Les croyances à l’épreuve de l’histoire.

La rubrique : libres opinions peut être, de temps à autre, le lieu d’un échange de points de vue. Nous publions aujourd’hui un article qui exprime une évolution de la pensée et du vécu en milieu catholique : la mort des « limbes » et, en regard, une réflexion sur le rapport entre l’Evangile et la « religion » dans une perspective historique.

Comme un coup de tonnerre subit, voici qu’une décision d’une importance capitale (!) pour l’avenir de l’humanité a été prise récemment par une très sérieuse commission vaticane : les limbes (lieu où sont placés les enfants morts sans baptême – mais qui sait de quoi il s’agit ?) n’existent pas : «Il y a des bases sérieuses théologiques et liturgiques qui justifient l’espérance que les enfants morts sans baptême soient sauvés et jouissent de la vie éternelle».
Cette décision fut révélée il y a peu, après mûres réflexions et consultations pendant près de 40 ans : mais l’interrogation sur le sort de ces malheureux se posait, elle, depuis 14 siècles tandis que la certitude de ce « lieu » dit « les limbes » s’imposait alors (non pas comme un dogme de foi) depuis 8 siècles.
On semble découvrir, enfin, que Dieu aime les hommes, ou du moins les plus petits d’entre eux et les accueille au « Paradis » !
Les « plus petits d’entre eux » : oui, pour aujourd’hui, seulement ceux-là, ceux qui n’ont pas eu l’heur d’être baptisés à leur naissance et qui sont morts. Car si vous adulte ou jeune, vous avez péché en quelque matière que ce soit, mais d’une façon « honnête », « véniellement » et que vous veniez à mourir dans cet état, alors là, l’amour de Dieu ne se révèlera qu’après un temps d’expiation… qui n’est pas précisé : c’est le « Purgatoire », qui lui fait bien partie d’une croyance officielle de l’Eglise catholique.
Enfin, le ‘meilleur’ de cette histoire (ou le pire) est réservé à tous ceux qui auront le grand malheur de mourir en état de péché, dit « mortel ». Dans ce bien triste cas, pas de rémission, c’est l’Enfer, le lieu éternel de la souffrance (les flammes ?), la privation pour toujours de la communion à Dieu et aux autres, la damnation éternelle. Là, malgré sa Toute Puissance, Dieu ne peut plus rien pour vous.

Plusieurs questions se posent alors : des réponses apportées dépend le regard que l’homme porte sur Dieu, donc de ma foi en Lui. Dieu serait-il, comme tout ce qui existe, l’homme en particulier, limité par le temps, l’espace et par la liberté dont jouissent les hommes ?
L’espace d’abord : où se trouvent les (défuntes) limbes, le purgatoire, l’enfer et donc le paradis ? Qu’est-ce qu’un « lieu » pour Dieu ? Résiderait-il « ici » plutôt que « là » ?: Qu’est-ce que le « Ciel » ?, Où se trouve-t-il ? Voici que je fais toute chose nouvelle » (Ap 21 :1 ) – « Si l’on vous dit Il est ici, n’y allez pas… » (Mt 24 :23). Le temps ensuite : qu’est-ce que le « temps » pour Dieu ? « hier », « demain », « éternité », ces mots peuvent-ils s’appliquer à Dieu ? : Ne sont-ce pas là des concepts purement humains, donc totalement étrangers à l’Etre même de Dieu, même si, en Jésus le Christ, il s’est fait homme. « Quel est ton Nom ?, demande Moïse : « Mon nom est Yahvé, Je suis celui qui Suis (Ex 3:14) », « Le nom qui est au-dessus de tout autre nom » (Ph 2:5-11). Je suis’, un présent absolu ! Enfin, la « Toute Puissance » de Dieu ? Dieu peut-Il « tout » faire et son contraire ? Peut-Il arrêter le temps, l’évolution, les guerres …. ? Doit-Il intervenir dans les affaires des hommes au mépris de leur autonomie et de leur liberté d’action, leur liberté de dire oui ou non ? Sa « puissance » est-elle de l’ordre de l’agir ? Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici. » (Jn 18 : 36).
Ces questions me conduisent à réfléchir sur Dieu. Quand j’étais petit, une question du catéchisme d’alors, avait l’audace d’interroger : Qu’est-ce que Dieu ? » t il fallait, comble de l’ineptie, y répondre : je n’en dormais pas ! Soit Dieu est semblable à l’homme avec ses limites de temps, d’espace et de puissance, en mieux peut-être, en plus grand, un homme multiplié par x… : alors ce Dieu là ne m’intéresse pas, il n’est pas le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », (Ex 3 :16), le Dieu de Moïse, celui de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il n’est qu’un homme « plus que parfait » et c’est tout. Soit Dieu est le Tout-Autre, en rien comparable à ce que l’homme peut imaginer, de meilleur pour les uns, de pire pour les autres : IL EST, c’est-à-dire TOUT et en même temps RIEN. Il n’a pas de nom et je ne peux lui en attribuer aucun ; si, cependant, parce que je suis homme, je suis contraint parfois de le prononcer, ce doit toujours être avec grande révérence et « crainte » : « Enseigner la crainte du Seigneur », ce n’est pas du tout susciter la peur, mais c’est enseigner les prières et les commandements, initier à une vie de confiance en Dieu. « Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui. » (Ecclésiastique 2,8), extrait de la Lettre de Taizé avril 2004).

