“Les soldats blessés vainqueurs guérissent plus vite que les vaincus” avait observé Ambroise Paré au XVIème siècle. On sait intuitivement qu’un bon moral exerce une influence positive en faveur du rétablissement de la santé. Aujourdhui, les études se multiplient pour mettre en évidence les effets du psychisme sur la condition physique.
C’est dans ce contexte que parait en France un livre de Ernest Lawrence Rossi sur la “Psychobiologie de la guérison”. Le sous-titre précise l’objet de l’ouvrage: “La communication corps-esprit au service de la santé”(1).

Ernest Lawrence Rossi est un psychothérapeute californien. Ce livre est un ouvrage pionnier, car l’auteur a réalisé un bilan des recherches mettant en évidence les rapports entre le psychisme et la guérison. Mais, bien plus, il a également réalisé une avancée dans la compréhension de la manière selon laquelle ces rapports s’établissent. Un médecin américain, qui a lui-même expérimenté la guérison du corps par l’esprit, et écrit des livres à ce sujet, Norman Cousins, montre, dans un avant-propos, la portée de l’ouvrage de E. L. Rossi et il en éclaire le sens.

“Ce livre, Psychobiologie de la guérison, nous fournit le lien qui manquait entre la théorie qui nous apprend que l’esprit peut jouer un rôle tout à fait significatf dans la lutte contre la maladie, et les observations cliniques des médecins qui affirment que la théorie se vérifie maintenant suffisamment souvent pour qu’on la prenne au sérieux. Ce livre met en évidence ce que l’on appelle, dans le monde médical, des”voies de communication”, c’est à dire la façon dont le corps, à partir des attitudes ou des émotions, produit des changements d’ordre physiologique ou biochimique… Cet ouvrage nous fournit les toutes dernières informations sur l’interaction entre le système nerveux, le système endocrinien et le système immunitaire…”(p11).

Voila des données et des perspectives qui appuient le développement d’une médecine globale dans laquelle vient s’inscrire un partenariat entre le malade et le médecin. “Dans ce genre de collaboration, le médecin amène ce que la médecine a de mieux à offrir, et le patient, lui, amène ses propres ressources, sous forme d’un système de guérison et d’un ensemble de confiance et de détermination, qui doit lui permettre de tirer le meilleur parti possible de ce que le médecin a à lui offrir”(p11).
Le livre de E. H. Rossi s’ordonne en deux grandes parties. La première met en évidence la réalité d’une communication entre le corps et l’esprit. La seconde analyse les mécanismes selon lesquels la guérison peut s’opérer dans ce contexte.

Les effets de l’esprit sur le corps

On entend beaucoup aujourd’hui parler de l’effet placebo”. Ainsi la croyance en l’effet d’un médicament peut entrainer une amélioration dans un état de santé. Mais cet “effet placebo” est souvent rejeté parce qu’il apparait comme un facteur génant que personne ne comprend. Mais au contraire, n’y a-t-il pas là un processus majeur dont la compréhension peut permettre d’édifier une façon nouvelle de concevoir la communication entre l’esprit et le corps? Ainsi l’auteur présente des études de cas qui montrent les incidences considérables, et parfois même spectaculaires, de l’influence des croyances et du moral sur la guérison. A partir de recherches récentes, il met également en évidence l’apparition d’un “effet placebo” constant dans l’efficacité de certains médicaments comme les analgésiques. “La constance de cette réaction de guérison, indépendamment des circonstances, indique qu’elle doit être inscrite dans un mécanisme commun, ou qu’une seule chaine de communication relie l’esprit et le corps”(p38).
Lorsque le Docteur Norman Cousins relate ses expériences d’autoguérison, il montre également comment les attitudes et les émotions positives sont l’essence du bien être et des réactions placebo. Loin d’être une source de complications, l’effet placebo est un processus majeur. “Le placebo, c’est le médecin qui réside en nous”(p33).

