Le grand théologien, Jurgen Moltman exprime ainsi sa vision de l’incarnation : « L’incarnation fait partie de l’amour même de Dieu qui se communique éternellement…Selon Paul, le Christ n’est pas seulement « livré à cause de notre péché », mais aussi « ressuscité à cause de notre justice »(Rom 4/25). Si par sa croix, il réconcilie les pécheurs avec Dieu, il crée par sa résurrection, la nouvelle justice, la nouvelle vie, la nouvelle création. La surabondance de la grâce représente la force de la nouvelle création, qui accomplit la création originelle… L’incarnation du Fils achève la création originelle, grâce à la nouvelle union entre Dieu et les hommes que manifeste Christ, et grâce à la fraternité en laquelle il reçoit les croyants »(1).
Christ nous appelle à participer à son œuvre. Le bibliste et théologien britannique N.T.Wright (2) exprime cet appel en ces termes : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jean 20 /21)…Comme clé pour traduire le message unique de Jésus au peuple d’Israël de son époque en un message pour nos contemporains, je propose de saisir la correspondance qui est profondément tissée entre les deux testaments, entre l’appel à l’homme de porter l’image de Dieu et l’appel à Israël d’être la lumière du monde. Les êtres humains ont été créés pour réfléchir la gérance créatrive de Dieu dans le monde. Israël a été créé pour permettre à l’amour sauveur de Dieu de se déverser dans le monde. Jésus est venu comme le vrai Israël, la vraie lumière du monde et l’image véritable du Dieu invisible. Il a posé la fondation et nous devons construire sur cette base. Nous sommes appelés à être porteurs à la fois de son amour rédempteur et de sa gérance créative (creative stewardship) » (3).
Jésus nous appelle ainsi à être le sel de la terre, la lumière du monde (Mat 5/13). Et il compare le Royaume des Cieux à du levain qu’une femme prend pour le mélanger à une vingtaine de kilogrammes de farine. Et, à la fin, la pâte lève (Mat 13/33). Mais comment ce mouvement peut-il s’exprimer aujourd’hui ? N’est-ce pas en vivant et en travaillant dans notre société et notre culture, en effectuant un travail de discernement entre ce qui est positif et ce qui ne l’est pas, ou moins, et en pesant de tout notre poids pour reconnaître, encourager et développer ce qui est bon et beau.
Le Nouveau Testament en dialogue avec la culture de l’époque.

Ainsi retentit la parole de Paul aux chrétiens de Philippes : « Que tout ce qu’il y a de vrai, de noble, d’honorable, ce qui est juste, pur et digne d’être aimé, occupe vos esprits. Tendez vers tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite louange »(Epitre aux Philippiens 4/8). Ici Paul adopte et met en valeur le positif de son environnement culturel.
Dans une introduction à la lecture de la Bible (2), N.T.Wright, montre comment le Nouveau Testament se développe dans une relation de dialogue avec la culture de l’époque. Si un tri est à opérer, les valeurs positives sont retenues et mises en valeur. Dans l’épître aux Romains, « Paul peut reconnaître un lien profond entre les perceptions du bien et du mal qui existent dans le monde et celles auxquelles l’Eglise chrétienne peut adhérer » (2a). En invitant les disciples à ce que leurs œuvres soient reconnues par le hommes, amenant ainsi ceux-ci à glorifier le Père qui est dans les cieux (Mat. 5/16), Jésus lui-même ne suggère-t-il pas qu’ils peuvent être sensibles à ce qui est bon et bien ?

L’inspiration biblique et la sagesse des nations.

