La sociologue Danièle Hervieu Léger exprime bien les caractéristiques de l’ancienne société religieuse : la civilisation paroissiale « était un monde stable où la vie religieuse organisée autour du clocher régissait les espaces et les temps, où le prêtre entièrement consacré à la gestion des choses sacrées exerçait sans partage son autorité sur des fidèles dont la soumission à l’institution mesurait l’implication spirituelle »(1). Aujourd’hui cette architecture sociale est remise en question à la fois par le changement de la société et par l’interpellation des textes évangéliques.
Comment encourager le développement de formes nouvelles? Comment développer une nouvelle manière de faire église? C’est un vaste chantier. Le processus de reconstruction passe par la mise en oeuvre de nombreuses innovations.
En France, en milieu catholique, le développement de communautés locales dans le diocèse de Poitiers parait prometteur. Ce projet, en cours depuis une dizaine d’années en milieu rural, s’étend aujourd’hui dans les villes. Issu d’une réflexion collective, initiée et accompagnée par Albert Rouet, évêque de Poitiers, il est formulé avec beaucoup de cohérence dans un ensemble de documents (2)
Quel esprit?
Ces communautés locales manifestent « l’Eglise là où elle vit » ; « L’intuition des communautés locales est une vaste mission à travers le diocèse. Chaque baptisé et confirmé a reçu la vie du Christ. A son tour, il est envoyé par l’Esprit comme témoin de l’Evangile…. Un chrétien rayonne de l’amour de Dieu du seul fait d’être chrétien; mais le sommes-nous? La situation actuelle nous demande de nous convertir à la confiance que Dieu nous fait en se donnant à nous. Dieu, qui partage avec nous son alliance, nous rassemble en communautés où chacun est reconnu, car Dieu prend chacun au sérieux. » Ainsi « la communauté devient signe de la présence de Dieu et elle vit déjà en mission. Là où vit une équipe de chrétiens, là est l’Eglise, là est le Christ; Aucun lieu n’est abandonné de Dieu, car « là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, Je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18.20).
Au milieu des difficultés du troisième siècle, Tertullien écrivait ces lignes: « L’Eglise au sens propre et éminent du terme, c’est l’Esprit lui même… C’est lui qui unit l’Eglise… » Ainsi désormais toute réunion de personnes unies par la même foi et quelque soit leur nombre est reconnue comme l’Eglise par celui qui l’a fondée et consacrée. » Ces propos d’Albert Rouet, évêque de Poitiers, expriment bien la dynamique spirituelle à l’œuvre dans ces communautés.
Des formes participatives
La vie du diocèse s’inscrit dans des formes nouvelles : secteurs et communautés locales.
Secteurs : le diocèse est composé de secteurs; « Le secteur est le premier lieu où le diocèse se donne à voir comme communion, donc comme une union de communautés différentes, et cela pour la mission ». Le secteur est le cadre dans lequel s’élabore un projet pastoral qui est mis en oeuvre par un « conseil pastoral de secteur » ; Ce conseil est composé par les membres d’une équipe pastorale, les délégués pastoraux des communautés locales, des représentants des principaux mouvements, des personnes appelées en fonction de leurs compétences. « Le point important est de saisir la relation qui unit les communautés locales au secteur. Sans un secteur vivant, les communautés locales se sclérosent. Il s’agit de mettre au point un mouvement de va et vient entre ce que fait le secteur à son échelle et ce qu’accomplissent les communautés locales à leur échelle ».
Communautés locales : pourquoi des communautés locales? « l’Eglise ne peut reprendre pour elle la logique des administrations civiles, des services, des commerces qui centralisent leurs activités pour les rendre plus rentables. Car l’Eglise se charge de tous. Tout chrétien est responsable. Partons des personnes, non des structures. Osons la proximité. »
L’équipe d’animation: un rôle majeur.
Les communautés locales se développent à partir d’une équipe de base: « une équipe d’animation composée de cinq personnes et envoyées ensemble au service des membres de leur communauté pour l’annonce de l’Evangile, l’approfondissement de la foi, la prière et le service des frères ». « Pour que vive une communauté locale, il faut que soient remplies cinq responsabilités:
1) Une personne qui veille à l’animation de l’ensemble: le délégué pastoral
2) Une personne qui s’occupe de la vie matérielle de cette communauté: le trésorier.
