Les échanges à propos d’un texte biblique en général, et en particulier à propos de celui-ci, illustrent bien l’existence de ses différents niveaux de lecture, appelés dans la mesure du possible à se compléter harmonieusement : la compréhension rationnelle, attachée légitimement à la réalité du texte et du contexte, et l’intuition guidée par l’Esprit Saint, qui, elle, est souvent conduite à « lire entre les lignes » ; l’équilibre entre les deux permettant de se protéger aussi bien du fondamentalisme que de la subjectivité sans contrôle !

 

Il peut donc être intéressant, dans cette optique, de situer déjà cette parabole dans son contexte, un contexte d’urgence : peu avant son arrestation, Jésus s’exprime longuement sur le jugement dernier, et envisage selon différents angles la question de la préparation nécessaire : toute une série de textes évoquent l’importance d’être vigilant (donc fidèle), de s’être préparé à l’avance(c’est l’objet de cette parabole), d’avoir utilisé ses capacités (la parabole des talents), d’avoir été miséricordieux pour obtenir la miséricorde…

La parabole insiste sur l’urgence d’être prêt quand on annonce l’arrivée de « l’époux »(Jésus ?) : prêt au bon moment, au bon endroit, avec le bon équipement (on ne se lance pas sur les sommets en espadrilles !) ; il est à noter qu’ici, à la différence du texte précédent, l’accent n’est plus mis sur la vigilance (malgré la mention qui en est faite au dernier verset : « veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure »), mais sur la préparation prévoyante : quand l’époux survient, après avoir tardé (le temps du Seigneur n’est pas le nôtre…), toutes les vierges, y compris celles dites « sages »se sont assoupies !

Mais au moment où « l’on » crie (qui : on ? y avait-il un guetteur ?)elles sont pleinement équipées, elles sont autonomes, à la différence des « vierges folles » qui nous font penser aux négligents « chroniques » : « tout ira bien, pas besoin de s’inquiéter, les autres sont là ! ». Mais l’imprévoyance se paie, dans le monde spirituel comme dans la vie courante ; et quand on entreprend un voyage, on a également intérêt à faire le plein d’essence et à ne pas attendre que l’aiguille descende à zéro.

La prévoyance de ces vierges sages est donc estimable, elles sont sensées, raisonnables ; mais sont-elles aussi « altruistes » que l’on pourrait souhaiter, notamment dans un contexte chrétien ? Les négligentes n’ont-elles pas le droit à l’erreur ?

Et cette question nous renvoie à ce qui semble être le point central dans la parabole : l’huile, dont les vierges sages refusent le partage ; que représente-t-elle au juste ?

L’huile, c’est ce qui permet alors de voir, c’est l’électricité de l’époque, et c’est aussi l’onction d’huile, l’action du Saint-Esprit ; il faut « voir » pour aller à la rencontre de l’époux ; face à l’incapacité d’anticiper (le Seigneur vient au moment où on ne s’y attend pas ou le moins, en pleine épreuve), il faut se remplir chaque jour du Saint-Esprit (même si l’on a déjà reçu le baptême dans l’Esprit ) : image qui peut sembler un peu volontariste, à laquelle on peut préférer l’image de l’eau vive de la grâce qui coule sur nous en permanence, manifestant alors une venue de Jésus en nous « en permanence », en non plus à un moment précis comme dans la parabole.

Mais cette grâce, il nous faut tout de même « aller à sa rencontre » et pour cela avoir la disposition nécessaire pour  la « voir »couler sur nous, et ne pas fermer le robinet ! ce qui suppose une démarche qui ne peut être que profondément personnelle ; et là, nous pouvons mieux comprendre l’attitude des vierges sages, et ne pas y voir simplement le souci de s’appauvrir spirituellement sans réel profit pour l’autre, bien que ce souci puisse se justifier : tant il est vrai qu’il n’est pas forcément bon d’assister quelqu’un de façon excessive, au risque de perdre son énergie tout en l’empêchant d’avoir une relation directe avec le Seigneur, une relation qui ne peut être que personnelle pour lui aussi.

On peut témoigner de son parcours spirituel, mais on ne peut « partager » réellement ce qui n’est pas partageable, ce qui relève de « l’être » de chaque personne : sa démarche particulière vers Jésus, que l’on ne peut que connaître déjà si on « s’attend à lui », sa joie de cultiver la vraie vie en profondeur, mais pas de façon mécanique,  au delà des rites et des œuvres.

Les vierges « folles » se voient opposer un refus qui semble bien catégorique : « je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas » ; après tout, elles n’ont pas commis d’iniquité, comme le « méchant serviteur »du texte précédent (24, 45-51) ; mais ce refus reflète l’absence d’une véritable relation, qui suppose une « connaissance « mutuelle entre Jésus et nous (on peut penser aux paroles du bon berger dans Jean, 10,14 : « je connais mes brebis et elles me connaissent ») et l’interpellation qu’elles lancent à Jésus : « Seigneur, Seigneur » pour se faire ouvrir ne préjuge pas du caractère vivant de cette connaissance.

Les vierges de la parabole sont des « demoiselles d’honneur » (la société juive ne pratiquait pas la polygamie à l’époque de Jésus !) qui attendent le moment de se réjouir avec l’épousée, qui n’est pas mentionnée dans le texte ; mais, quelque part, elles peuvent représenter pour nous les chrétiens, voire les églises, ou même la sagesse et la folie qui peuvent être à parts égales dans chacun de nous : cinq vierges folles et cinq  vierges sages !

Alain Bourgade

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