La même réalité est observable dans l’Ancien Testament.
Pasteur baptiste, engagé dans la Société Biblique britannique, David Spriggs a publié un article remarquable sur cette question (4).
Il y montre l’importance des textes de sagesse dans l’Ancien Testament : Proverbes, Job, Ecclésiaste, mais aussi : Psaumes, Ruth, l’histoire de Joseph… « À travers la tradition biblique, il est juste de considérer la sagesse comme une des voies principales dans laquelle Israël reconnaissait ses liens avec les cultures environnantes et essayait d’en explorer les implications… La sagesse hébraïque n’est pas une création isolée en Israël. Au contraire, elle s’inscrit dans une grande tradition intellectuelle qui a été élaborée pendant des siècles à travers les pays du Croissant Fertile ».
Il se trouve qu’au XIXè siècle, nous dit David Spriggs, l’importance de la sagesse dans l’Ancien Testament a été de plus en plus méconnue. À cette époque, dans l’environnement du positivisme, on s’est éloigné d’une théologie de la création. L’accent a été mis sur l’histoire. On s’est attaché à ce qui était unique dans la foi d’Israël, et finalement, cette particularité est devenue le principal indicateur de la Révélation. L’approche de la sagesse a ainsi été marginalisée. Et, dans le même temps, on a surévalué tout ce qui différenciait la religion chrétienne par rapport à ce qui est fondamentalement humain à l’intérieur d’une bonne société.
David Spriggs nous rappelle que, pour Israël, le fondement de la sagesse réside dans la création. Dieu a créé le monde entier et tous les peuples du monde. Le monde lui appartient et ainsi « les structures profondes qui sous-tendent une vie réussie, tant sur le plan personnel et familial que sur le plan communautaire et international, sont inscrites par Dieu dans le monde… Bien qu’il y ait là une réalité mystérieuse, ces structures (la manière dont les choses marchent le mieux) sont plus ou moins accessibles à celui qui est à leur recherche. Ceux qui connaissent Dieu à travers une Révélation spéciale (c’est-à-dire dans l’Ancien Testament, les Israélites) seront en principe davantage capables de percevoir avec clarté les marques de Dieu dans les structures de la vie ordinaire. D’où la pensée que la révérence pour Dieu est le commencement de la sagesse. Dans cette perspective, la sagesse devient un pont entre le peuple particulier d’Israël marchant dans son alliance avec Dieu et les autres peuples ».
Cette analyse éclaire la situation d’aujourd’hui. La perte de la dimension biblique de la sagesse a des conséquences sensibles. Elle va de pair avec une surestimation des différences entre l’Eglise et la société environnante et, en conséquence, une séparation croissante entre ces deux univers. Dans cette perspective, certaines communautés chrétiennes s’enferment dans un univers religieux plutôt que de s’engager dans la société en réponse à l’appel d’en être le sel et la lumière. La sagesse présente dans la Bible est là pour nous aider à nous engager dans la vie humaine ordinaire. Elle donne la capacité de trouver et de suivre la voie de Dieu dans un monde difficile et aussi d’aider les autres à découvrir cette voie.

La création de Dieu se poursuit aujourd’hui.

Comme l’exprime William Davies dans son livre : « Spirit without measure »(5), « l’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans toute la création pour lui permettre d’entrer dans la plénitude à laquelle Paul se réfère en envisageant l’œuvre du Christ. L’Esprit de Dieu est en voie de renouveler l’ensemble de la création. Il agit à la fois dans l’Eglise Universelle, et, parce qu’il est un Esprit universel, aussi bien à l’extérieur. C’est un appel à reconnaître l’action de l’Esprit en dehors de l’Eglise »(5a).
Comme nous venons de le voir, on peut reconnaître cette œuvre de l’Esprit au long de l’histoire. Et, aujourd’hui, comment ne pas nous interroger en présence de la mutation culturelle qui se manifeste dans la communication avec une rapidité et une intensité inégalées ? Participons à cette évolution avec créativité et dynamisme, dans le même temps, conscients des menaces ou des dérives possibles, contribuons au discernement grâce à l’inspiration de l’Esprit. Reconnaissons, encourageons et développons ce qui est bon et beau….

Jean Hassenforder
25 12 2006

(1) Moltmann (Jurgen. Le rire de l’univers. Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004. La citation est composée d’extraits d’un chapitre en forme de débat théologique sur les motivations de l’incarnation du Fils de Dieu (Cur Deus Homo ?), p. 63-66
(2) N.T. Wright est un bibliste qui, par ses recherches sur les rapports entre la culture juive et le Nouveau Testament, a ouvert de nouvelles voies. Il a écrit de nombreux livres qui sont aujourd’hui des références incontournables. Nous avons analysé sur ce site : Wright (N.T.). Scripture and the authority of God. SPCK, 2005 (La Bible nous parle du projet de Dieu : rubrique : recherche, regards). 2a, p. 43. N.T.Wright vient de publier un livre qui présente la foi chrétienne au grand public et s’adresse particulièrement aux personnes en recherche : Simply christian : why christianity makes sense (Harper, 2006). Ce livre reçoit un très bon accueil en raison de la culture de l’auteur (notamment son travail pionnier en matière exégétique) et ses qualités d’exposition. Nous recommandons cet ouvrage et souhaitons qu’il soit bientôt traduit en français.
(3) Wright (N.T.). The challenge of Jesus. SPCK, 2000. Citation : P.142
(4) Spriggs (David). The Bible as wisdom today : a key to cultural engagement ? A missing piece of mission). The Bible in transmission, summer 2004, p.12-14.
(5) Davies (William R.). Spirit without measure. Charismatic faith and practice. Darton, Longman and Todd, 1996. Citation : p. 144. Analyse sur le site de Témoins : Esprit sans limite. Rubrique recherche, regard.

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