3) Une personne chargée de la prière : assemblée du dimanche, autres temps de prière, vie liturgique et animation spirituelle.
4) Une personne chargée de l’annonce de la foi aux enfants, aux jeunes, aux adultes. Elle porte le souci de la formation continue.
5) Une personne chargée de la charité: malades, exclus, handicapés.
Le délégué pastoral et le trésorier sont désignés par élection au sein du groupe chrétien concerné. Les autres exercent leurs responsabilités en raison des dons que Dieu leur a donnés pour le bien de tous (1 Corinthiens 12.7). Chaque membre de l’équipe de base a un mandat de trois ans, renouvelable une fois. Ces équipes sont accompagnées par un prêtre qui porte avec elle le souci de la mission. Ces communautés locales manifestent « L’Eglise là où on la vit ».
Un signe: vivre la fraternité
Gisèle Bulteau est chargée d’accompagner et de soutenir les équipes de base des communautés locales dans le diocèse de Poitiers. Elle témoigne de la manière dont ces communautés engendrent la fraternité. « Là où il y a cinq chrétiens, là peut se constituer l’équipe de base d’une communauté, là est l’Eglise. Cette proximité permet à des bénévoles laïcs d’accepter des responsabilités à leur mesure, en fonction du temps dont ils disposent, de la distance à parcourir, des responsabilités familiales et professionnelles qu’ils exercent. Elle les envoie chez eux auprès de ceux qu’ils côtoient dans la vie de tous les jours….Les membres de l’équipe d’animation sont particulièrement chargés de faire des liens, d’appeler toujours de nouvelles personnes… La communauté est un lieu de partage, de discernement, de convivialité, et de réconciliation; elle permet de tisser du lien social par les visites de personnes isolées, l’accompagnement et le soutien des familles en difficulté, par des liens d’attention, de réconfort, de sollicitude auprès des personnes en deuil. Les chrétiens participent à de multiples associations: restos du cœur, Téléthon, associations de quartier, animation de fêtes, accompagnement de jeunes dans l’élaboration de leurs projets… La fraternité est un défi pour aujourd’hui. Pour ceux qui confessent la foi chrétienne, la fraternité est rendue possible dans l’incarnation de Jésus. Par sa mort sur la croix, « Jésus est devenu le premier né d’une multitude de frères » (Romains 8.29). Si l’amour fraternel peut désormais se vivre, c’est à cela que sont appelées les communautés chrétiennes… »
Ces textes nous permettent de comprendre l’esprit dans lequel une nouvelle manière de faire Eglise est en train de prendre forme dans le diocèse de Poitiers. Ici l’Eglise s’édifie à partir des communautés locales. Cette architecture sociale part de la base et elle rompt avec une administration descendant d’en haut. Elle renoue avec l’esprit du Nouveau Testament.
Bien entendu, cette transformation requiert des changements profonds dans les attitudes et les représentations. Elle s’opère dans la durée. Elle mériterait d’être suivie par une recherche qui analyserait le processus et ses effets. Comment s’opère l’évolution des mentalités ? En quoi la composition des publics évolue-t-elle ? Comment les initiatives se développent-elles notamment dans l’expression collective de la foi ? Voilà une innovation qui mérite d’être suivie attentivement. Dieu bénit!
Jean Hassenforder
(1) Hervieu Léger (Daniel) Le pèlerin et le converti; Flammarion, 1999 (citation p 90)
(2) Pour rédiger ce texte, nous avons consulté un ensemble de documents qui nous a été adressé par Gisèle Bulteau. Nous la remercions vivement On pourra se reporter à un document de référence: Serviteurs d’Evangile. Vers un nouveau visage d’Eglise. Actes synodaux de l’archidiocèse de Poitiers 2001/2003. Poitiers, 2003 (Voir notamment p15-16 et 31-32).