La recherche sur les mécanismes de communication entre l’esprit et le corps emprunte ainsi des voies diversifiées. Au cours des cinquante dernières années, une avancée majeure s’est réalisée à travers l’étude du stress et des phénomènes psychosomatiques en résultant. L’auteur se réfère à l’oeuvre du physiologiste Hans Selye et du psychiatre et hypnothérapeute Milton Erikson. Hans Selye a mis en évidence la manière dont l’organisme réagit en vue de rétablir la constance de son milieu intérieur à travers un mode de réponse qui porte maintenant le nom de “syndrome général d’adaptation”. Une théorie interprétative décrit comment le stress est transformé en “problèmes psychosomatiques par les hormones de “l’axe surrénal hypotalamo-hypophysaire du système endocrinien. Aujourd’hui, de nouvelles recherches permettent de mieux comprendre les mécanismes de communication qui interviennent dans les rapports entre l’esprit et le corps.

Un nouveau paradigme: la théorie de l’information.

Les approches scientifiques empruntent de plus en plus un nouveau regard qui prend la forme d’une théorie générale de l’information. L’auteur montre comment le développement de l’univers s’accompagne d’une montée de la complexité et d’une croissance exponentielle de l’information. “Aujourd’hui l’attention portée à l’information est en train de devenir très rapidement le thème commun qui unit la physique, la psychologie, la sociologie et la médecine. De nouvelles façons de considérer la nature de la vie et de la guérison, en tant qu’évolution et circulation d’information, sont en train de restructurer les fondations scientifiques du savoir humain”(p16).
C’est dans ce contexte que la guérison psychocorporelle est éclairée par une compréhension nouvelle de la communication.

Communication et guérison psychocorporelle

Ernesto Lawrence Rossi traite de cette question dans un chapitre majeur de son livre (p185-218).
“Nous allons explorer les relations entre l’esprit et le corps aux trois niveaux de l’arbre métaphorique de la vie: (1) Nous sommes sans aucun doute intéressés par l’esprit, les états d’humeur, la mémoire et le comportement, représentés par le feuilles de l’arbre; (2) Nous allons apprendre que le tronc de l’arbre est composé de molécules messagères (hormones, facteurs de croissance, substances d’information, etc) qui assurent la communication entre l’esprit et le corps; et (3) beaucoup de ces molécules messagères vont finalement amener nos gènes_les racines de l’arbre de la vie_ à s’exprimer en utilisant leurs modèles propres, pour favoriser la croissance et la guérison dans chacune des cellules de notre esprit et de notre corps”(p185).
E. L. Rossi fait apparaitre une réalité jusqu’ici méconnue: la présence et l’activité de “molécules messagères”.”Avant que la vie n’invente les nerfs, spécialisés dans la communication rapide entre le cerveau et le corps dans les organismes de grande taille, les molécules messagères constituaient la première forme de communication. Aujourd’hui encore, celles-ci régulent l’activité de chacun des nerfs de notre corps et de notre cerveau. Il s’agit là d’une découverte toute récente, d’une portée immense, rendant possible une science moderne de la communication esprit-corps. Les molécules messagères représentent, pour la santé et la maladie, le premier dénominateur commun, le fondement de la communication psychosomatique entre l’esprit, les émotions, et le comportement d’une part, et l’expression des gènes d’autre part”(p188). L’auteur met en évidence la grande diversité de ces molécules et de leurs modes d’action. Et il analyse, selon cette aproche, la communication entre l’esprit et le cerveau, le role majeur du système hypothalamo-limbique dans la communication esprit-corps, la communication cellule-gène….
“Quel que soit le nom qu’on leur donne, le fait le plus marquant, pour notre compréhension de la guérison psychocorporelle, est que les molécules messagères et leurs récepteurs remplissent en même temps deux fonctions importantes et interdépendantes, qui leur permettent de combler le prétendu fossé entre esprit et corps. Les molécules messagères sont (1) la principale voie de communication qui existe à l’intérieur de tous les systèmes de régulation de l’esprit et du corps, aussi bien qu’entre ces systèmes, et (2) en même temps, ce sont elles qui permettent d’encoder ce type d’expériences émotionnelles personnelles et de comportements liés à l’état, qui ont toujours eu de l’importance pour la guérison psychothérapeutique et psychocorporelle” (p217).