Je n’oublie jamais qu’il est LE TOUT AUTRE ; celui que j’ose appeler AMOUR (sans trop savoir de quoi il est question en vérité) m’habite, hier, aujourd’hui et demain, tout au long de mon existence, car « Il s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (Irénée de Lyon, 2ème siècle).
Alors, les limbes –qui ouf ! n’existent plus-, le purgatoire –attendons quelques siècles pour qu’à son tour il disparaisse de nos imaginations et de la théologie, l’enfer – mais son rôle de grand gendarme le condamne à vivre encore de nombreux siècles – , sont chacun une négation de l’Amour de Dieu. Comment celui-ci pourrait-il être limité par l’absence de baptême conduisant aux limbes ; par le péché de l’homme, l’entraînant pour un temps ou pour l’éternité au purgatoire ou à l’enfer ? Dieu limité par l’homme (fût-ce au nom de sa liberté), Dieu vaincu par le mal et le péché, l’Incarnation de Jésus, sa Mort, son séjour au « lieu des morts » « pour juger –rendre saints, justifiés- les vivants et les morts » (Credo de l’Eglise Universelle) et sa Résurrection ne s’adressant qu’à quelques-uns ?, (qui « mérite » d’être sauvé ?), non, vraiment je ne peux y croire ! la Mort serait-elle plus forte que la Vie « Mort, où est ta victoire » (1 Cor15 :54).
Le Paradis : (ni un lieu ni une succession sans fin de minutes, d’heures ou de siècles), c’est pour moi la contemplation parfaite et la plénitude de Dieu dont j’essaye d’évacuer toute représentation imaginaire, qui m’attendent au terme (le temps) de ma vie sur terre (le lieu) par la seule Bonté de Celui qui Est (la Toute Puissance).
Si je tente, au long de mon chemin sur la terre, de vivre sans trop « faire le mal », si j’essaye de « faire le bien », ce n’est pas pour « mériter » le paradis, mais chercher la communion dès ici bas avec Dieu et avec les autres, en marche vers, ce que je crois, m’est promis : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » (Luc 23.43). Si je « prie » aujourd’hui, ce n’est pas pour « être sauvé », pour quémander « une place » au paradis, pour obtenir quelque chose, mais pour contempler (me poser avec, dans le temple qu’est Dieu lui-même), chercher, admirer, pré-venir dès à présent ce qui sera plus tard. Je me réjouis donc de cette décision vaticane, apparemment sans grande importance, mais qui permet d’effacer de l’imaginaire collectif des notions qui diluent et dénaturent la foi pure en Jésus, Dieu fait homme, mort et re-suscité : le reste est bien peu de choses, face au Mystère de la foi : « Il est grand le Mystère de la foi » – « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire » (Prière eucharistique).

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Suit une réflexion de Jean Hassenforder : Esprit de vie

Pour comprendre une pensée, il est nécessaire de la situer dans le contexte religieux, social, et culturel à partir duquel elle se développe.
Les « limbes » s’inscrivent dans un univers catholique traditionnel et tout ce qu’il évoque.

La violence à travers l’histoire

Reportons-nous d’abord au message de vie et de libération de Jésus. Il nous enseigne qui est le Père. Et déjà, il se heurte au clan des religieux qui respirent la violence et ont construit un système d’interdictions. À l’appel de Jésus, le mouvement qu’il inspire (1) va initier de nouvelles attitudes, de nouvelles pratiques.
Cependant, au cours des siècles, les vieilles pesanteurs refont surface. La violence, abondamment nourrie par les frustrations de l’époque, imprègne également la religion et suscite la peur, cette peur obsédante que l’historien Jean Delumeau a si bien décrite. En chrétienté (2), la religion, c’est aussi un pouvoir qui s’impose, une société qui cherche à contrôler non seulement les actes, mais aussi les pensées de ses fidèles. Une police des esprits s’instaure à travers des dispositifs comme l’index. À la lecture croyante de la parole biblique dans un esprit de liberté et d’amour, s’ajoutent ou se substituent peu à peu des constructions intellectuelles et rituelles qui prennent forme de systèmes. Ces systèmes sont marqués par leur environnement social et culturel. Ils sont enjeux de pouvoirs. Datés, ils se transmettent pourtant à travers les siècles jusqu’à ce que leurs incongruités apparaissent face à des cultures nouvelles. Le théologien Hans Küng a ainsi remarquablement décrit l’évolution de ce qu’ il appelle « le paradigme catholique romain médiéval » (3). Bien sûr, ne tombons pas dans la caricature ! Pendant tout ce temps, il y a aussi des vies saintes manifestant la charité. Et, à partir de la Réforme, le paysage chrétien se diversifie. Simplement, notre regard est appelé à opérer un tri.
Il y a dans ces phénomènes des attitudes qu’on retrouve, par ailleurs, en dehors des religions, dans la puissance d’imposition des idéologies qui ont marqué le XXè siècle, le marxisme par exemple. Et si l’omniprésence de la violence peut trouver des explications à travers des analyses sociales et culturelles, sa puissance nous renvoie au mystère du mal et aux forces correspondantes, tel que la Bible nous en parle.