Références: Groupe Recherche TémoinsLes communautés locales dans le diocèse de Poitiers
Par Jean Hassenforder
[ 10-07-2004 ]

La sociologue Danièle Hervieu Léger exprime bien les caractéristiques de l’ancienne société religieuse : la civilisation paroissiale « était un monde stable où la vie religieuse organisée autour du clocher régissait les espaces et les temps, où le prêtre entièrement consacré à la gestion des choses sacrées exerçait sans partage son autorité sur des fidèles dont la soumission à l’institution mesurait l’implication spirituelle »(1). Aujourd’hui cette architecture sociale est remise en question à la fois par le changement de la société et par l’interpellation des textes évangéliques.
Comment encourager le développement de formes nouvelles? Comment développer une nouvelle manière de faire église? C’est un vaste chantier. Le processus de reconstruction passe par la mise en oeuvre de nombreuses innovations.
En France, en milieu catholique, le développement de communautés locales dans le diocèse de Poitiers parait prometteur. Ce projet, en cours depuis une dizaine d’années en milieu rural, s’étend aujourd’hui dans les villes. Issu d’une réflexion collective, initiée et accompagnée par Albert Rouet, évêque de Poitiers, il est formulé avec beaucoup de cohérence dans un ensemble de documents (2)
Quel esprit?
Ces communautés locales manifestent « l’Eglise là où elle vit » ; « L’intuition des communautés locales est une vaste mission à travers le diocèse. Chaque baptisé et confirmé a reçu la vie du Christ. A son tour, il est envoyé par l’Esprit comme témoin de l’Evangile…. Un chrétien rayonne de l’amour de Dieu du seul fait d’être chrétien; mais le sommes-nous? La situation actuelle nous demande de nous convertir à la confiance que Dieu nous fait en se donnant à nous. Dieu, qui partage avec nous son alliance, nous rassemble en communautés où chacun est reconnu, car Dieu prend chacun au sérieux. » Ainsi « la communauté devient signe de la présence de Dieu et elle vit déjà en mission. Là où vit une équipe de chrétiens, là est l’Eglise, là est le Christ; Aucun lieu n’est abandonné de Dieu, car « là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, Je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18.20).
Au milieu des difficultés du troisième siècle, Tertullien écrivait ces lignes: « L’Eglise au sens propre et éminent du terme, c’est l’Esprit lui même… C’est lui qui unit l’Eglise… » Ainsi désormais toute réunion de personnes unies par la même foi et quelque soit leur nombre est reconnue comme l’Eglise par celui qui l’a fondée et consacrée. » Ces propos d’Albert Rouet, évêque de Poitiers, expriment bien la dynamique spirituelle à l’œuvre dans ces communautés.
Des formes participatives
La vie du diocèse s’inscrit dans des formes nouvelles : secteurs et communautés locales.
Secteurs : le diocèse est composé de secteurs; « Le secteur est le premier lieu où le diocèse se donne à voir comme communion, donc comme une union de communautés différentes, et cela pour la mission ». Le secteur est le cadre dans lequel s’élabore un projet pastoral qui est mis en oeuvre par un « conseil pastoral de secteur » ; Ce conseil est composé par les membres d’une équipe pastorale, les délégués pastoraux des communautés locales, des représentants des principaux mouvements, des personnes appelées en fonction de leurs compétences. « Le point important est de saisir la relation qui unit les communautés locales au secteur. Sans un secteur vivant, les communautés locales se sclérosent. Il s’agit de mettre au point un mouvement de va et vient entre ce que fait le secteur à son échelle et ce qu’accomplissent les communautés locales à leur échelle ».
Communautés locales : pourquoi des communautés locales? « l’Eglise ne peut reprendre pour elle la logique des administrations civiles, des services, des commerces qui centralisent leurs activités pour les rendre plus rentables. Car l’Eglise se charge de tous. Tout chrétien est responsable. Partons des personnes, non des structures. Osons la proximité. »
L’équipe d’animation: un rôle majeur.