Un nouvel horizon

Ce livre s’inscrit dans un changement de paradigme. Ainsi, nous dit Ernest Lawrence Rossi, “la psychobiologe de la guérison psychocorporelle repose sur une idée essentielle: c’est l’information qui constitue à la fois le concept clef et le lien entre toutes les sciences, y compris les sciences humaines et l’art thérapeutique. La psychologie, la biologie et la physique ont désormais un nouveau dénominateur commun: l’information. Pour comprendre vraiment comment cela est possible, il faut garder à l’esprit, le fait que toutes les formes d’organisation sur le plan physiologique, physique et biologique, sont en fait des expressions de l’information et de ses transformations”(p45).
Cette perspective éclaire d’une façon nouvelle l’évolution de l’univers. Elle apporte également une vision de la nature humaine qui rompt avec le dualisme cartésien.

Tout en distinguant le registre scientifique et le registre religieux, cet horizon offre aux chrétiens une voie pour mieux comprendre les processus à travers lesquels l’Esprit de Dieu se manifeste. Une réalité commune peut ainsi être l’objet de regards distincts, mais compatibles. Aujourd’hui différents auteurs abordent ainsi le thème de la guérison divine en des termes qui prennent en compte les différentes dimensions de la nature et de l’expérience humaine (2); Comme l’exprime un récent rapport de l’Eglise anglicane sur la guérison, “Beaucoup de gens réalisent aujourd’hui qu’une vie en bonne santé comporte une triple dimension: spirituelle, physique et mentale. La plénitude, en anglais:”wholeness”, est le mot clef. C’est ce à quoi chacun aspire aujourd’hui(3). En montrant les effets extrèmement positifs d’un bon moral et d’une bonne anticipation, le livre de E.L. Rossi confirme l’importance qu’un environnement social harmonieux peut exercer. C’est dire combien les communautés chrétiennes sont appelées à manifester la puissance d’amour qui leur est confiée.

La lecture du livre d’Ernest Lawrence Rossi nous entraine dans une dynamique nouvelle de compréhension de la nature humaine. Quelque que soit le positionnement philosophique du lecteur, il y a là matière à découverte et à émerveillement. C’est bien évidemment le cas pour une sensibilité chrétienne.

Jean Hassenforder

(1) Rossi (Ernest Lawrence). Psychobiologie de la guérison. la communication corps-esprit au service de la santé. Le Souffle d’Or, 2002
Les citations sont accompagnées par les paginations correspondantes.

(2) Ce courant de pensée, soucieux d’allier conviction de foi et compréhension de la nature humaine, s’est manifesté très tôt dans les écrits d’Agnes Sanford et de Francis Mac Nutt (F Mac Nutt. Le pouvoir de guérir. Cerf).
Aujourd’hui, il s’affirme particulièrement en Grande-Bretagne. Voir sur ce site les compte-rendus des écrits de John Huggett (Breath of life. Sovereign World, 2004) et de Selwyn Hugues (Bien-être et guérison. Empreinte, 2005)
Ces livres ont été analysés sous le titre: “Souffle de Vie. La guérison d’après le livre de John Huggett”, et, “Lorsque Bible, psychologie et bon sens s’accordent pour une vie meilleure”. (Rubrique Repères)

(3) A time to heal. A contribution toward the ministry of healing. A report for the house of bishops. Church House Publishing, 2000
(Cf Plénitude et guérison. Témoins, N°133, janvier 2001, p6-7)

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