épiscopalienne)
-Communauté des disciples de Jésus, l’Eglise conforme son éthique avec les principes évangéliques (chrétiens anabaptistes).

Jusqu’à ces dernières décennies, chaque groupe trouvait son identité dans UNE de ces images de Jésus, en critiquant souvent celle des autres. Mais aujourd’hui, une voie nouvelle est ouverte. Pourquoi ne pas voir ces différents accents comme des projections partielles qui ensemble peuvent créer un hologramme : une vision plus riche, multidimensionnelle de Jésus. Généreuse orthodoxie ! Nous pouvons partager ces différents apports comme des cadeaux.
Dès lors, tous ces qualificatifs me concernent personnellement et peuvent faire de moi l’homme nouveau tel qu’il transparaît à travers les Evangiles : un chrétien à l’aise, dont la vitalité spirituelle est source de joie et de sérénité.

Cette attitude a une incidence dans nos rapports interreligieux. « Un de mes devoirs par rapport à mon prochain d’une autre religion est d’apprécier tout ce qu’il m’offre de bon, y compris l’opportunité d’apprendre ce qu’il peut m’enseigner de sa religion. Un autre de mes devoirs est de lui offrir ce que je pense pouvoir présenter une valeur pour lui, y compris l’opportunité d’apprendre quelque chose de ma religion, s’il le peut. »

L’Eglise émergente permet de grandir à la manière d’un arbre. Un tronc d’arbre sectionné fait apparaître des cercles concentriques. Chaque anneau nouveau ne vient pas remplacer le précédent ni le rejeter. Il est inscrit dans quelque chose de plus grand. De même, les individus s’inscrivent dans des familles, puis des communautés plus larges, jusqu’à la réalité la plus vaste, qui correspond au Royaume de Dieu, tel que Jésus l’a annoncé. La vie humaine elle-même se développe, se manifeste en terme de croissance. Le désir de Dieu est de nous voir grandir à la mesure du Christ. Vision paulinienne et teilhardienne.
Cette approche s’applique aussi à la vie de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui. Le Royaume de Dieu est une réalité au sein de laquelle nous sommes en train d’émerger, une réalité bien plus vaste que ce que nous entendons généralement par christianisme. Mais en même temps, cette réalité est au cœur d’un christianisme généreusement orthodoxe.

Ce mouvement requiert une autonomie par rapport aux idéologies religieuses associées aux institutions menacées et aussi par rapport aux pensées systématiques qui tendent à emprisonner une réalité en mouvement (réalité « fluide »); il suppose un esprit de recherche et d’innovation, et le souci constant de se recentrer sur l’essentiel, la personne de Jésus Christ.

Réflexions
Dans ce contexte, un chrétien « émergent » mènera sa vie de croyant dans un climat de liberté, avec une double priorité : fidélité à la personne de Jésus et aux valeurs évangéliques, et inculturation de sa foi dans le monde d’aujourd’hui. Il sera « en mission » d’abord par l’éclairage qu’il saura se donner à lui-même et transmettre à son entourage sur le sens de sa vie au sein de l’univers. Conviction profonde qui n’a rien à voir avec les leçons apprises dans les compartiments religieux où sont classifiés les disciples de Jésus : catholiques, orthodoxes, protestants, etc… Il fera sienne toute richesse partagée par des frères et des sœurs venus d’horizons différents, basiquement chrétiens comme lui ou bien chercheurs de Dieu par d’autres voies. Son œcuménisme fondamental lui permettra de vivre l’intercommunion et l’interreligieux sans se poser la question de barrières désuètes maintenues par des hiérarchies focalisées sur la différence.
Cela ne va pas forcément de soi chez certains chrétiens conditionnés depuis l’enfance par une catéchèse qui privilégie l’accueil de la pensée unique émanant du pasteur suprême ou des autorités ecclésiales. Oser penser et agir différemment, sans mauvaise conscience, suppose des réflexes de survie et un temps de libération non négligeable, qui naîtra d’une attention persévérante à l’essentiel. Joie et sérénité en découleront, et les initiatives personnelles et communautaires ouvriront des espaces de respiration porteurs de sens, où l’esprit et le cœur communient à la vie divine et se renouvellent. Ce qui est relatif et transitoire tombera de lui-même, quel que soit le poids de certitude ou de pression qu’il exerce actuellement. « L’heure vient, et c’est maintenant, où les devrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).

Claude Bernard

(1) Moynagh (Michael). L’Eglise autrement. Les voies du changement. Empreinte. Temps présent, 2003
Ward (Pete). Liquid church. A bold vision to be God’s people in worship and mission. A flexible, fluid way of being church. Paternoster Press, 2002.
McLaren (Brian). Generous orthodoxy. Zondervan, 2004.

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