https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41ocniKERSL._SX268_BO1,204,203,200_.jpgSous l’impulsion d’Albert Rouet, évêque de Poitiers, ce diocèse revêt un nouveau visage. En effet, son mode de fonctionnement a complètement changé. D’une structure hiérarchique descendant de haut en bas à travers la figure centrale de la paroisse dirigée par son curé, on vient de passer à un réseau de communautés locales dont la responsabilité est assumée par un groupe de laïcs. De fait, au travers d’une transition bien maîtrisée par une approche collégiale animée par l’évêque, la démarche institutionnelle a radicalement changé. Nous sommes en présence d’un nouveau paradigme.

Cette expérience déjà décrite dans un livre paru en 2005 :« Un nouveau visage d’Eglise. L’expérience des communautés locales à Poitiers (1) », vient de donner lieu à un second ouvrage : « Un goût d’espérance. Vers un nouveau visage d’Eglise II. L’expérience des communautés locales à Poitiers » (2008) (2). « Voici la suite attendue d’une expérience ecclésiale unique en France menée dans le diocèse de Poitiers depuis douze ans », peut-on lire en ouverture. « La mission de l’Eglise aujourd’hui passe par l’organisation en communautés locales où les membres du Peuple de Dieu sont associés dans la diversité des appels, des charismes et des ministères ». Ce livre est un ouvrage collectif écrit par l’évêque de Poitiers, deux laïcs et deux prêtres. Cet ouvrage est à lire de bout en bout. Dans cette approche, nous voulons simplement exprimer quelques observations sur l’état d’esprit dans lequel cette expérience a pu se réaliser. Et, pour cela, nous commenterons les textes d’Albert Rouet, initiateur et promoteur de cette expérience dans un processus collégial avec les prêtres et les laïcs du diocèse de Poitiers.

En douze ans, l’expérience s’est progressivement généralisée. « Les communautés locales vivent, elles se renouvellent, elles portent du fruit. Leur nombre augmente. Les trois principales villes du diocèse sont « en communautés locales » (selon notre jargon) (p.7).
Cette expérience est le produit d’un processus. « Loin d’avoir été décrétée et appliquée à partir d’un point unique de décision, l’initiative a été voulue par les conseils du Diocèse et entérinée par le deuxième synode diocésain. Il est ainsi légitime d’affirmer qu’elle est portée par l’ensemble du Diocèse » (p.9). En fait, c’est un processus continu dans la durée.
« Peu à peu, nous avons découvert combien le fait de « porter ensemble » modifient les relations et même les activités de chaque composante. Il a donc fallu réfléchir à frais nouveaux, dire les objectifs, nommer ce qui se faisait afin que chacun puisse participer à la vie de l’ensemble » (p.12). Ainsi, nous sommes en présence d’un processus « systémique » où tout se tient, et on peut constater une cohérence interne.
Comme l’écrit Albert Rouet, nombre de lieux affirment faire « la même chose qu’à Poitiers ». « À y regarder de plus près, on note cependant des différences importantes : les élections sont supprimées et le prêtre seul désigne les responsables, les charges n’ont pas de durée prévue, les fonctions importantes ne sont pas toutes assurées. Ces endroits agissent comme ils l’entendent et selon leurs possibilités. Qu’ils disent alors s’inspirer de l’expérience des communautés locales, non qu’il s’agisse de la même chose »… Cet exemple laisse percevoir qu’au delà d’un récit d’expérience, il existe une cohérence, une logique, en un mot, une institution » (p.75).

Les communautés locales comme institution.