Un nouvel horizon.

À partir de la théologie augustinienne, il y a eu un temps où les petits enfants non baptisés étaient envoyés en enfer. Quel abîme entre cette violence et l’attitude de Jésus envers ces petits enfants ? Aussi, si il y eut des théologiens pour répandre la peur, d’autres, mieux inspirés, ont cherché des solutions moins radicales. Ce furent « les limbes », semble-t-il. Et on peut se poser des questions comparables à propos du purgatoire. Gardons-nous cependant des affirmations trop absolues. Car nous sommes en présence de situations complexes qui ne peuvent être englobées par l’intelligence humaine. Dieu se révèle à nous. Nous le découvrons aussi à travers sa création. Mais nous sommes appelés à une saine humilité.
À cet égard, nous pouvons tirer avantage de certaines caractéristiques de notre époque. Globalement, l’expansion des « droits de l’homme » témoignent d’un progrès dans le respect et la tolérance. Les grandes institutions structurantes et dominatrices qui imposaient leur pouvoir et leur contrôle se sont, pour une large part, effondrées. Le siècle des Lumières avait voulu s’opposer aux affres de la domination religieuse. Sait-on que la mentalité nouvelle qui s’est développée à l’époque, a mis fin à l’exécution des sorcières. Mais, en même temps, il a versé dans un excès contraire, en construisant un système de pensée érigeant le pouvoir de l’homme en absolu. Notre époque postmoderne est plus modeste. On peut lui reprocher le doute qu’elle propage, mais le relativisme qu’elle entretient, est aussi une barrière contre les grands systèmes totalitaires.
Face aux constructions intellectuelles qui se voudraient totalisantes, et donc totalitaires, la parole biblique nous parle de l’existence et de l’univers en terme de relations. Dieu est communion d’amour entre le Père, le fils et le Saint Esprit . Il nous appelle à entrer dans une relation avec Lui et à vivre en bonne intelligence avec tous les hommes. Les termes de cette relation sont l’amour comme Jésus nous l’apprend et nous y invite à travers son enseignement et à travers sa vie. Cette relation est transformatrice à tous égards. Jésus nous indique le chemin. Et nous lui répondons : « Seigneur, vers qui irions-nous ? Tu as les paroles de la Vie éternelle » (Jean 6/68). À travers sa mort et sa résurrection, Christ a vaincu le mal. Nous sommes appelés ainsi à participer au projet de Dieu, une nouvelle création (4).

Notre époque est pleine de menaces, mais elle est riche en potentialités. Apprenons à observer les signes des temps. Comment l’esprit de Dieu agit-il aujourd’hui ? Ainsi pourrons-nous sortir des champs clos. Ainsi pourrons-nous guérir des blessures du passé. Ainsi pourrons-nous nous défaire d’un héritage malheureux selon lequel certains élevaient Dieu pour abaisser l’homme et d’autres élevaient l’homme pour abaisser Dieu.
Les chrétiens sont appelés à inventer et à vivre « Une orthodoxie généreuse » (5) comme un ami américain, Brian McLaren, nous y invite, non à partir d’échafaudages théoriques, mais à partir d’une expérience de vie à travers différents milieux chrétiens. Dans cet itinéraire interconfessionnel, les contributions des uns et des autres sont autant de notes qui composent une symphonie. L’Esprit de Vie est à l’œuvre.
Jean Hassenforder
22 06 2007

(1) Parmi une immense littérature, signalons un livre récent de nature historique et sociologique : Theissen (Gerd). Le mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs. Cerf, 2006.
(2) Murray (Stuart). Post-Christendom. Church and mission in a strange new world. Paternoster, 2004. (Voir site de Témoins : « Faire Eglise en post-Chrétienté », rubrique recherche, sous rubrique perspective https://www.temoins.com/article.php?rubrique=recherche&id=105 )
(3) Küng (Hans).Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire. Seuil,1999.
(4) « La Bible nous parle du projet de Dieu » ; livre d’un grand bibliste britannique Wright (N.T). Scripture and the authority of God. SPCK, 2005. Voir site de Témoins : rubrique recherche, sous rubrique regard : https://www.temoins.com/article.php?rubrique=recherche&id=141
(5) McLaren (Brian). Generous orthodoxy. Zondervan, 2004. (Voir site de Témoins : « Une théologie pour l’Eglise émergente. Qu’est-ce qu’une « orthodoxie généreuse » selon Brian McLaren ? » rubrique recherche, sous rubrique perspective : https://www.temoins.com/article.php?rubrique=recherche&id=108)

 

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