Les communautés locales se développent à partir d’une équipe de base: « une équipe d’animation composée de cinq personnes et envoyées ensemble au service des membres de leur communauté pour l’annonce de l’Evangile, l’approfondissement de la foi, la prière et le service des frères ». « Pour que vive une communauté locale, il faut que soient remplies cinq responsabilités:
1) Une personne qui veille à l’animation de l’ensemble: le délégué pastoral
2) Une personne qui s’occupe de la vie matérielle de cette communauté: le trésorier.
3) Une personne chargée de la prière : assemblée du dimanche, autres temps de prière, vie liturgique et animation spirituelle.
4) Une personne chargée de l’annonce de la foi aux enfants, aux jeunes, aux adultes. Elle porte le souci de la formation continue.
5) Une personne chargée de la charité: malades, exclus, handicapés.
Le délégué pastoral et le trésorier sont désignés par élection au sein du groupe chrétien concerné. Les autres exercent leurs responsabilités en raison des dons que Dieu leur a donnés pour le bien de tous (1 Corinthiens 12.7). Chaque membre de l’équipe de base a un mandat de trois ans, renouvelable une fois. Ces équipes sont accompagnées par un prêtre qui porte avec elle le souci de la mission. Ces communautés locales manifestent « L’Eglise là où on la vit ».
Un signe: vivre la fraternité
Gisèle Bulteau est chargée d’accompagner et de soutenir les équipes de base des communautés locales dans le diocèse de Poitiers. Elle témoigne de la manière dont ces communautés engendrent la fraternité. « Là où il y a cinq chrétiens, là peut se constituer l’équipe de base d’une communauté, là est l’Eglise. Cette proximité permet à des bénévoles laïcs d’accepter des responsabilités à leur mesure, en fonction du temps dont ils disposent, de la distance à parcourir, des responsabilités familiales et professionnelles qu’ils exercent. Elle les envoie chez eux auprès de ceux qu’ils côtoient dans la vie de tous les jours….Les membres de l’équipe d’animation sont particulièrement chargés de faire des liens, d’appeler toujours de nouvelles personnes… La communauté est un lieu de partage, de discernement, de convivialité, et de réconciliation; elle permet de tisser du lien social par les visites de personnes isolées, l’accompagnement et le soutien des familles en difficulté, par des liens d’attention, de réconfort, de sollicitude auprès des personnes en deuil. Les chrétiens participent à de multiples associations: restos du cœur, Téléthon, associations de quartier, animation de fêtes, accompagnement de jeunes dans l’élaboration de leurs projets… La fraternité est un défi pour aujourd’hui. Pour ceux qui confessent la foi chrétienne, la fraternité est rendue possible dans l’incarnation de Jésus. Par sa mort sur la croix, « Jésus est devenu le premier né d’une multitude de frères » (Romains 8.29). Si l’amour fraternel peut désormais se vivre, c’est à cela que sont appelées les communautés chrétiennes… »
Ces textes nous permettent de comprendre l’esprit dans lequel une nouvelle manière de faire Eglise est en train de prendre forme dans le diocèse de Poitiers. Ici l’Eglise s’édifie à partir des communautés locales. Cette architecture sociale part de la base et elle rompt avec une administration descendant d’en haut. Elle renoue avec l’esprit du Nouveau Testament.
Bien entendu, cette transformation requiert des changements profonds dans les attitudes et les représentations. Elle s’opère dans la durée. Elle mériterait d’être suivie par une recherche qui analyserait le processus et ses effets. Comment s’opère l’évolution des mentalités ? En quoi la composition des publics évolue-t-elle ? Comment les initiatives se développent-elles notamment dans l’expression collective de la foi ? Voilà une innovation qui mérite d’être suivie attentivement. Dieu bénit!
Jean Hassenforder
(1) Hervieu Léger (Daniel) Le pèlerin et le converti; Flammarion, 1999 (citation p 90)
(2) Pour rédiger ce texte, nous avons consulté un ensemble de documents qui nous a été adressé par Gisèle Bulteau. Nous la remercions vivement On pourra se reporter à un document de référence: Serviteurs d’Evangile. Vers un nouveau visage d’Eglise. Actes synodaux de l’archidiocèse de Poitiers 2001/2003. Poitiers, 2003 (Voir notamment p15-16 et 31-32).

Références: Groupe Recherche Témoins

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