Les télécoms sont aujourd’hui une activité motrice dans l’économie. A travers une évolution technologique très rapide, elles engendrent de nouveaux produits qui suscitent une demande forte. Comment travaille-t-on dans ce secteur d’activité? quelles expériences professionnelles peut-on y vivre? Quel peut être le regard et le comportement d’un chrétien dans ce contexte?
Grandir dans la foi.

 

 Un parcours

Le parcours de Pierre s’est développé au coeur de ce secteur d’activité : les nouvelles technologies numériques embarquées. Après avoir fait une grande école, Pierre travaille au début dans la recherche au service de la télévision numérique. A l’aide d’outils mathématiques, comment développer la compression des images pour mieux les transmettre ? Après quelques années, il s’investit ensuite dans un nouveau domaine : le développement de systèmes embarqués. Ces systèmes iimpliquent notamment un travail en cryptologie, c’est à dire dans l’art de protéger des données pour que leurs destinataires soient bien les seuls à pouvoir les utiliser. Ces systèmes embarqués sont mis en oeuvre dans de nombreux domaines : le secteur bancaire, la télévision payante, les mobiles et l’identité. On doit se garder ici de la fraude et de la malversation. Le développement de ces produits requiert des connaissances en mathématiques, en physique, en informatique.

Depuis quelques années, Pierre travaille dans une grande entreprise des médias. Là, il s’applique à la sécurisation des systèmes embarqués, aujourd’hui en pleine expansion. Depuis 1984, cette activité s’est étendue et iversifiée, notamment à travers le développement récent de nouveaux canaux. Le travail de sécurisation des systèmes embarqués est indispensable pour éviterla fraude et la piraterie. Nous sommes ici dans une activité informatique d’avant-garde qui se caractérise par un rythme très rapide des tâches de production et de commercialisation.

 

Quel environnement humain ?

Le climat du travail s’inscrit dans ce contexte. Il en subit les contraintes. Comment l’entreprise où travaille Pierre, fonctionne-t-elle dans cette conjoncture ? L’environnement humain se situe au carrefour des pratiques habituelles de management et des contraintes spécifiques dans ce domaine.

Le marché change très vite. Cette rapidité se répercute sur le planning. Pierre nous décrit ainsi la situation: “On travaille sous pression. Il faut faire les choses dans un temps record. On vous demande de réduire les délais, et, en plus, une qualité irréprochable est exigée. Cela induit beaucoup de frustration “, nous dit Pierre. “On va vite. On ne nous écoute pas. On a l’impression que le travail est bâclé”. Il en résulte un sentiment de démotivation, une moindre intégration dans l’entreprise.

Dans ce contexte, l’attitude de la direction a une grande influence. Le management est lui-même sous pression. “Les directeurs ont du mal à percevoir ce qui se passera dans trois ou quatre mois. Dès lors, la stratégie s’établit au coup par coup”. Et, dans le même temps, la communication est déficiente. “Ils nous disent de faire des choses. On les fait. Après, ils ne sont pas contents. Mais ils ne nous disent pas pourquoi. En fait, ils sont indécis. De plus, ils fonctionnent par mimétisme. Si le non-dit prévaut dans le top management, cela se répercute chez les directeurs. D’une manière générale, on ne communique pas assez, on ne dit pas ce qu’on fait. On ne reconnait pas assez le travail qui a été réalisé”.

En fait, les directeurs sont rarement polyvalents. Ils ne connaissent pas bien les activités. En outre, les carrières s’effectuent à travers une rotation rapide de poste en poste. Parfois, tel ou tel directeur échappe à ce climat de superficialité. Mais pour se distinguer ainsi, il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur une grande compétence,et de faire preuve de courage.

Pierre travaille dans la fabrication des systèmes embarqués. Or ces produits ont un cycle de vie beaucoup plus long que d’autres, comme par exemple certains appareils de décodage. Dans cette activité, il faut donc pouvoir anticiper en tenant compte de différents facteurs : techniques,économiques, commerciaux. Une vision plus large est nécessaire. Dans ce contexte, Pierre cherche à interpréter les attentes de la direction: “Je dois décoder le non-dit et aller beaucoup plus loin dans le travail pour satisfaire mes supérieurs. On demande de toi, sans le dire, une démarche plus globale incluant le marketing, l’économie, le droit commercial. Le management apprécie cette ouverture, mais je suis encore loin de mes supérieurs. Il n’y a pas une vraie relation de confiance…”.

 

Former une équipe

Quelques années plus tard, la direction a demandé à Pierre d’assumer la responsabilité de l’activité dans laquelle il travaillait jusque là. Prendre en charge la gestion d’un groupe de personnes est certainement un redoutable défi. “J’ai ressenti une pression très forte. Pendant toute une période, j’ai été obligé d’aller au travail durant le week-end”.

En fait, Pierre a voulu faire de ce groupe une véritable équipe.

“Au début, puisqu’on me connaissait comme collègue, il a fallu me détacher pour être connu en tant que leader. J’ai souhaité établir une relation de proximité et développer une forte confiance. Et, pour cela,pendant quelques mois, j’ai dû effectuer un travail de formation”. Il était nécessaire d’introduire de nouvelles pratiques de communication.

“Par exemple, pour connaître nos relations avec l’extérieur, j’ai demandé que les mails envoyés au dehors me soient adressés en copie. Et, à l’interne, j’ai beaucoup travaillé à l’explication des tâches quotidiennes. Je souhaitais développer une bonne communication entre nous”.