Le concept d’institution est très important aux yeux d’Albert Rouet et il y consacre un chapitre : « Les communautés locales comme institution » auquel on se reportera.
« Pour qu’un corps se tienne et se développe, il faut une ossature. Sans squelette, le corps n’existe pas. La seule ossature donne un cadavre desséché. Ainsi, en est-il de l’institution : elle représente la charpente qui fait tenir un corps debout et lui permet de marcher » (p.76)…
Nous sommes effectivement en présence d’un changement qui s’effectue à une grande échelle : celui d’un diocèse. On comprend qu’un tel changement requiert une régulation, et la nouvelle organisation, une structuration. Cependant, comme l’écrit Albert Rouet, une adaptation constante est nécessaire.
« Une institution est inséparable d’un fonctionnement. Il est donc nécessaire de déterminer ce qui est institutionnel et appelé à durer au delà des personnes présentes, et de préciser les fonctionnements qui assurent, en cohérence avec l’institution, souplesse, évolution et adaptation. Ceci pose deux problèmes conjoints à analyser séparément : celui de l’institution, de sa nature, de sa permanence et celui d’un fonctionnement à la fois cohérent et vivant. L’ossature permet la marche libre… ainsi une structure se met au service de la pastorale. Elle assume le passage du quadrillage territorial à des faisceaux de relations entre personnes, car telle est bien l’ambition des communautés locales » (p.79). « Il y a un va et vient entre l’institution et le fonctionnement… Le lieu de la liberté est celui de la responsabilité. Donc de la confiance ».
Effectivement, à travers des exemples, Albert Rouet montre comment l’institution peut faciliter la confiance en engendrant clarté, visibilité, sécurité.
Ainsi, lorsque dans une commune rurale où l’école est désormais fermée, une équipe décide d’inviter les enfants et leurs parents, le Maire reconnaît l’initiative bien qu’elle ne soit évidemment pas de sa compétence. Dans une autre commune, des volontaires se proposent pour créer une communauté locale, parce que cette nouvelle organisation les attire et qu’elle est proposée avec clarté  (p.80).
On comprend donc l’accent mis sur l’institution par Albert Rouet. Cependant, cette perspective nous paraît dépendre étroitement de la conjoncture locale. Nous sommes en présence ici de la mutation d’un diocèse dans son entier. S’il y a eu un processus collectif, il a bien fallu une impulsion clairvoyante et courageuse, elle de l’évêque de Poitiers. On peut craindre qu’à cette échelle, dans l’immédiat, le phénomène soit exceptionnel, car les principes tranchent avec le fonctionnement d’une Eglise où traditionnellement la hiérarchie s’impose de haut en bas. Pour innover malgré tout, une personnalité courageuse et avisée est nécessaire. Mais aussi, le fait que ce phénomène ait pu néanmoins se réaliser est porteur d’inspiration et comporte des enseignements de portée générale. Nous y voyons en particulier la mise en œuvre d’une dynamique de la confiance et, en d’autres termes, une dynamique de foi.

Rompre avec les enfermements.

À plusieurs reprises, Albert Rouet montre combien les obstacles au changement dépendent d’attitudes possessives souvent associées à la peur et à la crainte. Ces attitudes peuvent s’exercer dans le cadre d’une idéologie, en l’occurrence l’idéologie paroissiale. C’est aussi dans le cadre paroissial que s’exerce le pouvoir. « Le curé commande en tout » (p.84). Des réactions instinctives se manifestent. « Demander à une communauté de se diviser ! Elle préfère rester un noyau face à des milliers d’inconnus plutôt que d’oser une implantation ailleurs. L’image paroissiale commande des réactions épidermiques (surtout ne pas perdre des paroissiens), par exemple face à la création de communautés étrangères (vietnamienne, africaine…). Personne ne doit échapper : antique conception de la « paroisse propre » héritée du Concile de Trente… Le passé paraît sécurisant, parce qu’il est mort » (p.95).
Ainsi, Albert Rouet met en lumière une attitude qui s’exerce aujourd’hui à grande échelle. « La tentation spontanée resserre autour de la messe dominicale une assemblée regroupée à partir de communautés qui, ce jour-là, disparaissent comme telles. Cet usage reste loin de tout traiter. Il ignore ceux qui ne peuvent venir. Il annule le témoignage local d’une communauté qui prie. Il rétrécit l’espace et il renonce à déployer, à dilater le corps du Christ par le partage de la Parole. Il installe donc la récession autour des possibilités du seul prêtre, ignorant l’ouvrage de communautés en leurs lieux propres. Cet usage entretient l’illusion que l’essentiel ne bouge pas, alors qu’en fait, il s’est déjà déplacé vers une réduction des possibilités (p.18).
En terme d’attitudes, « Créer de l’espace, laisser du jeu, représente pour les mentalités (traditionnelles) un manque insupportable. Elles n’acceptent pas de manquer. Il leur faut tout ou proposer des remplacements qui ne laissent s’établir aucun vide… » (p.17). Qu’on est loin ainsi du dynamisme de l’Evangile ! La manière dont Jésus  envoie ses disciples, la création des premières églises dans le livre des Actes. C’est bien ce qu’exprime Albert Rouet : « Le Christ a envoyé ses disciples, leur ouvrant l’espace d’ « œuvres plus grandes encore » (Jean 14.12). Le travail apostolique de l’apôtre Paul a reposé « davantage sur la foi dans la puissance de Dieu que sur les capacités humaines » (p.18). Tout repose ainsi sur une dynamique de la confiance.

