Au cours des dernières décennies, une attention croissante pour l’expérience spirituelle a commencé à se manifester. Bien sûr, cette évolution se manifeste différemment dans le contexte des différentes églises. Dans chacune d’elle, il y a toujours eu des milieux propices à cette expérience.

Mais on peut s’interroger sur certains accents qui prévalaient dans le message dominant. Comme l’écrit  l’auteur du livre  « La prière d’écoute » : Leanne Payne, sous l’influence du courant de pensée initié par René Descartes et par Emmanuel Kant,699Descartes.jpg il s’était créé « une déchirure entre la tête et le cœur » (1). La connaissance rationnelle avait repoussé la connaissance intuitive.  D’une façon ou d’une autre, dans certains milieux, la réflexion intellectuelle occupait une place prédominante. Et par ailleurs, il y avait quelque part, un accent majeur sur la nécessité d’une action pratique, sur l’importance de traduire sa foi dans le « faire ». Bien entendu, la dimension de la réflexion et celle de l’action sont essentielles. Mais, si l’enracinement spirituel, au fond même de la personnalité, est insuffisant, des dérives apparaissent : intellectualisme desséchant ou militantisme qui perd sa boussole.

En fait, les mentalités religieuses s’inscrivaient dans une culture. Actuellement, le paysage culturel change rapidement. Les sociologues décrivent cette situation dans les termes du passage d’une époque « moderne » à une époque « post-moderne » ou « ultra-moderne ». Aujourd’hui, l’expérience est essentielle pour l’expression d’une personne qui cherche sa voie. La personnalité humaine est perçue dans le rapport entre ses différentes dimensions corporelles, émotionnelles, intellectuelles. Et, dans beaucoup de contextes, le terme « spiritualité » l’emporte sur celui de « religion », celle-ci étant associée à un héritage de contraintes. Les recherches sociologiques montrent l’importance des aspirations spirituelles. C’est le cas en Grande-Bretagne où des pasteurs et des théologiens en déduisent que les églises devraient offrir davantage de propositions pour encourager une expérience et une pratique spirituelle en profondeur (2).

« Expérience et théologie ».

En Suisse francophone, l’association : Expérience et théologie » part du même diagnostic, comme on pourra le constater à la lecture de sa charte publiée en 2003.

Les auteurs partent de la constatation que l’offre des églises n’est plus adaptée. « Sur le plan des paroisses : leur témoignage ne trouve plus d’écho populaire. Les communautés paroissiales se réduisent comme une peau de chagrin ». Or, « la quête de sens, de profondeur, d’environnement, de transcendance, d’appartenance, de salut, ne s’en trouvent pas pour autant diminuée. Au contraire. Mais où et comment trouver son chemin sur le marché des offres spirituelles ? Nous les initiateurs du réseau « expérience et théologie », croyons que l’Esprit Saint est en train de susciter de nouvelles réponses, de manifester à nouveau la pertinence de l’Evangile dans ce contexte. A nous tous de les reconnaître, de les pratiquer, de  les relier. Sur l’arrière-plan de désespérance et de fatalisme (« il n’y a plus de projet porteur qui soutient la vie ! »), d’un christianisme desséchant de service  ou de management, et de mouvements mystiques désordonnés ou déconnectés, comment un Evangile incarné va-t-il se profiler ? ».

A partir de là, l’équipe animatrice du projet propose des perspectives qui se déclinent en un certain nombre de maîtres mots : intégration, incarnation, tradition, engagement – militance, praxis, primauté de la personne, foi en l’Eglise et ouverture hors institution. On se reportera à la lecture de ces propositions.

Voici néanmoins, pour mettre en appétit, quelques passages qui nous paraissent particulièrement éclairants.

Intégration : Par ce terme, on considère la personne dans son unicité et son intégrité, visant à mettre en lien ses différents niveaux : les dimensions corporelles et émotionnelles, la volonté et l’intellect, le profane et le sacré, l’histoire personnelle et le présent.

Praxis : Nous cherchons à retrouver un rapport aux textes bibliques qui accueille leur pouvoir de transformer la réalité, d’opérer des changements réels ; à favoriser une approche concrète (plutôt que dogmatique) des problèmes, une manière de les aborder à partir de la réalité plutôt que des idées et des présupposés.

Primauté de la personne : La personne réelle et concrète dans sa dimension de mystère et d’unicité prime sur tout ce qu’on peut dire sur l’humain. Elle représente un mystère à l’image du mystère de Dieu.

Foi en l’Eglise et ouverture « hors institution » : le Credo du symbole des apôtres reste central et pertinent pour nous : « je crois la Sainte Eglise universelle ». Désireux de contribuer à l’unité des croyants, nous souhaitons être enrichis par les apports d’autres confessions (au départ, l’initiative naît dans un contexte protestant). Par ailleurs, nous nous ouvrons simultanément à reconnaître l’action du Saint Esprit hors de ces cadres institutionnels et même dans des mouvements qui n’ont pas de rapport apparent avec l’Evangile.

Des affinités entre Témoins et « Expérience et Théologie ».