Pierre a voulu également développer l’autonomie chez ses collègues. Pour cela, il fallait déléguer les tâches, encourager une responsabilité partagée. Cela passe aussi par un apprentissage . “Jusque là, quand il n’y avait plus de papier dans l’imprimante, personne n’était responsable… J’ai voulu leur apprendre à être responsable, à être curieux, innovant”. Chaque semaine, un petit comité fait le point avec Pierre. Deux fois par an, Pierre dresse un bilan avec chacun de ses collègues : “Qu’est ce que vous avez perçu de positif et de négatif ?” Et il insiste pour savoir “ce qui ne va pas entre eux et moi”. Au total, il enregistre peu de tension dans l’équipe, en dehors de quelques difficultés, une ou deux fois par an.

Chaque trimestre, l’équipe se réunit autour d’un repas informel en dehors de l’entreprise. Dans ce climat, Pierre a pu reconnaître les valeurs qui inspirent ses collègues. “Quand j’observe chaque personne, je constate qu’il y a des valeurs chez mes collègues, même si certains les dissimulent ou disent ne pas en avoir. Il y a une relation entre ces valeurs et une mémoire religieuse (catholique, juive…). Je le vois à travers des discussions personnelles”.

Une nouvelle ambiance est apparue. Elle se traduit par des indices matériels comme un meilleur archivage ou des bureaux bien rangés.
“Certains supérieurs sont surpris par la qualité de nos productions”. Et poutant cette démarche n’a pas été demandée par la direction. Pierre a investi beaucoup de temps dans cette formation, près de 30% de son activité. Mais aujourd’hui, il en voit les fruits. C’est une attitude d’esprit qui l’a conduit: “Je ne veux pas être indispensable. Ce que je souhaite, c’est que l’équipe grandisse”. Cette attitude s’inspire d’une évolution personnelle: “Ce que j’applique à l’équipe, c’est ce qui est au fond de mon coeur. J’ai appris à grandir et je peux aider les autres à grandir”.

 

Une foi en mouvement

La démarche de Pierre est enracinée dans sa foi chrétienne. “Ma foi chrétienne m’a préparé. J’aime les relations. J’ai appris à aller vers l’autre et à l’écouter”.

Si, au départ, cette expérience professionnelle a été éprouvante, Pierre a trouvé des ressources pour y faire face dans un cheminement précédent où il a dû réaliser une “traversée du désert”. En effet, à partir de 1995, Pierre a vécu une évolution difficile au cours de laquelle il lui a fallu s’attacher à Dieu plutôt qu’aux hommes. En effet, en conscience, il s’est senti appelé à se détacher
progressivement d’une vie d’église qui lui paraissait “trop fermée, trop étriquée, enfermée dans une doctrine”… “Depuis une dizaine d’années,je fréquentais une assemblée et j’avais l’impression de me trouver devant un mur. Je ne parvenais pas à m’épanouir. Je me sentais étouffé. Je m’adressais au Seigneur: “Seigneur, je ne vois pas où est ma place”.Au fond de moi-même, j’étais très mal”.

Pierre s’est alors engagé dans un long périple. “Mon travail n’avait plus d’intérêt. La question centrale pour moi, c’était Dieu. Qu’est-ce que Dieu souhaitait pour moi?” Pierre a alors commencé à voyager à travers le monde, pour rencontrer des communautés chrétiennes authentiques. Il a trouvé une aide dans certaines ressources comme les cours de Jacques Poujol, Témoins, les livres de Leanne Payne, un enseignement biblique donné par des chrétiens coréens. Mais le parcours a été rude. “Je m’interrogeais : Seigneur, je me sens seul!” Et puis,progressivement, Pierre a découvert l’Eglise sous un nouveau visage : des groupes de chrétiens où on partageait. “A travers les années, Dieu m’a redonné la paix. Ce cheminement m’a permis d’être beaucoup plus responsable par rapport à ma propre vie. J’ai rencontré des chrétiens qui veulent vraiment avancer avec Dieu. Cela a changé ma façon de penser”.

Les difficultés rencontrées dans ce parcours ont préparé Pierre à vivre l’épreuve qu’il a rencontrée sur le plan professionnel, lorsqu’on lui a confié la charge de tout un groupe de travail. “La pression était très forte. Comment ai-je pu tenir? Les différentes crises que j’avais vécues, avaient suscité chez moi une transformation intérieure. Dans un texte biblique, Dieu nous dit qu’il ne permettra pas qu’une épreuve dépasse nos forces. Je me suis dit: “Je vais me battre”. C’étais dur, mais j’avançais. Dieu m’aidait à certains moments. J’avais les capacités pour me relever. Les résultats m’ont encouragé. Après la traversée du désert,on s’aperçoit qu’on a parcouru tout un chemin. La confiance grandit. Je suis transformé par les situations que Dieu me donne”.

 

Grandir à travers les épreuves

Pierre a tiré des leçons de ces différentes épreuves. “A partir de mes propres expériences, je peux dire que les difficultés sont relatives. Elles m’amènent à me demander: Qu’est ce que je dois changer dans mon comportement, mes attitudes ? Dieu est maître de toutes choses. Dieu souhaite qu’on soit transformé. Dans une situation qui fait mal, Dieu vient nous parler, nous apprendre. Malgré nos entêtements, il nous amène à nous remettre en question. Dieu nous a mis dans ce monde. Et dans ce monde, on doit apprendre les choses de Dieu : Que je me transforme, que je mûrisse, que je grandisse”.

Récit de Pierre
recueilli par Jean Hassenforder.

Témoins, mai 2006.

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