Un acquis majeur : le renouvellement est possible.

Ce livre nous fait part d’un acquis majeur, d’un grand enseignement. Lorsque cette dynamique de la confiance s’exerce, elle porte des fruits. C’est le cas dans l’expérience de communautés locales à Poitiers.
En effet, on pouvait se demander comment ces communautés allaient pouvoir fonctionner dans la durée. Au départ, il y a bien des animateurs potentiels parmi les gens déjà engagés dans un service paroissial, un service d’église. Mais, puisque le mandat est défini dans les termes d’une durée limitée (six ans au total), qu’adviendra-t-il ensuite lorsqu’il faudra trouver des successeurs ?
Ce qui apparaît à la surface, si le critère de jugement est celui de la pratique dominicale, de la pratique religieuse, c’est alors des limites croissantes dans le potentiel de renouvellement. Mais justement ; l’esprit de l’expérience de Poitiers est tout autre… La vérité de l’être ne réside pas dans cette pratique.
Et ainsi, un fait majeur est apparu : toutes les équipes ont été renouvelées. « On voit ici l’importance d’un fonctionnement qui fait barre au découragement, au repli sur soi, aux solutions de facilité. Le renouvellement s’effectue avec des personnes reliées à l’Eglise de plus ou moins loin, qui répondent avec joie à une proposition qui leur est faite, parfois qui se proposent elles-mêmes. « Une Eglise comme cela m’intéresse ! ». Mais elles n’ont peut-être pas mis les pieds à l’église depuis des lustres ! Elles arrivent avec leurs anciens préjugés, une longue parenthèse de la pratique (ce qui ne veut pas dire de la prière) et elles ont tout à découvrir… » (p.91). « Les nouveaux se présentent ardents, mais pas formés (c’est un euphémisme). Nous les avons accueillis et leur démarche dans la foi est stupéfiante ! Elle suppose des formations adaptées, des recyclages convenables. Donc des créations… » (p.13).
Ce renouvellement est le produit de toute une dynamique qui est exposée dans les différents chapitres de ce livre. L’un d’entre eux est intitulé : « Les communautés locales, une aventure spirituelle ». Ici, la foi se conjugue avec l’ouverture. Comme on vient de le voir, ce ne sont pas nécessairement les chrétiens patentés qui entrent dans des responsabilités nouvelles. Et l’ouverture se conjugue avec la foi. Comme dans le Nouveau Testament, l’Esprit porte cette dynamique.

Une dynamique de confiance produit du fruit et révèle un potentiel.

Ainsi, quelque soient les limites qui peuvent freiner l’expansion de cette expérience dans les termes où elle se déroule à Poitiers, il y a dans celle-ci une grande leçon qui vaut pour l’ensemble des chrétiens en France, au delà même du monde catholique  si empêtré aujourd’hui par l’héritage romain.Une dynamique de confiance produit du fruit et révèle un potentiel qui dépasse ce qu’il était possible d’envisager au départ. On peut reconnaître le même état d’esprit et les mêmes effets dans le courant de l’Eglise émergente très étudié sur ce site le courant de l’Eglise énergente. un état d’esprit. Un processus .
Merci aux équipes du diocèse de Poitiers pour ce beau témoignage et cette piste grand ouverte !

Jean Hassenforder

Notes.
1)    Rouet (A.), Boone (E.), Bulteau (G.), Russeil (J.P.),Talbot (A.). Un nouveau visage d’Eglise. Les communautés locales à Poitiers. Bayard, 2005. Une année auparavant, nous avons publié sur ce site une analyse de l’expérience à partir de premiers documents  (Les communautés locales dans le diocèse de Poitiers (7 octobre 2004).
2)    Rouet (Albert), Boone (Eric), Bulteau (Gisèle), Russeuil «(Jean-Paul), Talbot (André). Un goût d’espérance. Vers un nouveau visage d’Eglise II. L’expérience des communautés locales à Poitiers. Bayard, 2008.

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