La culture de Témoins, telle qu’elle résulte de son histoire et s’inscrit dans sa dynamique, allie une lecture de la Parole biblique en relation avec la vie, une prise en compte de l’expérience dans l’expression du vécu chrétien, un éclairage conjugué de la psychologie et de la pensée biblique pour le développement personnel et le discernement. A partir d’une réflexion sociologique et théologique, Témoins pose également le problème de la pertinence des pratiques d’Eglise par rapport au changement culturel  et participe à la recherche de formes innovantes. On relève des orientations comparables dans la charte d’ « Expérience et Théologie ».

Les affinités ne portent pas seulement sur la proximité des approches. Elles se sont manifestées au cours des années. En effet, lorsque la présidente de Témoins, Marie-Thérèse Plaine, a été invitée en 2009, à une rencontre d’ « Expérience et Théologie », nous avons découvert que plusieurs acteurs de cette association : Jean-Claude Schwab, Christian et Thérèse Glardon, étaient intervenues à Témoins au début des années 90 au cours de sessions que nous organisions à l’époque. Des textes de Jean-Claude Schwab issus de ces interventions sont parus dans le magazine : Témoins et figurent maintenant sur notre site (3). Depuis son apport à Témoins, Thérèse Glardon a poursuivi son itinéraire de recherche et d’enseignement dans le domaine de l’Hébreu biblique et des sciences humaines . Elle vient de publier un livre particulièrement original où se conjuguent des éclairages bibliques, psychologiques, théologiques et philosophiques : « Ces crises qui nous font naître » (4). Dans cet ouvrage, elle nous rapporte  comment, dans la Bible hébraïque, Jonas, Mefiboscheth, Elie et les filles de Tselofhad vivent un  moment charnière de leur existence, qui va les faire naître à une autre réalité et ainsi à eux-mêmes. Après avoir replacé les textes dans leurs contextes, l’auteur les laisse s’incarner dans les questionnements existentiels de tout un chacun.  Comment émerger d’une crise ? En travaillant à la recherche du sens de ce qui nous arrive… « Pour chacun des personnages, la traversée des conflits va être l’occasion d’une évolution, d’un changement profond, d’une « naissance », d’une émergence imprévue sur un plan radicalement autre. Nous touchons alors, non plus le psychologique seulement, mais le spirituel » (p.15).

Le site : www.experience-theologie.ch ** Voir le site **

Expérience et théologie est une association riche en compétences, comme on vient de le voir à travers les productions de Jean-Claude Schwab et de Thérèse Glardon. Elle bénéficie aussi de l’apport d’une personnalité aujourd’hui réputée : Lytta Basset, pasteure, théologienne et auteur de nombreux ouvrages,  entre autres : « Le pardon originel » (1995), « La joie imprenable » (1996), « La fermeture à l’amour. Un défi pratique posé à la théologie » (2000),  « Ce lien qui ne meurt jamais » (2007).

La mise en route du nouveau site de l’association : www.experience-theologie.ch est donc une bonne nouvelle.

Ce site est ainsi présenté : « Expérience et Théologie est un réseau de personnes, en quête d’une théologie incarnée et respectueuse de l’être humain dans sa globalité. Nous abordons les textes bibliques dans la certitude que, par eux, Dieu peut transformer la personne, la société. Enracinés dans la tradition spirituelle de l’Eglise, nous partageons le désarroi devant la situation actuelle des Eglises en Occident et désirons nous ouvrir au souffle de l’Esprit qui peut frayer de nouvelles voies. Pour nous mettre en chemin, nous vous proposons :

Spiritualité : Une (re)découverte de la « Lectio Divina » (une lecture méditative de la Bible) ainsi qu’une liste de lieux de retraite et de rencontres.

Recherches et réflexions : Une série d’études, d’essais et d’évocations de ce que pourrait être l’Eglise de demain.

Evénements : Une palette de sessions, retraites, conférences et rencontres du réseau ou en lien.

De fait, outre un certains nombres de textes majeurs, ce site apporte de nombreuses pistes pour un ressourcement en terme de temps partagés, une gamme d’offres originales avec des guides sûrs et compétents. Souhaitons que le développement de ce site se poursuive, par exemple en étendant son champ au delà de la production de ses membres , analyses de livres ou liens avec des textes extérieurs..

Bonne route à : www.experience-theologie.ch  Une porte ouverte…** Voir le site **

  Jean Hassenforder

(1)   Payne (Leanne). La prière d’écoute. Raphaël, 1996 (Cf p.140-143).
(2)   Sur ce site : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » ** Voir l’article **. « Une église capable de répondre au défi du changement culturel. Apport de la recherche et de la réflexion théologique » ** Voir l’article **.
(3)   Sur ce site ** Voir la liste des articles ** de Jean-Claude Schwab.
(4)   Glardon (Thérèse). Ces crises qui nous font naître ** Voir l’article **. Jonas, Mefibosheth, Elie et le filles de Tselofhad. Labor et Fides, 2009 (Petite bibliothèque de spiritualité).

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